Tribune Juive

Lettre à mon fils de 14 ans. Par L’Étoile de David

Mon fils,

Tu as 14 ans. L’âge où l’on comprend déjà beaucoup, mais où l’on ne décide pas encore tout. L’âge où l’on voudrait voler, et où nos ailes sont encore cousues aux épaules de ceux qui t’aiment.

Notre histoire avec Israël n’est pas un slogan : c’est une vie vécue. Trois ans là-bas. Trois ans où je t’ai vu sortir de l’école à 13h30, l’après-midi entier devant toi, la mer pas loin, les rires partout. Une enfance comme elle devrait toujours l’être : libre. Puis sont venues des raisons familiales, puis le 7 octobre, puis le retour en France.

Cette France que j’ai aimée — profondément. Celle qui m’a formé, nourri, porté. Mais l’autre jour, je vous ai entendus, toi et tes amis, parler dans le salon :

« Là, on n’y va plus, c’est dangereux ».

« Sur Uber, je change de nom ».

« La kippa, pas dehors ».

Ce qui m’a le plus glacé, ce n’est pas ce que vous disiez : c’est comme vous le disiez. Calme. Posé. Comme si c’était normal. Voilà où nous en sommes : nos enfants apprennent à se camoufler avec la même évidence qu’on apprend à traverser sur les passages piétons. On ne les prépare plus à la vie ; on les entraîne à la discrétion.

À ta Bar-Mitsva, je t’ai raconté l’histoire du rabbin Yisrael Meir Lau. Il avait sept ans quand il s’est retrouvé à Buchenwald. Selon son propre récit, un garde affirmait que les enfants étaient « inutiles » puisqu’ils ne pouvaient pas travailler. Alors il a rassemblé un petit tas de pierres et de sable, est monté dessus, et a expliqué que, lui et ses camarades, pouvaient servir : porter de l’eau aux ouvriers, aider pour que chacun tienne. Cette audace l’a sauvé — lui et d’autres. Après la guerre, il est parti en Israël, où il est devenu un grand rabbin.

Je ne suis ni religieux ni pratiquant. Et Israël, pour moi, n’est pas seulement le pays où l’on peut pratiquer dignement sa religion. Israël est d’abord la promesse d’un État où chaque Juif — religieux ou laïque — peut être pleinement soi, sans renoncer à ce qu’il est.

J’ai longtemps cru que partir, c’était fuir. Aujourd’hui, rester, c’est céder. Et je refuse de t’offrir pour avenir une collection d’interdits : ne pas dire, ne pas porter, ne pas montrer, ne pas être.

Israël n’est pas un paradis. Il y a la menace, la cherté, la fatigue, l’inquiétude. Mais il y a ceci, qui n’a pas de prix : on n’a pas besoin d’y changer de nom pour monter dans un taxi. On n’a pas à s’excuser d’exister. On y est contesté, parfois ; nié, jamais. Tu pourras y grandir en juif, en garçon, en homme — pleinement toi-même.

Je veux aussi te confier une gratitude paradoxale. Pour la première fois depuis longtemps, je « remercie » ceux qui furent des références et qui se sont reniés : le Grand Rabbin Haïm Korsia, Alain Finkielkraut… Ils ont choisi les plateaux plutôt que le peuple, la posture plutôt que la fidélité, la lumière des studios plutôt que la clarté des principes. Je les remercie parce qu’ils m’ont rappelé, par l’exemple inversé, tout ce que j’exècre. Toi, choisis d’autres phares : Golda Meir, et tous ceux qui n’ont jamais éteint leurs valeurs pour rester invités. Qu’on aime ou non leurs politiques, ils n’ont pas marchandé leur vérité pour une minute d’antenne.

Que ce soit clair, mon fils : ce texte n’est pas une leçon de morale adressée à ceux qui font d’autres choix. Je respecte les peurs, les attachements, les difficultés — elles sont réelles. Cette lettre est un espoir. Un hymne à l’amour des nôtres, à la lumière plutôt qu’au placard, à la vie vraie plutôt qu’à la survie prudente. Un hymne pour que tu n’aies jamais à baisser la voix quand tu chantes en hébreu.

Je ne sais pas de quoi demain sera fait, ni ici, ni là-bas. Mais je sais ceci : si je ne bouge pas aujourd’hui, je t’apprendrai malgré moi à te trahir. Et je ne veux pas d’un fils qui sait se taire ; je veux un fils qui sait chanter — pas en héros, en vivant.

Un jour, quand tu étais petit, tu m’as récité un poème appris à l’école. Tu disais que j’étais ton papa-parapluie, celui qui te protège du tonnerre. Je ne veux plus être un parapluie pour toi. Je veux être une chance. Peut-être un exemple. Et, un jour — je l’espère, en Israël — je ne serai plus que ton papa-parasol, juste là pour te protéger… du soleil.

Et si tu ne te sens pas encore prêt, alors même qu’on répète à chaque petit juif, le jour de sa Bar-Mitsva, qu’il devient un homme, je respecterai cette promesse : te laisser choisir, te laisser décider.

Alors je partirai en éclaireur. Parce que, hélas, je ne crois pas que le monde s’arrange. J’irai préparer pour nous cet idéal de liberté que je te propose aujourd’hui. Et je t’attendrai : chaque jour, chaque heure, chaque minute.

Ton père,

qui ne t’offre pas la facilité,

mais la liberté.‌‌

Étoile de David

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