La Russie de Poutine : entre paranoïa, héritage soviétique et anti-occidentalisme – Par Nicolas Carras

Depuis plus de vingt ans, Vladimir Poutine et le Kremlin développent un discours profondément anti-occidental, structuré, constant, et de plus en plus agressif. Ce discours n’est pas seulement politique : c’est une vision du monde. Il oppose une Russie « spirituelle, traditionnelle, victime » à un Occident décrit comme « décadent, corrompu, dépravé et dominateur ».

La Russie que Poutine décrit n’a jamais existé telle qu’il la décrit : c’est une pure construction mythologique, une fantasmagorie réactionnaire destinée à justifier un pouvoir autoritaire et un nationalisme dur. Cette vision occulte sciemment la réalité historique.

Bien avant le soviétisme, la Russie impériale a commis d’innombrables horreurs, tant à l’intérieur de ses frontières qu’à l’extérieur. Massacres, répressions sanglantes, déportations, politiques d’assimilation forcée — notamment contre les Ukrainiens et les peuples du Caucase — sont autant de crimes ignorés ou minimisés dans le récit officiel.

En se posant en victime d’un Occident hostile, Poutine fait oublier que la Russie a largement participé à sa propre décadence, qu’elle a elle-même perpétré des violences systémiques et des régimes oppressifs. Loin d’être une nation pure ou martyrisée, la Russie est un État profondément marqué par un passé violent, auquel elle doit faire face avec lucidité plutôt que le travestir en une nostalgie réactionnaire et dangereuse.

Aussi :

Depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, de nombreuses figures de l’opposition politique, des journalistes, des militants des droits humains, et des critiques du régime ont disparu, été arrêtées, ou contraints à l’exil.

Le nombre exact reste difficile à établir, tant la répression s’exerce dans l’opacité, mais les cas s’accumulent : empoisonnements suspects, assassinats ciblés, emprisonnements arbitraires, ou menaces constantes pèsent sur ceux qui osent défier le Kremlin.

Parmi les opposants emblématiques, Garry Kasparov, ancien champion du monde d’échecs devenu activiste politique, a dû quitter la Russie en 2013 face à une pression grandissante, craignant pour sa liberté et sa sécurité.

Son exil symbolise la trajectoire de nombreux dissidents contraints à l’exil pour échapper à la répression politique, témoignant du climat de peur et d’intimidation instauré par le régime poutinien.

Le discours anti-occidental du Kremlin

Poutine et ses idéologues ont multiplié les déclarations visant à présenter l’Occident comme l’ennemi existentiel de la Russie.

L’ Occident est présenté comme décadent, impérialiste et moralement corrompu. Victime d’un encerclement stratégique. La confrontation n’est pas seulement géopolitique, mais civilisationnelle
— entre un monde multipolaire (défendu par Moscou) et un Occident jugé hégémonique. Elle ne cherche pas à dialoguer : elle cherche à isoler et à mobiliser.

Elle place la Russie dans une posture d’assiégée, martyrisée, justifiant toutes les violences, tous les mensonges, au nom de la survie nationale.

Parmi les plus marquantes :

« Nous ne ferons pas partie de leur monde satanique. » – (discours du 30 septembre 2022, jour de l’annexion illégale des régions ukrainiennes)

« L’Occident veut détruire la Russie de l’intérieur, nous diviser et nous voler notre souveraineté. »

« La russophobie est devenue un marqueur du fascisme en Europe. »

« L’Occident déteste notre spiritualité, notre identité, notre civilisation. »

« Ils continuent de traiter les autres pays comme des colonies, et les peuples qui y vivent comme des êtres de seconde catégorie, parce qu’ils se considèrent comme exceptionnels. C’est encore la logique de l’impérialisme occidental. » – (Discours de Vladimir Poutine, cité par l’Atlantic Council)

« L’idée libérale a fait son temps. Elle est devenue obsolète. » – (Entretien accordé au Financial Times, sommet du G20, Osaka, 2019 — repris par Time Magazine)

