
𝗟𝗘 𝗦𝗜𝗟𝗘𝗡𝗖𝗘 𝗗𝗘 𝗟𝗔 𝗧𝗘𝗥𝗥𝗘
𝘌𝘯 𝘩𝘰𝘮𝘮𝘢𝘨𝘦 𝘢𝘶 𝘤𝘰𝘭𝘰𝘯𝘦𝘭 𝘈𝘴𝘢𝘧 𝘏𝘢𝘮𝘢𝘮𝘪, 𝘵𝘰𝘮𝘣é 𝘭𝘦 𝟽 𝘰𝘤𝘵𝘰𝘣𝘳𝘦, 𝘦𝘵 𝘢̀ 𝘤𝘦𝘶𝘹 𝘲𝘶𝘪 𝘱𝘰𝘳𝘵𝘦𝘯𝘵 𝘦𝘯 𝘴𝘪𝘭𝘦𝘯𝘤𝘦 𝘭𝘢 𝘥𝘰𝘶𝘭𝘦𝘶𝘳 𝘥’𝘐𝘴𝘳𝘢ë𝘭.
Aujourd’hui, à Kiryat Shaul, un peuple s’est rassemblé sous le lourd ciel d’un novembre israélien.
Là-bas, ou devant nos écrans, nous nous sommes tenus debout pour accompagner le colonel Asaf Hamami. Asaf, le bien-nommé, celui qui rassemble…
Des milliers d’Israéliens, pères, mères, enfants, frères d’armes, portaient dans leurs yeux un même éclat contenu, celui de la fierté mêlée à la peine.
C’était un moment d’unité, une catharsis, un souffle partagé, comme si tout un peuple, d’un seul geste, rendait au monde un peu de sa lumière perdue.
Aujourd’hui, la terre, qui l’attendait, béante depuis deux ans, a enfin pu se refermer. Asaf repose désormais dans le drapeau qu’il a servi.
Devant ces images, à la fois terribles et sublimes, ma respiration s’apaise… un peu….
Le 4 décembre 2023, soit presque deux mois après le pogrom du 7 octobre, mon fils et ses camarades, en uniforme, quittaient leur base pour honorer leur commandant.
« Maman, on enterre Asaf Hamami, notre chef », m’a-t-il dit simplement au téléphone.
On parlait alors « d’éléments retrouvés »,
des mots froids, polis et pudiques,
pour dire ce qu’aucun mot ne peut décrire de l’horreur .
Je n’ai pas pris la mesure, à cet instant, de ce que mon fils me confiait,
ni de ce qu’il portait déjà en lui.
Plus tard, quand il est rentré à la maison, pâle et distrait, j’ai voulu comprendre, en savoir davantage.
Peine perdue.
Il était clair qu’il fallait me taire.
Dans son regard passaient des ombres qu’aucune parole n’avait le droit de suivre.
Lui et ses camarades avaient soulevé le cercueil , et senti dans leurs bras, le poids du vide…
Depuis ce jour-là, d’autres silences sont venus se joindre au sien , des silences portés par des jeunes gens dont le regard a vieilli trop tôt, des mères amputées d’une part de leur cœur, des enfants, coupés dans leur élan, qui ne peuvent plus sauter au cou de leur père, et des épouses dont les draps sont mouillés de larmes.
Deux ans de silences empilés,
d’histoires qu’on garde au fond du cœur, comme des pierres au fond d’un fleuve.
Et aujourd’hui, c’est le même silence que j’entends, mais de ce silence a surgi une clameur , un cri dont la voix recommence à se faire entendre, un murmure empli de larmes, de drapeaux, de visages et de prieres levés vers le ciel. Le cri d’un peuple qui dit : voilà, il est revenu! Et avec lui, quelque chose en nous peut enfin reposer.
Je n’ai jamais rencontré Asaf, et pourtant, son nom m’accompagne.
Sans doute parce qu’il était le commandant de mon fils, et que cela suffit pour que le lien existe.
Dans ce pays, chaque mère confie son enfant à d’autres hommes,
et dans ce geste, il y a une prière muette.
On remet la vie de son fils entre les mains de celui qui le guidera,
avec la foi qu’il saura veiller sur lui.
Asaf Hamami a été de ceux-là,
un père, un chef, un homme qui portait les fils des autres comme il portait le sien, ce petit bonhomme de sept ans venu passer fièrement
le Shabbat de Sim’hat Torah auprès de son papa.
Quand les sirènes ont déchiré l’aube
et que les flammes ont envahi le ciel,
Asaf a fait ce que font tous les pères d’Israël depuis toujours :
il s’est levé pour protéger son peuple. Un dernier baiser sur le front de son petit en guise d’adieu.
Ce fut la dernière fois
Depuis deux ans, Israël vit avec ses absents.
Nous avons vieilli ensemble, endeuillés et debout.
Nous avons appris à marcher plus lentement, à parler moins fort, à écouter les silences, ceux des vivants et ceux des morts.
Parfois… souvent, ils nous réveillent la nuit. Et ça fait mal.
Aujourd’hui que la terre s’est refermée sur Asaf, je pense à lui comme à un juste. Non pas un héros de gloire,
bien qu’il en soit un, mais un homme simple qui a fait ce qu’il fallait, et dont le courage éclaire nos fils et nos enfants.
Asaf Hamami se tient désormais parmi ceux qui veillent sur nous, invisibles mais présents, dans ce firmament où reposent les âmes qui n’ont pas trahi la lumière.
© Yaël Bensimhoun
Diplômée de littérature française, Yaël Bensimhoun s’est établie en Israël il y a près de 20 ans . C’est là qu’elle conjugue l’amour de sa langue d’origine et celui du pays auquel elle a toujours senti appartenir. Elle collabore depuis plusieurs années à des journaux et magazines franco-israéliens.