Tribune Juive

En lisant Pierre Lurçat, « Jusqu’à la victoire ! La plus longue guerre d’Israël » – 1/6 Par Ypsilantis

Jusqu’à la victoire ! La plus longue guerre d’Israël. Editions l’éléphant, est disponible sur Amazon.  On peut aussi le trouver à la boutique du centre Begin à Jérusalem.

Il s’agit de chroniques comme l’indique le sous-titre, des chroniques tenues au lendemain du 7 octobre et jusqu’en septembre 2025. J’ai reçu ce livre et j’ai commencé à le consulter très précisément le 7 octobre 2025. Je vais en rendre compte à partir de mes notes de lecture. Ce livre s’organise en trois parties respectivement intitulées : « 2023, Annus Horribilis » ; « 2024, l’année la plus longue de l’histoire d’Israël » ; « 2025, l’année de la victoire ». Ces trois parties se subdivisent en nombreux petits chapitres. Ce livre est préfacé par Jacques Dewitte. Titre de sa préface : « De l’aveuglement à la lucidité. En réfléchissant aux implications de la conceptsia ». Je me permets de mettre en lien une intervention de Pierre Lurçat sur Radio J intitulée « La conceptsia, l’excès de confiance d’Israël face à l’ennemi ». Conceptsia, un mot né en 1973, guerre du Kippour, très exactement cinquante ans avant le 7 octobre 2023 :

2023 : Annus horribilis

Octobre 2023

Après le choc, le questionnement : comment Israël a-t-il pu se laisser surprendre à ce point ? On s’interroge sur les questions matérielles, par exemple sur l’efficacité d’une barrière de sécurité supposée infranchissable ; mais il y a plus, soit l’effondrement de la conceptsia, l’idée selon laquelle il serait possible de s’arranger avec le Hamas, comme si Israël avait pénétré la mentalité et les desseins du Hamas dans ses moindres recoins. Probablement fatigué par la question de Gaza (dont il s’est retiré en 2005, suivant les instructions d’Ariel Sharon), Israël s’est raconté des histoires, tout au moins s’est-il complaisamment laissé berner par la relative tranquillité que lui proposait le Hamas, soit la Pax islamica. A ce sujet, Pierre Lurçat évoque une acceptation faite d’un mélange de peur et de lassitude. Ce pays trépidant qu’est Israël préférait consacrer ses énergies à d’autres sujets que la bande de Gaza et déléguer cette question à d’autres.

L’islam radical sait jouer avec notre peur qui est le principal de ses carburants. Et cette peur s’est répandue jusque chez les dirigeants qui ont pensé pouvoir acheter la paix et la tranquillité et de diverses manières ; par exemple, en ouvrant dans la bande de Gaza les vannes aux capitaux qataris ou en permettant à de nombreux Gazaouis le passage quotidien en Israël pour y travailler.

Il faut lire et relire « Les Arabes et nous ; le Mur de fer » de Vladimir Jabotinsky (un texte de 1923) que Pierre Lurçat commente sur radio J dans le lien suivant :

Je ne connaissais Jabotinsky que superficiellement avant de rencontrer Pierre Lurçat, et je dois dire que ce sioniste m’apparaît toujours plus comme l’un des sionistes les plus lucides, et peut-être même le plus lucide. Pourquoi ? Parce que sa pensée ne contient pas une once de démagogie ou de cet idéalisme qui peut être sympathique mais qui à bien y regarder relève d’un certain laisser-aller, d’une paresse conceptuelle qui ne peut que conduire à des catastrophes lorsqu’il est question des relations Juifs/Arabes. Avec Jabotinsky le 7 octobre n’aurait jamais été. On n’achète pas les Arabes et encore moins l’islam radical… Avec eux, la tranquillité ne se monnaye pas. C’est aussi cela le Mur de fer.

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Il y a la barrière, il y a aussi les systèmes de défense antiaériens dont le Iron Dome. Il ne s’agit pas d’en nier l’utilité mais, nous dit Pierre Lurçat (et il n’est pas le seul), plutôt que de s’en remettre exclusivement aux technologies les plus avancées, n’aurait-il pas fallu intervenir bien avant dans la bande de Gaza afin de ne pas laisser le Hamas maître du jeu, plaçant ainsi Israël dans une position de défense, exclusivement de défense ? Israël ne frappait qu’après avoir été frappé, ce qui permettait au Hamas de parfaitement contrôler la situation et de se renforcer en s’adaptant toujours mieux aux coups portés par Israël. La technologie ne peut penser à notre place, elle n’est qu’un outil pour la pensée, soit une capacité à appréhender dans sa totalité la manière de penser de l’ennemi, et rien n’est probablement plus difficile. Cet échec conceptuel explique le 7 octobre ; non, décidément, une barrière aussi perfectionnée soit-elle n’est pas grand-chose si on se laisse aller à la conceptsia.

