« Au KGB des départements étaient consacrés uniquement à la lutte antisioniste ». Un entretien exclusif pour TJ avec l’ancien commandant du KGB Sergueï Jirnov 

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       Interview réalisée par Frédéric Sroussi 

Tribune Juive : Sergueï Jirnov, présentez-vous à nos lecteurs, s’il vous plaît.  

Sergueï Jirnov : Je suis un ancien officier supérieur du KGB. En 1984, je suis entré dans ce qu’on appelle l’Institut Andropov, l’Institut du Drapeau rouge ou École de la Forêt qui est une école supérieure de formation du KGB. Je suis sorti de cette école en 1987 pour entrer d’abord dans l’appareil central du service d’espionnage, et après pour partir à l’étranger. 

T.J : Je crois que vous êtes entré dans « l’école du KGB » la même année que Vladimir Poutine. 

S.J : C’est ça, mais, moi je dis que c’est lui qui est entré à l’école du KGB en même tant que moi ! On a malgré tout une différence d’âge de 9 ans : il est né en 1952, et moi en 1961. Il est entré à Léningrad en 1975, il a d’abord travaillé dans le contre-espionnage et dans la police politique. Puis, il a été envoyé en 1984 à Moscou pour poursuivre ses études. Il avait 9 ans de plus que moi, donc il était déjà commandant, et moi j’étais lieutenant. 

T.J : Vous souvenez-vous du jour où vous l’avez rencontré ?

S.J : En fait nous avons suivi nos études dans des endroits différents. L’école d’espionnage du KGB possède quatre ou même cinq facultés qui se trouvent sur plusieurs sites. Nous nous sommes croisés le 29 août 1984. Ce jour-là on réunissait tout le personnel des quatre facultés sur le parking devant le Stade Loujniki, puis on nous a mis dans des bus… 

T.J : Quelle fut votre motivation pour entrer au KGB ? 

S.J : Partir à l’étranger. C’est aussi bête que ça. En Union Soviétique, on vivait en pleine Guerre froide avec le rideau de fer. C’était un pays protégé de l’étranger, et c’était quasiment impossible pour les Soviétiques d’aller au-delà des frontières de l’URSS, et c’était aussi très difficile pour les étrangers de venir en Union Soviétique. Il y avait aussi une motivation romanesque, et puis il faut dire que le KGB ne m’a pas vraiment laissé beaucoup le choix. Ils ont fait pression. En 1982, ils m’avaient approché, mais je leur avais dit non, je croyais que c’était fini, mais ils avaient des méthodes pernicieuses pour nous convaincre.

T.J : Donc à l’origine, le KGB est venu vous chercher. Il vous avait donc repéré comme un élément brillant capable de faire partie de leurs agents. 

S.J : C’est la méthode KGB ! Vous ne pouvez pas postuler au KGB. Il ne prend pas les gens qui demandent à travailler pour lui. D’ailleurs, Poutine n’aurait pas dû entrer au KGB si ce dernier avait respecté ses propres règles car lorsque Poutine avait 16 ans, il a toqué à la porte du KGB de Léningrad pour dire qu’il voulait travailler pour lui. Cela s’appelle dans notre jargon les « initiativnik  », c’est-à-dire des gens qui de leur propre initiative viennent proposer leurs services au KGB. Le KGB déteste ça ! 

C’est en fait très pensé : les psychologues ont étudié cela car être membre du KGB donne du pouvoir et une connaissance des secrets. Ils se disent donc que si les gens veulent ce pouvoir et connaître les secrets c’est qu’ils sont pervers. En fait, le fait d’avoir dit non au KGB en 1982 a paradoxalement fait augmenter mes chances ou mes risques d’y entrer…

T.J : N’y a-t-il pas aussi l’idée dans ce refus de prendre des volontaires, l’idée que si quelqu’un prend l’initiative de se présenter pour travailler au KGB, c’est peut-être qu’il est désireux d’infiltrer le service, d’être un agent étranger, alors qu’en choisissant ils se prémunissent contre cette menace ?

S.J : Oui, tout à fait. Bien évidemment.

T.J : Le KGB a été un rouage essentiel dans la politique d’antisémitisme d’État pratiqué par l’Union Soviétique, surtout après l’arrivée de Staline au pouvoir. Staline avait par exemple fait assassiner les membres du Comité antifasciste juif présidé par le grand acteur Solomon Mikhoels…

S.J : L’antisémitisme d’État a commencé avec le régime tsariste. 

T.J : Justement, la Révolution n’était-elle pas censée couper tout lien avec le régime tsariste, or on voit que ce n’est pas le cas quand il s’agit de l’antisémitisme, il n’en a rien été. Pourquoi ? 