« L’Occident a oublié ce que signifie la dignité humaine. Il impose sa vision du monde, détruit les valeurs traditionnelles et veut effacer la mémoire des peuples. » – (Discours de Poutine à Valdaï, octobre 2022)

« Ils ont besoin d’un ennemi pour justifier leur domination. Ils veulent contenir la Russie, l’étrangler économiquement, la diviser intérieurement, mais ils échoueront. » – (Discours à la nation, mars 2023)

Le double discours des pro-Poutine occidentaux

Fait frappant : certains admirateurs de Poutine en Europe dénoncent avec virulence l’anti- occidentalisme islamiste ou le gauchisme anti-occidental, mais restent silencieux — voire complaisants — face à l’anti-occidentalisme russe.

Ils voient en Poutine un « défenseur des valeurs traditionnelles », un rempart contre le wokisme, contre l’immigration, contre le nihilisme occidental.

Mais ils ferment les yeux sur le fait que le Kremlin produit une propagande violemment anti- européenne, anti-occidentale, qui alimente les mêmes fantasmes de déclin et de complot que ceux des idéologies qu’ils prétendent combattre.

En vérité, le discours poutinien relève de la même logique que celle de l’islamisme politique :
il se nourrit de la haine de l’Occident, de la conviction que tout mal vient de lui, et qu’il faut s’en purifier.

Simplement, le lexique change : ce n’est plus « Allah contre les mécréants », c’est « la Russie spirituelle contre l’Occident dévoyé ».

L’héritage soviétique jamais renié

Poutine, Staline et le culte des morts

Sous Poutine, des bustes de Staline ont été réinstallés un peu partout en Russie. Des musées glorifient le dictateur comme un « grand chef militaire ».
Les manuels scolaires ont été réécrits pour présenter le stalinisme sous un jour « patriotique ».

Pire : l’association Memorial, qui œuvrait à préserver la mémoire des victimes du goulag, a été interdite en 2021.

Autrement dit, on efface les victimes, on restaure le bourreau.

L’État russe assume aujourd’hui pleinement une nostalgie post-soviétique, une glorification de la force au détriment de la vérité.Poutine n’a jamais condamné le communisme.

Il l’a au contraire réhabilité partiellement, en le présentant comme une époque « de grandes réalisations sociales ».

Quelques citations suffisent :

« L’effondrement de l’Union soviétique a été la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle. »

« L’ordre et la discipline, les valeurs de la société soviétique, sont ce dont nous avons besoin aujourd’hui pour assurer la stabilité et la prospérité. » (2018)

« Le communisme a été une époque difficile, mais aussi une époque de grandes réalisations sociales, de justice sociale et d’égalité. » (2016)

Autrement dit, il ne rejette ni le système totalitaire, ni la logique d’État tout-puissant, ni la mythologie impériale.

Il voit dans le soviétisme une matrice d’ordre et de puissance.

Le lien avec Lénine

Poutine cite souvent Lénine — non pour ses idées marxistes, mais pour sa conception d’un État fort, discipliné, centralisé.

Mais dans plusieurs discours, il lui reproche aussi d’avoir « posé une bombe sous la Russie » en ayant créé des républiques fédérées avec un droit à la sécession.

En somme, il se positionne comme héritier de l’URSS, mais contre l’idée d’autonomie des peuples : une synthèse du tsarisme et du soviétisme.

Le mépris de la vie humaine

Les guerres menées par Poutine — Tchétchénie, Syrie, Ukraine — se caractérisent par un mépris absolu pour la vie humaine.

Bombardements massifs de civils, tortures, villages rasés, hôpitaux visés.

Et aujourd’hui, des milliers de corps de soldats russes abandonnés en Ukraine, non rapatriés, pour éviter les chiffres des pertes.*

Aucune diplomatie n’a été mise en place pour les récupérer rapidement. C’est contraire aux lois de la guerre.
Cela en dit long sur la psychologie du pouvoir : froide, instrumentale, sans empathie. Une logique de mort au service de l’image de puissance.

