Le rêve palestinien, ou l’humiliation sacrée. Par Charles Rojzman

Il y a, dans le mot « Palestine », une musique funèbre, comme une prière psalmodiée par un muezzin ivre de tristesse. Ce n’est pas un pays, ni même une cause : c’est un tombeau vide où l’on a déposé les restes d’une grandeur que l’on jure n’avoir jamais perdue. Les musulmans y voient moins une terre qu’un miroir brisé — dans les éclats duquel se reflète l’échec d’une promesse divine. L’islam, cette religion que l’on veut parfaite, éternelle, victorieuse, se retrouve humiliée sur le rivage d’un monde moderne qui n’a plus d’oreilles pour entendre Allah.

Ils avaient été maîtres de l’histoire. Du moins, ils le croyaient. Les Juifs, ces éternels passants, n’étaient que des ombres dans l’empire des califes. Dhimmis silencieux, figures grises de la tolérance hautaine, ils avaient leur place : à genoux, dans les marges de la souveraineté musulmane. Et voilà qu’ils se lèvent, construisent, triomphent. Israël, ce petit peuple naguère errant, devenu nation éclatante, insolente, efficace. Une offense géopolitique, mais surtout une injure théologique.

Le choc est insoutenable. Ce n’est pas une guerre. C’est une honte. Une fracture intérieure, une brûlure d’orgueil. Dans chaque Palestinien, dans chaque musulman de banlieue, il y a un sultan déchu, un prophète bafoué, un prince nu. Ce n’est pas seulement Israël qu’ils haïssent : c’est le monde, tel qu’il est. Un monde qui ne les attendait pas, qui ne leur doit rien.

Alors, on parle d’apartheid. On crie à l’injustice. Non pas pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle symbolise. La défaite n’est pas militaire — elle est métaphysique. Allah, ce père trop aimant, semble s’être détourné, ou pire : il semble avoir souri à ceux qu’on maudissait. Et cela, c’est insupportable.

La jalousie devient doctrine. La victimisation, une identité. Le djihad n’est plus une guerre sainte : c’est une thérapie. On n’y cherche pas la victoire, mais la consolation. Mourir pour la Palestine, c’est mourir pour une image de soi que l’on voudrait intacte. C’est étreindre un rêve de pureté contre la saleté du réel.

Mais le rêve ment. Il caresse l’ego et empoisonne l’âme. Le musulman ne se bat plus pour vivre : il se bat pour ne pas s’effondrer en lui-même. Il refuse d’aimer ce qu’il est devenu, car cela signifierait accepter l’échec. Aimer l’échec, c’est aimer Dieu sans condition, sans récompense, sans paradis. C’est une théologie que peu supportent.

Alors on met un masque. Celui du martyr ou du monstre. On devient l’ange vengeur ou le diable humilié. On fait de l’autre un démon ou un dieu, sans juste mesure. Le monde devient un théâtre tragique, où chacun joue son rôle sans jamais regarder son propre visage. L’amour de soi, cette sagesse simple, devient impossible. Et dans ce vide béant entre soi et soi-même, entre Allah et la poussière, naît le mensonge, ce doux poison qui donne à l’âme la forme d’un mirage.

© Charles Rojzman

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1 Comment

  1. Bonsoir Charles Rojzman

    Vous essentialisez. Vous fabriquez des figures totales, symboliques, qui écrasent la complexité réelle. Vous transcendez la politique en métaphysique. Tout devient « structure d’âme », avec un inconscient collectif.

    A++

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