Tribune Juive

Un colloque partisan sur la Palestine au Collège de France : vers un antisémitisme d’État ? Par Richard Abitbol

« Ouvrir une école, c’est fermer une prison ; mais ouvrir une chaire à la haine, c’est rouvrir les portes de l’enfer. » — ( Victor Hugo)

Le Collège de France, temple du savoir universel, devait être le sanctuaire de la raison, de la méthode et de la neutralité. Il fut fondé pour instruire, non pour endoctriner. Or, voilà qu’au nom d’une prétendue « liberté académique », l’une des plus prestigieuses institutions françaises s’apprêtait à offrir une tribune à un militantisme anti-israélien virulent, dissimulé sous les atours d’un discours humaniste.

Une annulation symbolique

Prévu les 13 et 14 novembre 2025 sous le titre « La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines », le colloque devait se tenir au sein même du Collège de France. Il était coorganisé par la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe, dirigée par Henry Laurens, et le Centre arabe de recherches et d’études politiques (CAREP) de Paris. Le programme comportait notamment un panel intitulé : « Le sionisme comme projet européen d’expansion coloniale » — une formule qui, à elle seule, annonçait la couleur.

Mais le 9 novembre, dans un communiqué officiel, l’administrateur du Collège de France a annoncé l’annulation de l’événement, invoquant « la polémique entourant la tenue du colloque » et se disant « dans l’obligation, en tant que chef d’établissement, responsable de la sécurité des biens et des personnes ainsi que de la sérénité des événements tenus dans l’enceinte du Collège de France, d’annuler la manifestation ».

C’est une décision rare, lourde de sens, et révélatrice : le malaise n’est plus marginal, il est institutionnel. Quand la République en vient à devoir annuler un événement académique pour éviter la propagation de la haine, c’est que la frontière entre liberté d’expression et propagande idéologique a été franchie.

Des intervenants militants sous vernis académique

Le programme initial réunissait plusieurs figures connues pour leurs positions radicales :

Nul ne conteste à ces personnalités le droit de s’exprimer. Mais que le Collège de France, financé par l’État et censé incarner la rigueur intellectuelle, ait pu cautionner un tel déséquilibre en dit long sur l’aveuglement de nos élites universitaires.

Ces noms ne constituent pas une “liste noire”, mais illustrent à quel point les intervenants choisis ont des antécédents militants et des prises de position publiques fortes. Cela ne choque pas en soi en université — mais quand c’est l’institution d’État la plus élitiste qui les invite, la question de l’équilibre — ou de l’absence d’équilibre — se pose.

Pourquoi cela pose-t-il problème ?

  1. Déséquilibre des perspectives : Le programme, à travers ses intitulés (« Le sionisme comme projet européen d’expansion coloniale », « Vers une uniformisation des politiques étrangères européennes ?», « Les responsabilités de l’Europe : de l’échec d’Oslo à la destruction de Gaza ») manifeste un angle clairement critique envers Israël et semble omettre toute tonalité d’auto-critique ou de complexité.
  2. Militantisme déguisé en neutralité académique : Quand des intervenants définissent Israël comme un projet colonial, ou qualifient de “génocide” ses opérations, on quitte la simple critique et on entre dans un discours engagé, idéologique. Achcar le fait explicitement dans son ouvrage.

Le fond du débat : la neutralité académique ou la haine savante ?

Le problème n’était pas le sujet – la question palestinienne mérite évidemment d’être débattue – mais la manière : aucun représentant israélien, aucun chercheur en droit international équilibré, aucun contradicteur reconnu. Rien qui puisse contrebalancer le récit victimaire univoque. Sous prétexte d’analyse historique, le colloque devait servir de caisse de résonance à un discours militant où Israël est présenté comme l’incarnation du mal occidental.

Le cœur du problème

Quand la haine se drape dans la respectabilité du savoir, elle devient institutionnelle. Et quand cette institution est financée par l’État, c’est la République elle-même qui se fait complice d’un discours délégitimant un État démocratique et la mémoire du peuple juif.