Une société brisée sous le vernis moraliste

Malgré la rhétorique « traditionaliste » du Kremlin, la Russie d’aujourd’hui est l’un des pays les plus brisés du monde développé :

Taux de divorce et d’avortement parmi les plus élevés au monde. Alcoolisme endémique, pauvreté massive, corruption systémique. Espérance de vie masculine effondrée.
Criminalité organisée et effacement de l’État de droit. Déclin démographique irréversible.

Derrière les discours sur la morale, la religion et la patrie, c’est une société désespérée, cynique, démoralisée.

Un empire en ruine spirituelle, qui se tient debout uniquement par la peur, la propagande et la nostalgie.

Le fléau des féminicides en Russie

La Russie affiche l’un des taux de féminicides les plus élevés d’Europe, se classant souvent juste derrière la Lettonie. Ce phénomène tragique est l’aboutissement d’un ensemble complexe de facteurs culturels, sociaux et institutionnels. Le pays reste profondément ancré dans des valeurs patriarcales -mais il s’agit d’un « patriarcat dégradé- où la domination masculine et la violence familiale sont largement banalisées. La décriminalisation partielle de la violence domestique en 2017 a affaibli la protection juridique des femmes, renforçant l’impunité des agresseurs. Cette situation est aggravée par une crise socio- économique persistante, un fort taux d’alcoolisme et une stigmatisation sociale qui isolent les victimes et freinent leur recours à la justice. Par ailleurs, le contexte militarisé et les tensions liées aux conflits régionaux renforcent un climat de violence omniprésent. Résultat : près de la moitié des femmes tuées en Russie le sont dans le cadre familial, un chiffre dramatique qui souligne l’urgence d’une réforme profonde, à la fois juridique et culturelle, pour protéger les femmes et faire cesser ce cycle meurtrier.

La pauvreté en Russie

La Russie contemporaine vit une pauvreté silencieuse, profonde, presque invisible à l’étranger. Dans les grandes villes, la façade modernisée masque à peine la misère des campagnes, des petites villes industrielles, des régions abandonnées de Sibérie. Des millions de Russes survivent avec l’équivalent de 250 à 400 euros par mois. Les infrastructures se délitent, les hôpitaux manquent de tout, les écoles ferment. L’État dépense sans compter pour la guerre, mais laisse ses anciens soldats et ses familles dans la détresse. La Russie vit dans une économie d’extraction — pétrole, gaz, métaux — sans véritable classe moyenne, sans mobilité sociale. La pauvreté y est

structurelle, inscrite dans la verticalité du pouvoir et l’archaïsme du modèle économique : le pays ne produit pas de richesse, il la pompe.

Crise structurelle et inégalités du système hospitalier russe

Le système hospitalier russe traverse une crise profonde marquée par un sous-financement chronique, une pénurie croissante de personnel médical qualifié et de fortes inégalités territoriales. Si les grandes métropoles bénéficient encore de structures relativement modernes, les régions rurales ou éloignées souffrent d’un accès limité aux soins de qualité, accentué par un matériel souvent obsolète et des conditions d’hygiène dégradées. Par ailleurs, la corruption endémique pousse de nombreux patients à recourir à des paiements informels pour obtenir ou accélérer des soins, creusant ainsi les inégalités. Cette situation, exacerbée par une gestion centralisée lourde et bureaucratique, a été particulièrement visible lors de la pandémie de Covid-19, où les hôpitaux ont peiné à faire face à la demande. Au final, ce système hospitalier affaibli compromet gravement la santé publique et la confiance des citoyens envers leurs institutions.

