Tribune Juive

ll faut un coupable, un visage où déposer sa jalousie et ses rêves ratés. Alors on ressort les Juifs. Par Nataneli

Ils ont réveillé la bête, vous savez, celle qu’on prétendait tenue en laisse dans la cave des familles, avec les portraits jaunis et les secrets murmurés après le café. On aime se raconter que la France entière descend de résistants. Mais les chiffres, eux, ne font pas de roman : dix mille résistants pour cinquante millions d’habitants. Les comptes ne sont pas bons, Kevin. Cela ne signifie pas que la France serait vouée à la nuit, mais qu’une part d’elle n’en est jamais sortie.

C’est de cette part-là que je parle. La face cachée du pays, celle qui sabote « liberté, égalité, fraternité », qui rêve de fissurer le socle humaniste de la République. Elle n’est pas la France, elle en est la mauvaise herbe. On la croyait flétrie par la honte d’après-guerre ; elle s’était seulement couchée très bas, attendant que les mémoires se fatiguent.

Et puis, sur fond de conflit géopolitique, tout est revenu. On interdit des Juifs dans un parc des Jeux olympiques. Des livreurs refusent de les servir. Les tribuns de la France insoumise déversent chaque jour leur propagande, sans gêne, sans masque. On boycotte Carrefour parce que l’enseigne « collabore » avec des Israéliens, Israélites, Hébreux, Juifs, peu importe le mot dès lors que l’amalgame suffit. On boycotte un concert, un orchestre venu jouer la vie au milieu du chaos. La bête ressort en costume propre : une pancarte, un slogan, un boycott bien repassé, et soudain l’air reprend cette odeur de cave humide qui colle aux murs de notre histoire.

Ce n’est pas nouveau. Au Moyen Âge, pour nous effacer, on nous rêvait empoisonnant les puits, profanant les hosties, marchandant avec le diable. À la fin du XIXᵉ siècle, ils ont fabriqué le grand récit du complot juif, avec ses banquiers tentaculaires et ses journaux vendus à une main invisible. Puis les faux sages de Sion ont déversé leurs pages menteuses, et une Europe sans éducation a avalé ce poison comme un remède miracle, censé guérir toutes les défaites et toutes les humiliations dont elle refusait d’assumer la responsabilité.

Nous, ceux qu’ils appellent les « nègres d’Europe » quand ils se croient entre eux, nous les dérangeons depuis si longtemps que cela ressemble presque à une tradition nationale. On change le vocabulaire, on repeint les façades, on parle de géopolitique, de causes justes, de lutte contre « l’entité sioniste », mais dessous la chanson reste la même : il faut un coupable, un visage où déposer sa jalousie et ses rêves ratés. Alors on ressort les Juifs, disponibles, à portée de haine.

Et maintenant, qu’est-ce que cette fraction rouge de la France nous prépare, celle qui siffle un orchestre parce qu’il vient d’Israël ? L’expulsion maquillée en procédure impeccable, tamponnée et classée ? Des ghettos modernisés, avec fibre et carte de fidélité pour faire plus présentable ? Un shtetl version République, relégué au bout d’une banlieue, sous un panneau discret ? Une zone juive, entre enclos et vitrine, où l’on viendrait nous observer le dimanche après-midi, après le brunch ?

La Shoah a déjà été organisée avec des bureaux, des fichiers, des uniformes et des signatures. La France n’a pas manqué de zèle. Et malgré cela, il suffit aujourd’hui d’un parti bolchévique se disant radical, d’alliances douteuses avec les salafistes, pour que la bête vichyste remonte à la surface, couverte de nouveaux slogans mais nourrie des mêmes haines recyclées.

Pourtant, cette part-là n’est pas la France. Elle en est l’ivraie. Nous sommes encore debout, et nous savons jardiner la République. Nous savons reconnaître les têtes de l’hydre, nous les avons déjà affrontées. Nous les trancherons encore, chaque fois qu’elles surgiront du sol, parce que ce pays ne leur appartient pas. Le socle humanitaire de la République est notre maison, et nous n’avons pas l’intention de la leur laisser.

©️ Nataneli

Nataneli Lizee est Journaliste et Correspondante de Presse

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