Tribune Juive

Zucman, ou l’économie en robe de chambre. Par Jean Mizrahi

Lire les publications de Gabriel Zucman est instructif à sa manière. On y découvre, par exemple, cette définition pour le moins étonnante :

« Une action, c’est un bout de papier qui donne à son détenteur le droit de percevoir les bénéfices d’une entreprise. Ces bénéfices, quand ils sont versés aux actionnaires, s’appellent des dividendes. »

Cette phrase, apparemment anodine, résume assez bien l’incapacité d’une partie de la gauche dite « économique » à comprendre les mécanismes réels de l’entreprise et du capital. Ce manque de compréhension est d’autant plus préoccupant que M. Zucman inspire directement certains responsables politiques encore plus ignorants que lui.

1. L’action n’est plus un « bout de papier »

Sur le plan technique, une action n’est depuis longtemps plus un titre matériel. La dématérialisation est totale depuis plusieurs décennies : il n’existe plus de « papier » à proprement parler, pas plus pour les actions que pour les obligations. Zucman semble s’être arrêté à l’économie des années 1950.

2. Une action ne garantit pas le versement de bénéfices

Les droits attachés à une action ne se limitent pas à la perception d’un dividende et parfois ils ne le permettent même pas.

• D’abord, une entreprise peut valoir beaucoup sans générer encore de bénéfices. Amazon n’a été rentable qu’au bout de plus de dix ans, et pourtant ses actions avaient déjà une valeur considérable. De même, les fondateurs de la start-up française Mistral disposent aujourd’hui d’une fortune « sur le papier », alors que leur société n’est pas en mesure de distribuer le moindre dividende.

• Une entreprise peut aussi être tout juste rentable et ne pas pouvoir réaliser de résultats distribuables.

• Une entreprise n’est pas tenue de distribuer ses profits quand elle en fait. Elle peut décider, avec l’accord de ses actionnaires, de réinvestir ses résultats pour financer sa croissance, ce qui peut être plus avantageux. Elle peut aussi être empêchée de distribuer ses bénéfices si elle doit d’abord combler des pertes passées.

Les dividendes ne représentent donc qu’une fraction variable — souvent faible — des résultats d’une société.

• Enfin, une action est avant tout une part de capital.

Elle incarne un droit de propriété sur une portion réelle de l’entreprise, et non une simple promesse de versement. Elle donne droit, en cas de liquidation, à une part résiduelle de l’actif ; mais surtout, elle représente un pari sur l’avenir, la participation à une dynamique de création de valeur. Dans la plupart des cas, la richesse de l’actionnaire provient bien davantage de la revalorisation de l’action que des dividendes versés.

3. L’oubli du risque

Zucman semble considérer l’action comme un titre de rente, une sorte de bon du Trésor privé garantissant un revenu.

C’est ignorer la dimension essentielle du risque.

L’action naît d’un choix initial : celui de créer ou de financer une entreprise, donc de risquer son capital. Ce choix se poursuit durant la vie de l’entreprise : acheter une action existante, c’est prendre le risque que l’entreprise se trompe de route ou rencontre un écueil.

Ce risque peut se traduire par la perte totale des fonds investis.

La rémunération du capital est la contrepartie de cette incertitude : si le propriétaire d’un action devait percevoir le même rendement qu’un détenteur d’obligations d’État, il n’aurait aucune raison d’assumer un tel risque : autant acheter des obligations d’Etat.

Les marchés rappellent régulièrement cette réalité : les actionnaires du français Carmat, inventeur d’un coeur artificiel dont le cours est passé de 40 € à presque zéro, ont tout perdu alors que la promesse technique de l’entreprise était séduisante. Si l’entreprise avait réussi son pari, la richesse des actionnaires aurait-elle été indue ? Pour les Zucman de tous poils, c’est évident. le principe de ces gens est : face tu perds, pile je gagne.

Car le risque de l’actionnaire, c’est de participer au succès éventuel, mais aussi subir l’échec complet. Zucman semble l’ignorer, comme s’il existait une économie sans aléa, où l’entreprise serait une entité abstraite, éternelle et moralement suspecte.

4. Le symptôme d’un mal plus large

Le problème n’est pas seulement Zucman, mais ce qu’il incarne. Il symbolise une société qui rejette la notion même de risque, qui croit que l’argent « tombe du ciel » et que l’entreprise est un distributeur de billets de banque.

Cette vision entretient l’illusion qu’il suffit de réglementer, taxer ou planifier pour produire de la richesse. Or, les économies qui ont tenté cette voie — URSS, Allemagne de l’Est, Cuba, Venezuela, Corée du Nord, entre autres — ont démontré l’échec du modèle.

Le déni du risque, de l’initiative et de la propriété conduit invariablement à la stagnation et à la pauvreté.

5. Une pensée confortable mais stérile

Gabriel Zucman n’est pas un simple universitaire (payé par les contribuable, ce qui est quand même plus confortable que de se risquer à créer une entreprise) : il bénéficie d’une aura médiatique, soutenue par les grands médias publics et une partie de la presse de gauche.

Son discours plaît parce qu’il est confortable : il permet de condamner le capital sans comprendre l’économie réelle. Mais il est aussi dangereux : en entretenant l’idée qu’on peut moraliser la prospérité sans produire ni risquer, il contribue à désarmer économiquement un pays déjà fragilisé.

Zucman n’est pas la cause de notre déclin, il en est le symptôme et le contributeur militant : il symbolise une nation qui refuse de comprendre la dynamique de la création de richesse, c’est à dire, in fine, de l’économie. Tant que nous en resterons là, nous chuterons toujours plus bas.

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