
Le 20 octobre 2025, Tribune Juive publiait une lettre adressée à l’INA, suite au post sur Instagram d’une de leurs vidéos traitant de la rafle d’Algériens vers le Vél d’Hiv, en 1958.
Source : Tribune Juive https://t.co/z4m5to3J6E
— cattan (@sarahcattan_) October 29, 2025
L’adjointe au rédacteur en chef de l’INA – Lumni Enseignement répondit à cette interpellation par un mail si problématique qu’il entraîna une réponse… elle-même laissée sans réponse.
Cet échange est reproduit ci-dessous.
Pourquoi ?
Parce que les auteurs et responsables de ce que l’on pouvait prendre pour une production fautive mais amendable de l’Ina, persistent.
Pire – et c’est ce que révèle le document (https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000006753/la-rafle-des-algeriens-du-vel-d-hiv-en-1958.html) auquel renvoie l’INA dans son mail justificatif – , cette vidéo et sa notice (elle, hors Instagram) sont du matériel pédagogique pour les cours d’Éducation Morale et Civique (EMC) et d’Histoire des classes de 4e, des filières générale, technologique et professionnelle.
Nous connaissons ces cours pour y être intervenu des années durant dans le cadre de la Réserve citoyenne de l’Éducation nationale. Nous en connaissons les difficultés, et parfois l’hostilité.
Nous savons qu’il devient héroïque d’y enseigner certains sujets, dont précisément la rafle du Vél d’Hiv de 1942 – la grande rafle, la vraie rafle, osons les mots.
La diffusion d’éléments pédagogiques biaisés est donc d’une extrême gravité. Sans tarder, elle mérite un audit des manuels scolaires français sur ces matières hautement inflammables.
Nous nous y emploierons.
© Paul Memmi, docteur en linguistique
Réponse de l’adjointe au rédacteur en chef de l’INA – Lumni Enseignement à mon interpellation:
Le mer. 22 oct. 2025 à 15:52, Cyrielle LE MOIGNE TOLBA a écrit :
Cher Monsieur,
Je vous remercie pour votre message et pour les précisions que vous apportez au sujet de l’épisode sur la rafle des Algériens de la série « Boîte noire », réalisée par Franck Mazuet, docteur en histoire, et produite par moi-même.
Vous relevez dans votre article 5 « erreurs ». Voici notre réponse point par point.
- « La plus grande rafle en métropole après la seconde guerre mondiale » : Oui, il s’agit bien de la plus grande rafle en métropole après 1945. Les personnes raflées (quelque 3000) ont été intérnées dans plusieurs centres, dont le Vél’ d’Hiv. Selon l’historien Emmanuel Blanchard, « au moins 2000 à 2500 personnes ont été internées au Vél’ d’Hiv entre le 28 août et le 7 septembre. Mais d’autres l’étaient dans d’autres locaux (garage MacDonald de la PP, gymnases Jaurès (19e) et Japy (11e). Ces deux gymnases ont fonctionné comme centre de triage jusqu’en décembre. »
- « 8000 juifs furent entassés en juillet 1942. » : C’est vrai. Les 16 et 17 juillet 1942, 12 884 hommes, femmes et enfants juifs sont arrêtés par la police parisienne lors de la rafle du Vél’ d’Hiv’. Les célibataires et les couples sans enfant sont ensuite envoyés au camp de Drancy. Les familles sont, elles, enfermées dans l’enceinte du Vélodrome d’Hiver dans le 15e arrondissement de Paris. Pendant plusieurs jours, 8 160 personnes y sont entassées dans des conditions sanitaires déplorables. Dehors, les arrestations se poursuivent jusqu’au 20 juillet. Au total, 13 152 personnes seront appréhendées. Mais plus de 8 000 personnes sont internées au Vél’d’Hiv. Dans cet article écrit par Pierre Marquis, qui a travaillé pour la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, vous trouverez une sitographie et une bibliographie de référence.
Note de la rédaction: le lien ci-dessus, soit Dans cet article , ne renvoie plus à l’article incriminé, mais à une analyse du site vie-publique.fr – qui n’a rien à voir avec les productions de l’INA.
Des méthodes stupéfiantes. Nous renvoyons donc nos lecteurs au « bon » lien , soit: (https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000006753/la-rafle-des-algeriens-du-vel-d-hiv-en-1958.html)
- « En 1998, il fut condamné pour la déportation de 1690 Juifs dont 223 enfants. » > Il y a une confusion entre le nombre de l’ensemble des déportations de la région de Bordeaux pendant la période 1942-1944, soit 10 convois totalisant 1 560 déportés (document Cour européenne des droits de l’homme sur l’appel de Papon en 2001), et le nombre des victimes attribuées à Papon à l’issue de son procès (comme complice de leur déportation), soit 1 106 déportés. Le Mémorial de la Shoah précise bien que la complicité de Papon dans l’organisation de trois convois de déportés n’a pas pu être prouvée par l’accusation : septembre 1942, décembre 1943, mai 1944. Plusieurs cas individuels ont aussi été déboutés. Si l’on considère les charges finalement retenues contre Papon (document CEDH), il est reconnu coupable d’avoir participé à l’organisation de quatre convois de déportés qui totalisent 1 106 victimes selon le décompte du mémorial. C’est à partir de ce verdict et des chiffres du Mémorial que nous avons rédigé notre commentaire.
