Les neurones miroirs de Caïn. Par Paul Germon

René Girard l’avait compris avant les neurosciences : nous ne naissons pas désirants, nous naissons imitateurs. Deux millénaires après la Genèse, la science redécouvre que la violence n’est qu’un effet miroir. Et que, pour se rassurer, l’humanité cherche encore un Juif à accuser.

Girard avant la science

René Girard l’avait pressenti : le désir n’est jamais spontané. Nous croyons vouloir, mais nous ne faisons qu’imiter. Et voici que les neurosciences confirment son intuition : nos cerveaux sont peuplés de neurones miroirs, ces sentinelles invisibles qui s’allument dès qu’un autre agit, désire ou souffre. Nous imitons avant de penser, nous copions avant d’aimer. Tout commence dans le regard de l’autre. Abel possède, Caïn regarde. Ce n’est pas le mouton qui déclenche la fureur : c’est le désir du frère. Les neurones de Caïn vibrent à l’unisson de ceux d’Abel : il voudrait être lui, alors il le détruit. La jalousie, c’est l’amour passé à l’électricité.

Le mimétisme, moteur du monde

Girard nous montre que le conflit naît non de la différence, mais de la ressemblance. Nous désirons ce que l’autre désire, et la rivalité s’enclenche. Quand la tension devient insoutenable, la société cherche un exutoire : le bouc émissaire. On projette sur un seul toutes les fautes, et le groupe se réconcilie dans son sacrifice. C’est le grand ménage neuronal des foules : on purifie le miroir en y jetant une pierre.

Le Juif, modèle et coupable

Depuis deux mille ans, le Juif incarne ce rôle paradoxal : miroir, modèle et victime. Il renvoie aux nations l’image de ce qu’elles rêveraient d’être — libre, fidèle, inimitable. Et comme on ne peut être lui, on veut le faire disparaître. Le christianisme naissant avait dévoilé l’innocence des victimes ; l’Église, plus tard, a préféré rejouer le drame archaïque : le peuple qui avait donné Dieu au monde fut accusé de l’avoir tué. C’est le sommet du mimétisme : haïr celui dont on tient sa propre lumière.

Le monde arabe : le frère jaloux

De l’autre côté, le monde musulman rejoue la même scène. L’Islam, né dans la continuité biblique, s’est retourné contre son aîné. Israël, par sa vitalité, sa science et sa liberté, lui renvoie l’image douloureuse de ce qu’il aurait pu être : un foyer de foi et de modernité. Ne pouvant supporter ce miroir, il le brise. La haine d’Israël n’est pas politique : elle est mimétique, neuronale, fraternelle — la jalousie du frère qui n’accepte pas la bénédiction de l’autre.

Les réseaux : l’arène des nouveaux sacrifices

Les neurones miroirs de Caïn n’ont pas disparu : ils tweetent, ils likent, ils s’indignent. Les réseaux sociaux sont devenus l’agora du mimétisme universel. Chacun s’y invente modèle pour ne pas être spectateur, chacun guette la victime du jour à lapider virtuellement. Le progrès aura mis deux millénaires à redécouvrir la Genèse : nous restons des imitateurs en quête de victimes.

Israël, dernier miroir du monde

Les nations modernes, gavées de compassion, continuent de chercher des coupables à crucifier. Et, fidèle à son rôle, le Juif demeure le miroir des consciences troubles. Israël concentre toutes les passions parce qu’il expose, impudemment, ce que le monde ne veut plus voir : le courage, la mémoire, la solitude de celui qui refuse de plaire. Chaque condamnation d’Israël est une liturgie laïque : on frappe le juste pour sauver la foule. Girard l’avait annoncé : plus le monde prétend défendre les victimes, plus il a besoin de victimes nouvelles.

ConclusionEntre mimétisme et meurtre, il n’y a qu’une synapse. Et tant que l’homme refusera de voir son propre reflet, il cherchera encore, quelque part entre Gaza et Twitter, un Juif à accuser pour calmer ses neurones miroirs.

© Paul Germon

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3 Comments

  1. j’adhère totalement à cette analyse. Des mots enfin sur des maux qui durent depuis la nuit des temps et ne sont pas prêts de s’arrêter. Hélène.

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