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Le 7 octobre pose deux questions aux Juifs d’Israël : Qui sont nos ennemis ? Qui sommes-nous ? Le 7 octobre peut être envisagé comme une Deuxième guerre d’indépendance, soit un combat existentiel comme en 1948, un combat qui pose trois questions : 1. Contre qui combattons-nous ? La définition de l’ennemi précise les objectifs de la guerre. Israël doit désigner ses ennemis (dont le Hamas) mais derrière cet ennemi du jour se tient Amalek, l’Ennemi éternel. 2. Si l’on admet la pertinence d’Amalek, chaque génération de Juif devra le combattre sans jamais fermer l’œil, sans jamais se reposer exclusivement sur la puissance des armes aussi perfectionnées soient-elles. Le combat du Hamas se veut politico-religieux ; le combat d’Israël est aussi le combat du peuple porteur de la Torah. 3. L’échec du 7 octobre va bien au-delà du renseignement militaire, il interroge l’incapacité de Tsahal à comprendre qui sont les ennemis d’Israël et qui est Israël, surtout aux échelons les plus élevés. Il faut cesser d’envisager l’État d’Israël comme un simple réduit permettant de protéger les Juifs mais comme le « siège de la royauté divine ». Voir à ce propos le rav Abraham Isaac Kook .

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Dans sa mémoire, Israël porte entre autres traumatisme celui du Kippour (1973), à présent il vivra avec celui du 7 octobre 2023, une attaque surprise plus terrible que celle d’octobre 1973 qui engageait des armées régulières. Le 7 octobre 2023 a replacé Israël dans le passé des pogroms, un passé jugé révolu avec la création et la consolidation de l’État d’Israël, un coup terrible porté à la doctrine sioniste classique. Non, le Hamas n’est pas un ennemi « classique » comme l’était l’Égypte en 1973.

Avec le 7 octobre, la conceptsia 2023, (plus mensongère que celle de 1973) s’est effondrée. En 1973 l’ennemi était connu, on savait qu’il voulait attaquer mais on ne savait pas quand. Rien de tel en 2023 ; Israël s’est laissé anesthésier par la conceptsia, par la croyance en un modus vivendi négocié avec le Hamas. Il s’est endormi dans l’illusion de la Pax islamica.

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Le Hamas vise les Juifs, c’est l’islam contre les Juifs et pas seulement contre l’identité israélienne. Il faut lire et relire la charte du Hamas et en particulier le hadith cité dans l’article 7. Il s’agit d’un impératif eschatologique (les Juifs) et pas seulement politique (Israël). A partir de cette donnée, la conclusion est simple pour Israël : l’annihilation du Hamas, des dirigeants aux simples combattants, ainsi que des infrastructures civiles et militaires – très imbriquées.

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Rappelons le serment d’André Neher prononcé le 4 juin 1967 devant l’Assemblée générale des Juifs de France, à Paris. Il appelait les Juifs de la diaspora à être l’arrière d’un front de combat, le combat pour Israël. Non pas un arrière d’embusqués mais une réserve où élaborer les armes morales et matérielles pour la défense d’Israël.

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Le code éthique de Tsahal est à présent obsolète face au Hamas. Cette paralysie est en partie due à l’influence du post-sionisme dans divers secteurs de la société israélienne. La défense d’Israël ne saurait se réduire à la mise au point d’un abri pour sa population. Pour Asa Kasher (auteur du Code éthique de Tsahal), Tsahal a pour objectif d’entraver les efforts de l’ennemi, autrement dit attendre les coups. Le 7 octobre a bouleversé ce code et jusque dans ses fondements, il frappe d’inanité son lexique et les euphémismes. Les forces islamistes n’ont pas pour but « de perturber le cours normal de la vie » (des citoyens israéliens) mais d’annihiler Israël. De fait, Tsahal n’a pas à se préoccuper de préserver « la dignité humaine » de tel ennemi. Il ne s’agit donc pas de neutraliser l’ennemi mais de l’anéantir. Ce verset extrait des Psaumes du roi David : « Je poursuis mes ennemis, je les atteints ; point de relâche que je ne les ai détruits » est plus adapté au combat contre l’ennemi, et plus encore depuis le 7 octobre, que les tergiversations de l’auteur du Code éthique de Tsahal, un professeur de philosophie.

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Golda Meir s’est laissée surprendre en 1973 (guerre du Kippour) comme Benyamin Netanyahu s’est laissé surprendre en 2023. Golda Meir n’en a pas moins mené une contre-offensive implacable, y compris contre l’avis des Américains.

« Never again ! » avait proclamé Menahem Begin avant de lancer l’opération contre Osirak. « Never again ! », soit la volonté de ne pas se laisser massacrer sans combattre – la figure du Nouveau Juif. Et David Ben Gourion ? Il aurait probablement réagi encore plus durement au 7 octobre que tous les dirigeants actuels. La Bible était son livre de chevet et il n’était pas religieux. Il aurait probablement cité les mots du roi David que nous venons de citer afin d’appuyer le bien-fondé de la riposte israélienne.

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Il y a le biais cognitif, autrement dit ce qui nous pousse à juger l’événement, y compris le plus terrible (y compris un événement d’une horreur inédite), à l’aune de ce que nous savons. Ce biais cognitif est également actif chez bien des intellectuels juifs et même après le 7 octobre ; autrement dit, ces intellectuels tournent dans leurs préjugés. Et Pierre Lurçat cite à ce propos Omer Bartov et Judith Butler. Tous ceux qui s’emploient à « contextualiser » les actes du Hamas, sans s’appuyer sur des critères moraux fermes, ne font que produire un magma intellectuel dans lequel on patauge et on s’enfonce toujours plus.

(à suivre)

© Olivier Ypsilantis

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