Tribune Juive

Les nouveaux convertis de l’Amérique morale. Par Paul Germon

On croyait les bûchers éteints.
Ils ont changé de combustible.
Ce n’est plus le bois ni le Zyklon B qui brûlent,
c’est la mémoire.
L’Inquisition a pris l’accent américain : elle s’exprime dans les universités, les ONG et les plateaux télé.
On n’y brûle plus les Juifs ; on les explique.

L’eau bénite du progressisme

Autrefois, on se convertissait pour sauver sa vie.
Aujourd’hui, on se convertit pour sauver sa carrière.
Le nouveau baptême s’appelle déconstruction.
On s’y purifie du soupçon d’identité, on s’y confesse d’avoir trop d’histoire.
Le péché originel ? Être juif sans s’excuser.

Les campus américains, jadis phares de la liberté, sont devenus les sacristies d’une morale sans nuance.
On y apprend que tout peuple mérite compassion – sauf celui qui a survécu à tous les pogroms.
Là-bas, la charité universelle s’arrête toujours à Jérusalem.

Les nouveaux inquisiteurs

Ils s’appellent Judith Butler, feu Noam Chomsky, Linda Sarsour, Marc Lamont Hill, Zohran Mamdani.
Cinq visages d’une même tentation : celle d’être aimés du monde.
Butler, philosophe de Berkeley, voit dans le Hamas une “résistance” et dans Israël une faute morale.
Chomsky, immense esprit glacé, plaça la neutralité au-dessus de la vérité.
Sarsour, héroïne de la gauche new-yorkaise, parle d’inclusion en excluant les sionistes.
Lamont Hill, star médiatique déchue d’avoir cru que “du fleuve à la mer” était un poème.
Mamdani, jeune candidat à la mairie de New York, trouve plus urgent de boycotter Israël que de protéger les Juifs de Brooklyn.

Autour d’eux, un chœur d’associations – Jewish Voice for Peace, sections “woke” des universités, tribunes de salon et réseaux sociaux – forme la nouvelle Inquisition : on y excommunie l’attachement à Israël comme une hérésie, on y glorifie la repentance comme un diplôme.

Les enfants gâtés du peuple juif

Ils sont, pour beaucoup, les enfants gâtés du peuple juif.
Ils oublient ce qu’il a fallu de misère, de courage, de morts, de sueur et de sang pour qu’ils puissent aujourd’hui pontifier, du haut de leur chaire, sur la souffrance de tous les peuples – sauf celle du leur.
Ils invoquent l’héritage juif quand il leur sert à paraître victimes, et s’en lavent les mains quand il risquerait de rappeler qu’être juif n’est pas une posture mais une fidélité.
Ils ont hérité de la liberté ; ils en ont fait une anesthésie.

L’universalisme sans mémoire

Leur universalisme est à sens unique.
Ils compatissent à Gaza mais s’indignent à voix basse quand une synagogue est profanée.
Ils pleurent pour la Nakba, ils brandissent ce mot comme un talisman moral, mais ne veulent pas savoir qu’au même moment, près de 800 000 Juifs furent expulsés des pays arabes où ils vivaient depuis vingt siècles – dont votre serviteur.
Chassés, dépouillés, exilés.
Mais pour ceux-là, aucun mot.
Pas de Nakba, pas de commémoration, pas de larmes.
Quel nom donner à cet arrachement ?
La Seconde Sortie ? La Naksa ? Non, rien : le vocabulaire de la douleur a déjà été réservé.

Ils ignorent – ou feignent d’ignorer – que ces 800 000 Juifs d’Orient ont laissé derrière eux des biens évalués aujourd’hui à plus de 2 600 milliards de dollars, et qu’ils ont refait leur vie, sans plainte, dans un pays minuscule, à peine sorti du désert, et dans les rares pays occidentaux qui ont bien voulu les accueillir.
Aucun pays arabe, pas un seul, n’a ouvert ses frontières à ces exilés, leurs anciens voisins, leurs coreligionnaires de langue et de culture.
Les Arabes, eux, ont fait de leurs réfugiés un héritage politique, non un drame humain : ils les ont gardés dans des camps, génération après génération, les maintenant sous perfusion d’ONU et de rancune.
Cinq générations plus tard, le statut de “réfugié” reste pour eux un titre de gloire et un instrument d’accusation.
Les uns ont reconstruit, les autres ont ressassé.
La différence entre Israël et ses voisins se résume à cela : les uns ont bâti un pays, les autres un prétexte.

Les conversos de la modernité

Comme les convertis de l’Espagne du XVe siècle, ils brûlent leurs origines pour obtenir un brevet de respectabilité.
Torquemada, on le sait, était d’ascendance juive ; Thérèse d’Avila aussi.
Les uns servaient la croix, les autres servent la cause.
Le procédé est identique : se purifier en se reniant.
Autrefois on versait de l’eau bénite, aujourd’hui on verse des larmes humanistes.

Les complices de la meute

Le plus terrible, c’est qu’ils ne s’en rendent même pas compte.
À force de vouloir être du bon côté, ils se retrouvent dans la même file que les mollahs, les fanatiques, les néo-nazis recyclés et les tyrans en burnous.
Ils détestent la violence, mais leur langage en nourrit d’autres.
Ils ne tuent personne ; ils justifient ceux qui le feront.

L’aveuglement raffiné

La haine de soi n’est plus une maladie : c’est un raffinement intellectuel.
On ne se renie plus par honte, mais par élégance.
Dans leurs mains, la morale devient un accessoire de prestige.
Ils citent Spinoza, pleurent sur “l’Autre” et ferment la bouche quand l’Autre tire sur un bus scolaire.

Conclusion

Les Juifs américains ne sont pas tous ainsi.
Beaucoup, au contraire, gardent la mémoire droite et la conscience claire.
Mais une minorité bruyante a choisi le confort du reniement.
Ils se croient modernes ; ils rejouent Tolède.
Ils se croient universels ; ils s’effacent.

Le peuple juif survivra encore à ses convertis, comme il a survécu à ses bourreaux.
Mais il n’oubliera pas ce qu’il aura perdu : la fierté de ceux qui ont tout enduré pour que leurs enfants puissent, un jour, ne plus avoir honte d’être Juifs.
Et quand ces nouveaux inquisiteurs de la vertu auront fini d’écrire l’Histoire à l’encre morale, ils seront sans doute canonisés par la Sainte Bien-pensance, cette Église laïque qui distribue les auréoles à ceux qui effacent les Juifs avec de bonnes intentions.

© Paul Germon

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