S.J : C’est la logique qui voudrait ça…Les gens très mal intentionnés disent que la révolution d’Octobre a été faite par les Juifs. Ce qui en partie était vrai car de façon naturelle, les Juifs étant persécutés par le régime tsariste, ils sont donc entrés dans l’opposition. Il y eu donc beaucoup de Juifs qui ont participé à la Révolution, ils sont devenus les socio-démocrates. Si vous prenez les grands leaders de la Révolution : Trotski, Zinoviev, Kamenev, ils étaient tous Juifs. Mais, ils étaient tous aussi les concurrents de Staline. Peut-être que Staline n’était pas au début antisémite, mais il a vu autour de lui beaucoup de gens brillants qui étaient Juifs, et cela a dû lui faire tourner la tête, et il les a fait exécuter les uns après les autres. Le dernier fut Trotski assassiné au Mexique en 1940. Beaucoup de ceux qui avaient fait la Révolution furent tués par Staline car ils avaient la légitimité d’être les décideurs, et Staline qui était un petit machin de rien du tout, un bandit de grand chemin qui faisait des holdups en attaquant les banques, les voyait d’un très mauvais œil.  Staline n’était pas un grand théoricien, pas un leader. Trotski, Kamenev, Zinoviev…étaient beaucoup plus connus en URSS et à l’étranger que Staline à cette époque. Il fallait donc se débarrasser de toute ces personnes qui lui faisaient de l’ombre. Il y avait aussi une lutte au sein de l’appareil de renseignement où il y avait beaucoup de Juifs, puisqu’ils avaient vécu à l’étranger, parlaient les langues étrangères, c’était donc normal qu’on les intègre dans les services de renseignement. Ils avaient été persécutés par le régime tsariste, c’était donc tout à fait compréhensible qu’ils participent au soulèvement et à la Révolution. 

Le mouvement sioniste était très actif en Russie tsariste, mais à ce moment-là il n’était pas encore (au début du siècle) considéré comme un ennemi idéologique. La lutte contre le sionisme en Union Soviétique a commencé dans les années 1920, dès qu’il y a eu la Tcheka (la police politique créée en 1917) qui a pensé que le sionisme n’était pas idéologiquement acceptable car il proposait aux Juifs de quitter l’URSS. Très vite sont venues les purges staliniennes dans les années 1930, et là on s’aperçoit qu’il y a un caractère antisémite qui commence à s’imposer en Union Soviétique puisque par exemple dans les organes de sécurité de Lavrenti Beria, on recrutait surtout des Russes et des Ukrainiens. On avait dit aux Juifs qu’ils ne représentaient qu’un pour cent de la population, alors on ne dépassera pas un quota d’un pour cent dans nos services. En vérité, les Juifs n’étaient pas acceptés au ministère de l’intérieur ou dans les services de sécurité. Pendant la Seconde guerre mondiale, Staline a utilisé les Juifs, vous avez parlé du Comité antifasciste juif, comme ces derniers étaient persécutés dans toute l’Europe, il y avait l’Holocauste, alors l’Union soviétique a prétendu qu’elle protégeait les Juifs contre les nazis. Ce qui était faux car les Juifs très rapidement ont représenté un ennemi idéologique. L’Église orthodoxe était aussi l’ennemi du Parti communiste et le mouvement sioniste était considéré par le Parti communiste et par les services de sécurité comme un ennemi idéologique officiel. 

À mon époque, quand je suis entré à l’école du KGB, à l’Institut Andropov, on m’a appris l’histoire et la structure des organismes d’État, on nous a indiqué quels étaient les ennemis officiels de l’Union Soviétique. On nous cite donc l’ennemi numéro un qu’étaient les États-Unis, en second c’était le bloc de l’OTAN, après c’était la Chine et en quatrième place c’était le sionisme. Celui-ci était donc considéré par le KGB comme un mouvement subversif, anticommuniste et antisoviétique. Il y avait donc dans la structure du contre-espionnage du KGB des départements consacrés uniquement à la lutte antisioniste, et même dans notre service d’espionnage extérieur, il y avait un département qui était destiné à ce combat. Évidemment, on ne disait pas que nous étions antisémites, on disait qu’on combattait l’idéologie sioniste puisque le sionisme était l’allié des États-Unis. Cette lutte était très active. Ensuite, le KGB a utilisé toute la filière d’Alyah, puisque les Juifs commençaient dans les années 1960, 1970 à pouvoir partir, pour certains, d’Union soviétique puisqu’il y avait la  » détente « . L’Union soviétique jouait là-dessus pour obtenir des crédits des États-Unis suite à ça. Eh bien, tous les Juifs qui partaient à l’étranger, soit en Europe, soit aux États-Unis, soit en Israël étaient tous recrutés par le KGB. Mais en fait, c’était marrant car pour partir de là tous les Juifs signaient le papier en disant qu’ils allaient collaborer avec le KGB, mais bien évidemment dès qu’ils traversaient la frontière ils déchiraient le papier en disant bye-bye…

Il y avait une blague en Union Soviétique : « Le soleil qui se lève à l’Est dit : « Leonid Brejnev, c’est le meilleur dirigeant du peuple, et puis le soir le soleil dit que Leonid Brejnev est un sale con », alors Andropov lui demande pourquoi tu dis ça maintenant, et le soleil répond : « Je suis à l’Ouest maintenant ! »

T.J : Cela me rappelle cette devinette juive cité par Karl Radek  (qui fut un des dirigeants de l’International communiste, conseiller de Staline, avant d’être éliminé par ce même Staline) qui racontait dès la fin des années 1920 : « Connaissez-vous la différence entre Moïse et Staline ? Eh bien, Moïse a fait sortir les Juifs d’Égypte et Staline du Politburo ».  

