Tribune Juive

Le célébrissime roman de Camus revu et corrigé par François Ozon: Michèle Chabelski a vu « L’Étranger »

« L’étranger »

Film de François Ozon

Avec Benjamin Voisin, Rebecca Marder, Pierre Lottin

Éros et Thanatos en Algérie 

 Éros et Thanatos en Algérie 

Le célébrissime roman de Camus revu et corrigé par François Ozon. 

 Revu: un peu

Corrigé : presque pas

Film tourné en noir et blanc, ce qui lui infuse une incandescence totale, une puissance de feu exceptionnelle, et dans cette gémellité de la couleur s’insère l’éclat du soleil, cette paillette d’or qui est un des pétunias principaux de ce magnifique opus.

 Meursault n’aura jamais de prénom dans ce film. 

Pas plus que la victime qui restera « l’Arabe », presque jusqu’à la fin.

Est-ce à dire qu’il est un personnage, une entité, et non pas une personne ?

Et pareil pour l’Arabe qui sera le mur sur lequel ricoche l’incompréhension de Meursault, ébloui par le soleil dansant un tango de mort qui zèbre son discernement…

 Mais l’Arabe est une victime de Meursault ?

Du colonialisme des blancs chez les indigènes ?

Toujours est-il qu’on lui rend à la fin ce qui ne lui a pas été donné : un nom. Une identité.

 Le film débute comme le roman. 

Meursault assiste à l’enterrement de sa mère sans une larme ni un battement de cils. 

Le socle du récit est posé: Meursault n’a pas pleuré à l’enterrement de sa mère. 

L’histoire peut commencer. 

Il rencontre classiquement Marie, une jeune collègue, qui l’aimera pour deux puisqu’il reste figé dans sa gangue d’indifférence qui ne rebutera pas la belle, laquelle le convainc de l’épouser.

Mais la tragédie grecque installe son puzzle clos d’événements imprévisibles, improbables, la rencontre, les coïncidences malheureuses, les ombres d’un destin  de cendres. 

  Le pire arrive.

Au terme d’un parcours qui s’achève tragiquement, Meursault s’électrise à la vue d’un couteau luisant de menace dans l’intensité d’un éclat de soleil, il tire, le film enfle et cloque dans les pierres sombres de la prison d’Alger, le procès va commencer.

  Cette seconde partie du film suit le chemin à la fois plus classique et plus politique d’un procès qui ne laisse pas longtemps planer le doute sur son issue  malgré les ombres colonialistes qui nimbent l’environnement.

 Après l’explosion de la lumière au sens propre et au figuré dans cet amour porté  par une Rebecca  Marder aussi solaire que sensuelle, nous plongeons dans les pierres ténébreuses de la prison et les échanges qui noircissent les espoirs de Meursault au cours du procès.

Meursault se trouve à la fois dans une prison réelle et celle qui le ceinture de l’intérieur et le coupe à la fois de ses émotions et d’une parole libre et sincère.

Ce noir est prophétique de la chute du film.

Mais  c’est paradoxalement dans cette prison que va s’ouvrir la voie au verbe devant un prêtre venu apporter la parole divine au détenu.

 Ce film ne pouvait se faire qu’en noir et blanc, choix symbolisant l’alternance de cette opposition de couleurs dans  sa trame.

Rebecca Marder et Benjamin Voisin, d’une incandescente beauté, incarnent avec virtuosité ce couple carbonisé par le destin  face à un Pierre Lottin  plus enraciné dans une réalité aussi sordide que délétère, à laquelle il donne vie avec son talent habituel.

   Ce livre de Camus qu’on pouvait craindre trop grand pour François Ozon lui permet au contraire de donner toute la mesure de son talent qui explose ici de savoir-faire et de beauté.

Un moment de grâce cinématographique.

© Michèle Chabelski

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