Une économie centralisée, militarisée et faussement prospère

Le PIB par habitant russe, autour de 15 000 dollars, paraît à première vue honorable, mais ce chiffre est trompeur. Il ne dit rien de la structure réelle de la dépense publique ni de la répartition effective des richesses. En Russie, une part massive du budget est absorbée par l’appareil d’État
— bureaucratie, forces de sécurité, et surtout armée. En 2025, près de 40 % du budget fédéral est consacré à la défense et à la sécurité intérieure, tandis que la santé, l’éducation ou les infrastructures civiles restent chroniquement sous-financées. Le système économique russe repose sur un capitalisme d’État militarisé, héritier du soviétisme, où les oligarques proches du pouvoir captent les profits, et où la population, en dehors de Moscou et Saint-Pétersbourg, survit souvent avec des salaires médians inférieurs à 400 euros par mois. Ainsi, le PIB par habitant ne reflète pas la prospérité d’un peuple, mais la concentration des ressources dans un État qui se conçoit avant tout comme une machine de puissance et de contrôle.

Absence de liberté économique, d’innovation et d’initiative locale

Dans la Russie de Poutine, l’économie régionale vit sous tutelle administrative permanente. Les gouverneurs, nommés par le Kremlin, répondent avant tout à la hiérarchie politique, non aux besoins économiques locaux. Cette verticalité du pouvoir — la fameuse « verticale du pouvoir » vantée par Poutine — étouffe toute initiative privée indépendante. Les entrepreneurs des régions pauvres, souvent soumis à des contrôles arbitraires, à la corruption et à des taxes imprévisibles, préfèrent se tourner vers la survie informelle ou l’émigration plutôt que de risquer un projet.

Les institutions économiques censées encourager l’innovation sont instrumentalisées par l’État : les subventions vont aux entreprises « amies » du régime, souvent liées au complexe militaro- industriel ou à des oligarques proches du pouvoir. Les régions périphériques — Sibérie, Caucase, Oural — restent enfermées dans une économie d’extraction (gaz, pétrole, minerais) sans diversification, ni investissements dans la recherche ou les technologies civiles.

Cette absence de liberté économique se traduit par un effondrement de l’innovation : la Russie produit très peu de brevets, ses universités sont marginalisées, et la fuite des cerveaux s’accélère depuis l’invasion de l’Ukraine. L’État prétend défendre la souveraineté économique, mais en réalité il a créé un capitalisme de cour, dépendant du centre, sans concurrence ni créativité.
La pauvreté des régions n’est donc pas seulement matérielle : c’est une pauvreté structurelle, née de la peur d’oser hors du contrôle du pouvoir.

L’anti-libéralisme classique

Poutine n’est pas seulement un autocrate : il est fondamentalement anti-libéral au sens classique du terme. Il rejette la philosophie politique de la liberté individuelle, de la responsabilité, de la séparation des pouvoirs. Pour lui, l’État n’est pas un arbitre neutre, c’est une force organique qui domine la société. Son modèle n’a rien à voir avec le libéralisme de Locke, Tocqueville ou Montesquieu : il en est la négation complète. Le droit n’y limite pas le pouvoir, il le sert. L’économie n’y est pas libre, mais contrôlée par des clans oligarchiques liés au Kremlin. L’homme libre y est suspect. Le citoyen autonome y est perçu comme une menace.

Conservatisme classique vs réactionnarisme poutinien

Le conservatisme classique — européen ou anglo-saxon — vise à préserver l’ordre, la continuité, les institutions et la liberté dans le respect du passé. Le réactionnarisme poutinien, lui, n’est pas conservateur : il est rétrograde. Il ne cherche pas à conserver mais à revenir en arrière, à figer la société dans un fantasme d’unité nationale et de soumission morale. Le conservateur traditionnel défend la loi naturelle, la responsabilité, la transmission. Le réactionnaire russe défend la peur, l’obéissance, la force. Le premier protège la liberté dans la durée ; le second détruit la liberté au nom de l’ordre. En cela, Poutine n’est pas un conservateur, mais un ingénieur du ressentiment, un fabricant de nostalgie autoritaire.