« L’antisémitisme est une passion qui se croit une idée », écrivait Jean-Paul Sartre. Nous y sommes. Ce colloque devait en être l’illustration : un antisionisme travesti en humanisme, un manichéisme déguisé en science sociale. L’antisionisme universitaire, avec ses relents de colonialisme inversé et de culpabilité post-impériale, se veut discours de morale, alors qu’il n’est qu’un discours de haine travesti en pensée critique.

L’université, en France, est devenue le terrain d’une capture idéologique : les mêmes qui condamnent les “discours de haine” sur les réseaux sociaux y tiennent des propos incendiaires sur Israël, sous couvert de sciences sociales. L’antisionisme militant s’y mue en catéchisme : Israël serait un État colonial, les Palestiniens les éternelles victimes, et l’Occident, éternellement coupable. Ce manichéisme ne relève plus de la science mais du prosélytisme.

Que des militants d’extrême-gauche ou des ONG politisées participent à cette dérive n’étonne plus. Mais que le Collège de France, haut lieu de la rigueur intellectuelle, s’y associe, voilà qui marque un tournant. Car dans une démocratie, l’État est comptable de ce qu’il finance. Et lorsque l’État subventionne, par ses institutions, des événements qui nourrissent la haine antijuive sous couvert d’antisionisme, il ouvre la voie à un antisémitisme d’État.

Certes, nul décret, nul texte ne vient instituer cette haine. Mais elle s’infiltre, subtile, dans le discours dominant, par la caution donnée à ceux qui propagent l’idée que le Juif d’aujourd’hui

— celui qui se défend à Tel-Aviv — serait le nouveau bourreau.

Ainsi s’opère l’inversion morale du siècle : la Shoah n’est plus un avertissement universel, mais un prétexte à accuser ses victimes. Hannah Arendt l’avait pressenti : « Le mensonge idéologique n’est pas un simple mensonge ; il est un instrument de domination. »

C’est ce mensonge-là que nos élites culturelles propagent, souvent sans même en mesurer la portée. Elles veulent être du côté du bien, et finissent du côté du mal.

Il n’y a pas d’équilibre possible entre ceux qui kidnappent des enfants et ceux qui cherchent à les sauver. Il n’y a pas d’équivalence entre une démocratie imparfaite et une organisation génocidaire. Et il n’y a pas de neutralité possible quand l’Université devient l’écho de la haine.

Le Collège de France devait incarner l’esprit des Lumières. Il trahit cet héritage lorsqu’il fait de la haine éclairée une discipline académique. L’histoire nous enseigne que la banalisation précède toujours la persécution. Après la presse, après la rue, voici venu le temps où l’antisémitisme s’enseigne dans les amphithéâtres.

Quand la haine se fait institution

L’épisode révèle une dérive profonde : la normalisation du discours de haine au cœur même des institutions savantes. L’université, censée éclairer, devient parfois le relais de la haine la plus ancienne du monde : celle qui change de nom à chaque époque mais ne change jamais de cible. Et quand ces discours sont validés, subventionnés, promus par des institutions publiques, l’État se rend complice, fût-ce par naïveté ou laxisme, d’un antisémitisme d’État latent.

Car il ne suffit pas qu’un ministre condamne l’antisémitisme dans les rues ; encore faut-il qu’il n’en tolère pas l’émergence dans les amphithéâtres.

Un tournant moral et républicain

L’annulation du colloque est une victoire de la raison sur la déraison, mais aussi un aveu : la République vacille lorsqu’elle perd le sens de ses propres lignes rouges. On annule non parce qu’on censure, mais parce qu’on reconnaît qu’on a failli : en laissant la haine se dissimuler sous les oripeaux du savoir.

Il revient désormais aux institutions publiques de redéfinir les conditions de leur propre liberté : la liberté académique n’est pas le droit d’enseigner la haine, mais le devoir d’éclairer sans détruire.

Conclusion : une alerte pour toute la République

Le Collège de France devait incarner l’esprit des Lumières. Il a vacillé sur la ligne qui sépare la critique légitime de la compromission morale. L’annulation du colloque du 13-14 novembre n’est pas un simple incident ; c’est un signal d’alarme : lorsque la haine devient érudite, l’antisémitisme d’État n’est plus un spectre du passé, mais un risque du présent.

© Richard Abitbol

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