
I. Le 7 octobre : l’apocalypse morale
Il y a des jours où la civilisation se regarde dans le miroir et ne se reconnaît plus. Le 7 octobre 2023 fut de ceux-là.
Ce matin-là, au cœur de la torpeur sabbatique, la barbarie a parlé son langage natif : celui de la mort joyeuse, de la cruauté filmée, du triomphe obscène. Ce ne furent pas des combattants, mais des tueurs. Des hommes en armes, des jeunes gens ivres de Dieu, pénétrant dans les maisons, abattant des vieillards, violant des femmes, découpant des corps. Et tout cela, non dans la fureur aveugle de la guerre, mais dans la jubilation du spectacle. Le meurtre mis en scène, le sang érigé en communication, la terreur devenue performance.
C’est là que s’est jouée l’entrée du mal dans l’époque numérique : une barbarie en direct, offerte à la compassion et au voyeurisme d’une humanité connectée. Les victimes n’étaient plus des individus, mais des images : destinées à disparaître dans le flux, absorbées par le vacarme moral des réseaux.
Et pourtant, ce jour-là, ce n’est pas seulement Israël qui a été attaqué, mais tout ce que l’Occident prétend encore défendre : la souveraineté, la liberté, la vie.
La réponse du monde fut à la mesure de sa décomposition : une indignation fugace, suivie d’un renversement spectaculaire. Très vite, la victime devint coupable. Les égorgeurs devinrent résistants, les massacrés, oppresseurs.
Le monde médiatique, ce grand tribunal de la lâcheté, parla de “contexte”, d’“humiliation”, de “désespoir”. La sociologie prit la place de la morale, et le meurtre fut justifié au nom de l’histoire.
On ne juge plus, désormais : on comprend. C’est cela, la grande maladie du siècle : comprendre le mal pour mieux le dissoudre dans la psychologie des peuples.
Ainsi la barbarie s’est trouvée une excuse.
Ainsi l’Europe, vieille prostituée des valeurs universelles, s’est prosternée devant ceux qui la haïssent.
Ainsi, la conscience morale occidentale s’est purifiée à bon compte, en trouvant dans la douleur des Israéliens une preuve de sa propre supériorité compassionnelle.
Le 7 octobre ne fut pas seulement un massacre : il fut une révélation. Celle d’une époque où l’indignation remplace la pensée, et où la haine, pourvu qu’elle s’exerce contre le bon ennemi, devient vertu.
II. Les pédagogies de la haine
Les peuples ne naissent pas haineux : ils le deviennent.
Le mal collectif ne surgit jamais ex nihilo ; il s’apprend, il s’enseigne, il s’inculque, patiemment, méthodiquement, par des mots, des images, des récits.
C’est ainsi que naissent les rêves génocidaires — ces songes d’effacement total, où un peuple tout entier se convainc que son salut passe par la disparition d’un autre.
Les Allemands eurent leur völkisch, les Hutus eurent la Radio des Mille Collines, les Maoïstes eurent leurs purges pédagogiques : à chaque époque sa langue d’extermination.
Et notre temps n’y échappe pas : dans certains manuels scolaires du Proche-Orient, le Juif n’est pas un homme mais une tache, une anomalie de l’histoire, un intrus dans la Oumma.
Depuis des décennies, on élève les enfants à la haine comme on les élève au courage. On leur apprend la carte imaginaire d’un monde sans Israël. On leur dit que le sang des martyrs vaut mieux que la vie, que la mort est une victoire. L’enfant n’apprend pas seulement à lire : il apprend à haïr.
Cette éducation est politique, théologique, économique, symbolique.
Elle s’appuie sur une machinerie d’institutions : l’UNRWA, unique au monde, qui perpétue à l’infini le statut de réfugié, comme si la misère devait devenir héréditaire ; les médias arabes, qui nourrissent la colère et la rancune ; les élites occidentales, qui encouragent cette haine sous couvert de solidarité.
Tout cela compose une industrie de la victimisation, où la souffrance devient rente, et la revanche, horizon moral.
La haine n’est plus un vice : c’est une dignité. Le meurtre, un acte de justice. La mort, un sacrement.