L’homme, un loup pour l’homme

Dans la culture politique russe, on répète souvent que « l’homme est un loup pour l’homme ». Cette vision sombre et fataliste de la nature humaine nourrit une justification du pouvoir absolu : si l’homme est intrinsèquement mauvais, il faut un chef fort, quasi divin, pour contenir le chaos. C’est une anthropologie désespérée, héritée à la fois du tsarisme et du soviétisme. Elle nie la possibilité de la responsabilité morale et politique. Elle remplace la confiance par la peur. Elle sert de matrice à un régime où la répression devient un acte de “protection”. Cette idée, profondément enracinée, explique pourquoi tant de Russes acceptent la violence d’État comme une nécessité naturelle.

Le Tsar mal-aimé

Poutine cultive délibérément l’image du Tsar mal-aimé. Il se présente comme celui qui souffre pour son peuple, incompris, méprisé par l’Occident, mais fidèle à sa mission de grandeur. C’est un rôle de tragédie politique : celui du souverain isolé, porteur du destin national, trahi par les élites, mais aimé des humbles. Cette posture romantique du pouvoir autoritaire lui permet de justifier tout — la censure, la guerre, la misère — comme le prix à payer pour sauver la Russie de l’humiliation. C’est une mise en scène permanente du martyr du pouvoir. Le Tsar n’est plus divin, mais il reste sacré dans la douleur. Chez Poutine, le culte du chef est celui d’un homme seul, obsédé par l’histoire, persuadé que sans lui, la Russie s’effondrerait.

Répression politique et détentions sous le régime Poutine

Depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en 2000, la répression politique en Russie s’est intensifiée, conduisant à l’incarcération de plusieurs milliers de personnes pour des motifs liés à leur opposition au régime. Bien que les chiffres exacts soient difficiles à établir en raison du manque de transparence, les ONG et observateurs estiment qu’entre 2 000 et 3 000 individus sont actuellement détenus pour des raisons politiques, certains étant envoyés dans des colonies pénitentiaires aux conditions souvent très dures, proches des anciens camps du goulag. Cette répression systématique s’inscrit dans une logique d’étouffement de toute dissidence, où les peines de privation de liberté deviennent un outil politique majeur pour neutraliser les voix critiques.

Antisémitisme, antisionisme et discours de Poutine sur Israël

En Russie, l’antisémitisme persiste sous des formes souvent mêlées à un antisionisme virulent. Ce dernier, bien que présenté officiellement comme une critique politique de la politique israélienne, glisse fréquemment vers des stéréotypes et des théories du complot à caractère antisémite.
Poutine, tout en affirmant soutenir la communauté juive russe et entretenant des relations diplomatiques avec Israël, adopte dans ses discours une rhétorique ambivalente, notamment sur la question palestinienne. Lorsqu’il évoque, la soi-disant…, occupation israélienne en Judée et Samarie, il condamne régulièrement ce qu’il présente comme une politique oppressive et illégitime, qualifiant parfois les actions israéliennes de « colonisation illégale » et dénonçant la « violence disproportionnée » exercée contre les Palestiniens.

Concernant la guerre contre le Hamas, il insiste sur la responsabilité de l’Occident dans l’aggravation du conflit. Son discours met souvent en scène Israël comme un acteur agressif, ce qui sert à nourrir une narration anti-occidentale plus large, où les alliés d’Israël sont perçus comme des ennemis de la Russie et du monde « multipolaire ». Cette instrumentalisation politique de la question israélo-palestinienne s’accompagne parfois d’un silence sur les violences commises par certains groupes palestiniens, renforçant une lecture partiale et souvent manichéenne.

Poutine a qualifié le Hamas de « mouvement politique » légitime, tout en condamnant la violence. Il a appelé à la fin des hostilités en prônant une solution diplomatique multipartite, sans toutefois exclure la responsabilité d’Israël dans l’escalade.