- « Accolé aux deux événements, le mot « rafle » vient égaler une rafle policière traquant des combattants à une rafle d’une population civile à fin de déportation éliminatrice. » >> On ne peut pas supposer que les personnes arrêtées en mai 1958 (des « FMA » selon le vocabulaire de l’époque) sont des « combattants ». Les personnes arrêtées en mai 1958 sont en majorité des civils, des ouvriers, des travailleurs. Les archives ne nous permettent pas de dire si l’enquête policière a permis de trouver parmi elles des combattants du FLN, et combien. Quant aux images des Actualités Françaises, elles montrent des personnes sans armes.
- « Les faits, les faits ! Quel est le bilan de cette rafle : combien d’inculpés, de condamnés, de libérés, et après quel délai ? Eurent-ils des avocats ? Combien de victimes, de morts ? Aucun ? Pas même un seul ? On ne nous en dit rien ». L’article qui accompagne la vidéo répond à ces questions. Il est en ligne : « Ces personnes, qui pouvaient passer plusieurs jours voire plusieurs semaines dans ce lieu, étaient généralement libérées après interrogatoire (l’objectif était de les ficher), quand une minorité était expulsée vers l’Algérie », explique l’historien Emmanuel Blanchard, auteur de « La Police parisienne et les Algériens 1944-1962″ (Nouveau Monde, 2011).
Voici quelques précisions, données par Emmanuel Blanchard : » Après des « vérifications d’identité approfondies », ces personnes qui pouvaient passer plusieurs jours voire semaines en ces lieux, étaient généralement libérées (l’objectif était de les ficher). Une minorité était expulsée vers l’Algérie (dans des centres d’internement) avant que les centre d’assignation à résidence surveillée (CARS) de Thol et Saint-Maurice-l’ardoise n’ouvrent en décembre 58 et janvier 59. Au même moment, le centre d’identification de Vincennes a pris le relais de ces « centres de triage » provisoires. Avec toujours la même logique : ficher des dizaines de milliers de personnes, les libérer ensuite ou les assigner à résidences dans des CARS pour celles considérées comme « suspectes ». «
J’espère que ces éléments issus de travaux d’historiens reconnus vous convaincront de la rigueur avec laquelle nous préparons nos productions.
Cordialement.
Cyrielle Le Moigne
Productrice de la série « Boîte noire »
Adjointe au rédacteur en chef
Cyrielle Le Moigne-TolbaINA – Lumni EnseignementAdjointe au rédacteur en chef
Ma réponse, … laissée sans réponse:
De : « paul memmi »
A : « Cyrielle LE MOIGNE TOLBA »
Envoyé: jeudi 23 Octobre 2025 11:44
Objet : Re: Votre message sur un épisode de Boîte noire
à Mme Cyrielle Le Moigne Tolba – INA Lumni Enseignement. Adjointe au rédacteur en chef.
au sujet de votre publication vidéo Instagram :
Madame,
Acceptez ces quelques mots de réponse à votre mail du 22/10/25.
1/ Vous comptez comme « erreur » ma citation de votre texte « La plus grande rafle… » entre guillemets comme il se doit. Je n’ai pas parlé d’erreur. Vous déformez mon propos.
2/ C’est exact : quelque 8000 personnes furent physiquement entassées au Vél d’Hiv. Mais on nomme traditionnellement « Rafle du Vél d’Hiv » l’ensemble des opérations de ces journées sombres de juillet 1942, avec un total de 13152 personnes, dont une partie spécifiquement internée au Vélodrome d’Hiver. Je vous ai accusés de minorer les faits, je maintiens mon accusation.
3/ L’Arrêt de la CEDH https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-65190%22]} retient le décompte final de victimes de M. Papon établi par la justice française. Sur les 10 convois initiaux, soit environ 1690 personnes, deux sont exclus, soit une centaine de personnes. En son point 40, l’Arrêt mentionne 1560 personnes. En son point 43, il mentionne 8 convois. Je maintiens mes chiffres, et maintiens mon accusation que les vôtres sont minorés.
4/ J’ai écrit « l’arrestation d’Algériens suspectés d’appartenance ou de complicité avec le FLN », et « une rafle policière traquant des combattants ». Le fait de « soupçonner » (c’est votre terme) dans une rafle « traquant des combattants » n’assimile donc pas, sous ma plume, des civils, ouvriers et travailleurs, à des combattants. Vous déformez mon propos.
5/ Votre autre publication à l’usage d’enseignants, sur un autre site qu’Instagram (un média en soi), est censée répondre aux questions que je pose, sur le sort qui fut fait aux personnes arrêtées : « généralement libérées après interrogatoire (l’objectif était de les ficher), quand une minorité était expulsée vers l’Algérie ». Pour un document pédagogique, moins de deux lignes, c’est peu, sachant l’effet sensationnel (Rafle du Vél d’Hiv) auquel vous avez consacré le gros de vos forces. D’ailleurs, en guise de repentir bien trop tardif, vous me rajoutez dans votre mail quelques précisions historiques absentes jusque-là.
Merci d’avoir pris soin de me répondre, mais hélas vous n’êtes ni précis ni convaincants. Je ne suis pas historien, mais universitaire et linguiste. Et je déplore que vous ne sentiez pas l’effet inévitable de votre publication : par minoration, banalisation, amalgame et captation symbolique.
Elle participe de l’antisémitisme d’atmosphère, presque inconscient, devenu naturel, dont nous sommes actuellement saturés – et victimes !
Je regrette que vous n’ayez pas saisi l’occasion de corriger et d’infléchir sur pièces ce qui se devait.
Il n’est peut-être pas trop tard. Merci de m’en tenir informé.
Paul Memmi, docteur en linguistique