S.J : Ce n’est pas tout à fait vrai car Staline a toujours gardé un seul Juif au Bureau politique, car il disait : « J’ai mon Juif au Bureau politique.» Il était suffisamment intelligent pour montrer que physiquement les Juifs étaient présents. Bien évidemment, avant de mourir, il a commencé la fameuse persécution des médecins juifs (l’Affaire dite du « complot des Blouses blanches »). 

 De toute façon le KGB était antisémite, mais on ne pouvait pas le dire car officiellement la doctrine de l’Union Soviétique reposait sur « l’amitié entre les peuples », le respect de toutes les races. Mais, vous savez qu’en Union Soviétique les Juifs étaient considérés comme une nationalité, comme une ethnie et non pas comme une religion. On avait donc la provenance ethnique de chaque citoyen inscrit sur notre carte d’identité. Il y avait donc le mot  » Juif  » écrit sur leur carte d’identité, puisque les Juifs étaient considérés comme une ethnie. 

T.J : Donc comme ils ne voulaient pas passer pour des antisémites, ils disaient qu’ils étaient antisionistes. 

S.J : C’est ça. Tout comme les antisémites d’aujourd’hui qui disent qu’ils sont antisionistes. 

T.J : Parfaitement ! D’ailleurs dès le procès Slánský qui s’est déroulé à Prague en 1952, les inculpés (11 sur 14 étaient juifs comme par hasard), sont accusés d’être membres d’un prétendu « complot sioniste » comme on peut l’entendre dans en film tourné lors de ce procès inique. D’ailleurs comme vous le dites si justement, ce à quoi nous assistons depuis le 7 octobre 2023 est un retour, un recyclage de la propagande soviétique du KGB contre les Juifs, mais dissimulée sous couvert d’antisionisme. Avez-vous assisté de la part de vos supérieurs à une haine revendiquée contre les Juifs et Israël ?

S.J : Vis-à-vis d’Israël oui ! Comme je l’ai dit les instructions officielles du KGB étaient de lutter contre l’idéologie sioniste. L’antisémitisme était diffus car dire que l’on était antisémite était mal vu puisque le communisme se voulait un mouvement internationaliste d’amitié entre les peuples…

TJ : Passons au rôle du KGB dans son aide apportée aux mouvements terroristes dits « palestiniens ». Le général roumain Ion Mihai Pacepa – le membre le plus haut gradé d’un service de renseignement du bloc de l’Est à avoir fait défection à l’Ouest pendant la guerre froide – a affirmé que Yasser Arafat était financé et manipulé par le KGB… 

S.J : L’Union Soviétique a pris parti pour les pays arabes avec la Guerre des six jours en 1967. L’URSS a soutenu l’OLP, non seulement matériellement, mais aussi elle a formé les terroristes de l’OLP en Union soviétique ; sur les bords de la mer Noire, il y a eu des groupes de Palestiniens qui sont venus en Union Soviétique pour être formés à des méthodes de terrorisme, et ils étaient soutenus matériellement par le KGB. Arafat était un agent d’influence. Il n’a pas signé de document comme quoi il était agent du KGB, mais c’était dans son intérêt de recevoir de l’argent de l’URSS. D’ailleurs, il est devenu l’homme le plus riche de Palestine grâce à ça. Sa famille détient 2 milliards de fortune personnelle. On lui donnait l’argent pour financer l’OLP, mais il le gardait en grande partie pour lui-même. L’Union soviétique soutenait évidemment beaucoup les pays arabes qui étaient anti-israéliens et dont la plupart se fixait comme but la liquidation de l’État d’Israël. La politique générale de l’URSS était donc antisémite et antisioniste.

T.J : Mahmoud Abbas, l’actuel Président de ladite « Autorité Palestinienne », a étudié à l’Université Patrice Lumumba de Moscou.  Était-il un agent du KGB ? 

SJ : L’Université Lumumba était constituée majoritairement d’étudiants étrangers. Le KGB avait un vice-recteur de Lumbumba qui était un colonel ou un général du KGB, donc quasiment tous les étudiants étrangers de cette université étaient approchés par le KGB. Ils devenaient soit directement des agents du KGB soit des agents d’influence de l’Union Soviétique. Je vous confirme donc absolument le fait que Mahmoud Abbas était soit un agent du KGB soit un agent d’influence de l’URSS.

T.J : Parlons maintenant de votre nouveau livre qui est passionnant et qui s’intitule L’Ombre des légendes. Vous racontez quinze histoires d’agents secrets ou d’affaires d’espionnage dans lesquelles apparaissent les plus grands services secrets du monde. Vous racontez d’ailleurs l’affaire des bippers utilisés par le Mossad contre les terroristes du Hezbollah…

S.J : Absolument ! C’est une histoire qui, je crois, va rentrer dans les annales des services secrets car c’est une opération absolument géniale qui a demandé une énorme préparation de plusieurs années sous un faux drapeau. 

Sergueï Jirnov, merci 

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