Lors de plusieurs allocutions, notamment au Conseil de sécurité de l’ONU et dans ses interviews, Poutine a critiqué la politique israélienne en Cisjordanie (Judée-Samarie) en qualifiant, la soi- disant…, colonisation de « violation du droit international » et dénonçant la « répression violente » contre les Palestiniens. Il a affirmé que la paix au Proche-Orient ne peut être imposée « par la force » et que les actions unilatérales d’Israël compromettent une solution négociée.

Le Kremlin présente souvent Israël comme un allié fidèle des États-Unis et de l’Occident, ce qui alimente la perception que ces derniers dominent injustement la région au détriment des intérêts russes et des peuples dits « opprimés ».

Dans des communiqués officiels et des articles d’agences proches du pouvoir comme Sputnik et RT, Israël est décrit comme un « instrument » ou un « relais » de la politique américaine, renforçant le narratif selon lequel l’Occident utilise le conflit israélo-palestinien pour maintenir son hégémonie mondiale.

Cette approche vise à se positionner en médiateur alternatif à l’Occident et à critiquer la politique américaine de soutien inconditionnel à Israël.

Cette rhétorique est largement relayée par les médias d’État russes, qui renforcent chez le public russe l’idée que la Russie défend un ordre international juste, contre un Occident « corrompu » et
« impérialiste ».

Les alliés d’Israël, en particulier les pays occidentaux et certains pays arabes pro-occidentaux, sont ainsi décrits comme des acteurs hostiles à la souveraineté russe et au projet de monde « multipolaire » que promeut Moscou.

Russie de Poutine, Hamas : la zone grise

Il n’existe pas de preuve directe que la Russie de Poutine ait financé le Hamas, mais un réseau d’indices troubles dessine une zone grise où se mêlent géopolitique, guerre de l’information et circuits opaques. Des armes d’origine russe ont été retrouvées dans les arsenaux du Hamas — certaines issues du marché noir, d’autres possiblement capturées en Ukraine avant d’être revendues via des réseaux intermédiaires. Des enquêtes signalent aussi l’usage par le Hamas de serveurs basés en Russie et de plateformes cryptographiques moscovites, utilisées pour faire transiter des millions de dollars hors du système bancaire traçable. Les services de renseignement ukrainiens affirment que Moscou aurait facilité certains transferts, voire fourni du matériel saisi sur le front, tandis que l’ambassadeur d’Israël à Moscou dément toute implication directe du Kremlin. Entre les analyses du think tank israélien INSS, les allégations venues de Kiev et les contre- discours officiels, se dessine un tableau brouillé : la Russie joue peut-être un rôle de facilitateur indirect, exploitant la porosité entre économie criminelle, diplomatie parallèle et zones de conflit, sans apparaître en surface. Rien n’atteste d’un financement étatique, mais tout suggère une tolérance, voire une instrumentalisation — typique de la stratégie russe : nourrir le chaos périphérique, affaiblir l’Occident, et garder les mains propres sur le papier.

Conclusion

En définitive, Poutine n’a pas sauvé la Russie du nihilisme qui la rongeait ; il l’a transformée en théâtre de sa propre paranoïa et de ses obsessions autoritaires. Son anti-occidentalisme ne constitue pas une véritable défense, mais une fuite en avant désespérée, une reconstruction mythologique destinée à masquer l’humiliation profonde d’un empire affaibli et fracturé.

Au cœur de ce système, le pouvoir se drape dans l’image tragique du « Tsar mal-aimé », seul garant d’un ordre qu’il prétend restaurer, mais qui n’est en réalité qu’une prison fondée sur la peur, la répression et la négation des libertés. Sa vision pessimiste et délirante de l’homme, envisagé comme un loup pour loup, légitime la nécessité d’un État omnipotent, arbitraire et implacable, qui écrase toute dissidence au nom d’une stabilité illusoire.