Et l’Occident applaudit, tétanisé par sa propre culpabilité. Il confond la compassion et la soumission, la justice et la vengeance. Il s’agenouille devant ceux qui brûlent ses symboles, il subventionne ceux qui rêvent de sa disparition.
Car il faut bien comprendre : le rêve génocidaire n’est pas seulement tourné contre Israël. Il vise, à travers lui, l’Occident tout entier — cet Occident décrié, malade, démissionnaire, qui n’ose plus se défendre de peur d’avoir tort.
Détester Israël, c’est détester ce qui reste d’Occident : la raison, la loi, la souveraineté, la mémoire de la Shoah, la honte d’avoir survécu.
L’antisionisme n’est plus une opinion : c’est la métaphysique de la haine moderne.
III. La complicité occidentale
Mais la question n’est plus dans les camps du Proche-Orient.
Elle est ici, chez nous : dans les rues d’Europe où l’on crie From the river to the sea sans comprendre que cette phrase signifie l’effacement d’un peuple. Dans les universités américaines où l’on célèbre le Hamas comme on célébrait jadis Che Guevara. Dans les plateaux télé où les journalistes, bardés de moraline, accusent Israël d’être ce qu’ils n’ont pas le courage de nommer ailleurs : un rempart.
Le 7 octobre n’a pas seulement révélé la barbarie des tueurs : il a révélé notre propre barbarie douce — celle du déni, du relativisme, de la lâcheté.
Nous sommes devenus les clercs du renversement moral : ceux pour qui la culpabilité occidentale doit être payée par procuration. Et quoi de mieux, pour expier, que de désigner Israël comme le miroir de nos crimes ?
L’Europe, lassée d’elle-même, se lave les mains dans le sang juif. Elle retrouve, sans le savoir, la vieille jubilation des temps obscurs : accuser le Juif pour ne pas se regarder.
C’est là le secret obscène du progressisme contemporain : il hait le Juif en se croyant antiraciste, il justifie le meurtre en se croyant humaniste, il adore la victime quand elle tue au nom du Bien.
Nous assistons à une mutation religieuse.
La gauche a perdu ses ouvriers ; elle s’est trouvé un nouveau prolétariat dans les peuples de la colère. Elle a remplacé la lutte des classes par la lutte des races, le prolétaire par le Palestinien, le fascisme par Israël.
C’est une religion sans Dieu mais avec des martyrs. Une liturgie sans pardon, mais avec des slogans. Une foi sans transcendance, mais avec des haines d’appoint.
Le Palestinisme est devenu l’ultime refuge des consciences épuisées, la dernière croisade d’une Europe sans foi ni courage.
Et pourtant, tout est là : si Israël n’existait pas, il faudrait l’inventer — pour que l’Occident puisse continuer à se haïr lui-même.
Car Israël, dans sa solitude, incarne ce que nous avons trahi : la persévérance, la défense de soi, le refus de mourir. Il rappelle à l’Europe que la faiblesse n’est pas une vertu, que la paix n’est pas une abdication, que le mal n’est pas une illusion.
Et c’est pour cela qu’on le hait : parce qu’il vit encore.
Alors oui, le rêve génocidaire existe — mais il n’est pas seulement celui de ceux qui crient vengeance. Il est aussi celui de ceux qui ferment les yeux, qui relativisent, qui se taisent. Le mal, aujourd’hui, ne se cache plus dans les camps de la mort : il siège dans les consciences confortables de nos métropoles, dans les plateaux de télévision, dans les sermons universitaires, dans les ONG moralisantes.
Nous sommes les complices muets de la haine que nous feignons de combattre
Nous sommes les complices muets de la haine que nous feignons de combattre.
Le 7 octobre fut un test. Nous l’avons échoué.
Et l’histoire, qui n’a jamais pitié des lâches, nous le fera payer — non par le sang, peut-être, mais par la honte.
La honte d’avoir voulu comprendre le mal au lieu de le combattre, d’avoir préféré la morale à la vérité, et d’avoir abandonné ceux qui défendent encore le droit de vivre dans un monde qui se rêve sans eux.
© Charles Rojzman
En vente chez FYP Éditions :
En ligne, aux adresses suivantes :