
« Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice ». (Montesquieu, « De l’esprit des lois », 1748)
C’est un acte symbolique, fort, détestable et injuste.
Fort, parce que jamais, dans l’histoire de la République, un ancien président n’avait été incarcéré.
Fort, parce qu’il s’agit d’un événement unique, humiliant non seulement pour l’homme, mais pour la fonction qu’il a incarnée.
Certes, Jacques Chirac fut condamné — mais il n’a pas connu un jour de prison.
Certes, Jérôme Cahuzac a, lui aussi, été condamné mais n’a jamais franchi le seuil d’une cellule.
Mais Nicolas Sarkozy, lui, ira en prison alors qu’il est présumé innocent, et que sa condamnation est juridiquement suspendue par l’acte d’appel.
Voilà donc un homme que la loi considère innocent, mais que la justice enferme.
C’est un événement détestable, car il souille l’image de la France, celle d’une justice mesurée, équilibrée, respectueuse de la hiérarchie des normes. Il abîme la symbolique même de la fonction présidentielle, en la traînant dans la boue judiciaire, sous les applaudissements d’une certaine opinion vindicative.
Mais surtout, c’est un événement profondément injuste. La détention provisoire est une atteinte directe au principe démocratique fondamental de la présomption d’innocence, au droit à la double juridiction, et à l’habeas corpus, c’est-à-dire au droit de tout citoyen de ne pas être privé de liberté sans jugement définitif.
Elle ne saurait se justifier que par le principe de précaution — en cas de dangerosité manifeste ou de risque de récidive violente. Rien de tel ici.
Dans un État de droit, on ne prive pas de liberté un homme dont la culpabilité n’a pas été reconnue. Autrement, cela s’appelle une lettre de cachet, et la démocratie recule de deux siècles.
La France ne dispose pas, à proprement parler, d’un Habeas Corpus Act comme l’Angleterre, mais elle en a adopté le principe fondateur : nul ne peut être privé de liberté sans être présenté rapidement à un juge, qui doit motiver la détention. Ce principe, pilier des libertés individuelles, découle directement de l’esprit de 1789 et des grandes chartes anglaises du droit.
Pourtant, la détention provisoire, trop souvent utilisée comme un instrument de pression ou de symbole, trahit cet esprit. Elle enferme un citoyen non condamné, parfois pendant des mois, voire des années, transformant la justice en supplice d’attente.
C’est une atteinte à la dignité humaine, contraire à la philosophie même de l’habeas corpus : la liberté n’est pas une faveur du juge, mais un droit inaliénable de l’homme libre.
Ce qui rend l’affaire plus révoltante encore, c’est le deux poids deux mesures : la même justice se montre d’un laxisme confondant envers les délinquants violents, les trafiquants, les criminels de sang — ceux-là mêmes qui menacent réellement la société —, mais se montre impitoyable envers un homme d’État dont la faute, si faute il y a, relève de la morale plus que du crime.
Se « faire un Président »
Se « faire un Président » : voilà le trophée que certains magistrats semblent avoir voulu brandir. Mais qu’ils se méfient : l’Histoire ne retient pas les juges qui condamnent — elle retient ceux qui condamnent injustement. Ceux qui, hier, se sont vantés d’avoir tranché la tête de Louis XVI ou de Marie-Antoinette sont tombés dans l’oubli ; il ne reste d’eux que l’image d’un zèle barbare et d’une inhumanité inutile.
Ainsi, l’incarcération de Nicolas Sarkozy n’est pas un acte de justice : c’est un acte de rupture.
Rupture entre la justice et le droit, entre la République et ses principes, entre le pouvoir judiciaire et la conscience démocratique.
Un acte expiatoire, un crime symbolique de lèse-majesté, qui souillera durablement la mémoire de ceux qui l’auront ordonné.
© Richard Abitbol