Cette Russie, loin d’être un conservatoire des valeurs traditionnelles, est un État réactionnaire figé dans une nostalgie mortifère du passé, un pays où la pauvreté, la corruption et la désintégration sociale gangrènent le quotidien, tandis que la vie humaine elle-même est instrumentalisée ou niée.

Pendant que certains en Europe continuent d’y voir un rempart contre la décadence, ils ne perçoivent pas que Poutine en est plutôt la caricature extrême : un chef sans compassion, héritier direct d’un régime de mort, qui a substitué le marxisme par un nationalisme de fer et une religion d’État cynique au service exclusif du pouvoir et de la survie personnelle.

Note

* Depuis le début du conflit en Ukraine, de nombreux rapports indépendants et enquêtes journalistiques ont révélé que des milliers de corps de soldats russes tués au combat n’ont pas été rapatriés. Selon le groupe d’investigation russe Conflict Intelligence Team (CIT), plusieurs centaines de dépouilles restent abandonnées dans des zones de combats intenses, notamment dans le Donbass et autour de Kharkiv, faute de coordination logistique ou par décision politique visant à minimiser l’impact médiatique des pertes¹. Des témoignages de soldats russes blessés ou démobilisés confirment cette pratique, dénonçant un « abandon » des morts sur le terrain². Par ailleurs, des images satellite et vidéos amateurs ont mis au jour des charniers improvisés dans des forêts et des plaines, confirmant la présence non prise en charge des corps³. Cette stratégie de non-rapatriement s’inscrit dans un effort systématique du Kremlin pour dissimuler l’ampleur réelle des pertes humaines, alors que les bilans officiels restent largement sous-estimés⁴.

¹ Conflict Intelligence Team, rapports 2023-2024, cit.team

² Témoignages recueillis par Meduza, 2023, meduza.io

³ Analyse par Bellingcat, 2023, bellingcat.com

⁴ Rapport Human Rights Watch, 2024, hrw.org

© Nicolas Carras


https://nicolascarras.wordpress.com/

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9 Comments

  1. Je crois que même Liberation, L’Express et Le Monde ne sont jamais allés aussi loin dans la caricature. Les témoignages au sujet des corps (de morts ou de blessés encore en vie) non évacués ne concernent pas l’armée russe mais l’armée ukrainienne dont les pertes sont gigantesques, ce qu’essaie de dissimuler le gouvernement de Kiev. Cela est reconnu par tous les médias et observateurs sérieux, y compris les Anglo-saxons qui soutiennent le camp ukrainien.

    • « Les témoignages au sujet des corps (de morts ou de blessés encore en vie) non évacués ne concernent pas l’armée russe mais l’armée ukrainienne »

      Les enquêtes indépendantes, dont celles menées par le groupe russe Conflict Intelligence Team (CIT) et des ONG internationales, documentent précisément le phénomène d’abandon des corps de soldats russes en Ukraine, notamment dans le Donbass et autour de Kharkiv. Plusieurs témoignages de soldats russes et de sources locales confirment cette réalité.

      Les pertes ukrainiennes sont, elles aussi, dramatiques et malheureusement bien réelles, mais cela ne doit pas servir à nier ou déformer les faits concernant les soldats russes non rapatriés, qui font l’objet de plusieurs rapports crédibles.

      • « “Il y avait deux corps de soldats russes près d’un dortoir démoli… Nous avons demandé s’il était possible de les enterrer, on nous a dit de ne pas les approcher – les corps pouvaient être minés…” » – Mme Ksenia Samoilova, 54 ans, résidant du village de Hrushivka (région de Kharkiv)

        « Les Russes laissent souvent leurs camarades sur les territoires repris par l’Ukraine. Nous les exhumons de sépultures spontanées, les recherchons dans les champs, les plantations forestières et les envoyons pour examen afin de les identifier plus précisément », déclare un soldat d’une unité de récupération ukrainienne (nom de code « Anton »). Il explique qu’il a exhumé « 403 corps » depuis mai 2022.

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