
On trouve sur Instagram une vidéo de l’INA sur la rafle du Vel d’Hiv du 28 août 1958. À l’heure où j’écris ces mots, ce post a rapporté 7141 « J’aime » à ses auteurs, la journaliste Ludivine Lopez et son réalisateur Franck Mazuet.
7141 esprits auront été trompés. Est-ce peu ?
Le ton et le regard de la narratrice se sont faits dramatiques pour montrer « la plus grande rafle en métropole après la seconde guerre mondiale » dont, nous dit-on, les images furent censurées – quoique conservées et librement consultables à l’INA.
Il s’agit de l’arrestation d’Algériens suspectés d’appartenance ou de complicité avec le FLN, qui avait déclenché les jours précédents une vague « d’attentats terroristes » tuant des policiers, provoquant des fusillades dans leur lutte indépendantiste devenue une « véritable guerre ».
Mais le documentaire tire son relief du lieu où sont conduits ces hommes : là où « 8000 juifs furent entassés en juillet 1942 ».
Ce chiffre est faux. On a dénombré 13152 Juifs raflés au Vel d’Hiv, dont 5919 femmes et 4115 enfants, tous sauf une centaine mourront à Auschwitz. Une erreur de 5000 morts, 40%.
Mais l’essentiel semble être de se parer du prestige macabre du Vel d’Hiv et de celui du préfet nommé pour réprimer l’insurrection algérienne, Maurice Papon. En 1998, il fut condamné pour la déportation de 1690 Juifs dont 223 enfants. Le documentaire commet encore une erreur de 40%, ne lui attribuant que « la mort d’un millier de Juifs ».
Mais on nous dit que, façon 42, Papon quadrilla Paris, multiplia les raids dans les bidonvilles et les contrôles au faciès. Et l’on entend : « Le gouvernement choisit de fermer les yeux sur ses méthodes comme il choisit de fermer les yeux sur son passé sous l’Occupation ».
Le sophisme coule de source : Papon fit en 1958 ce qu’il fit 1942-44.
Accolé aux deux événements, le mot « rafle » vient égaler une rafle policière traquant des combattants à une rafle d’une population civile à fin de déportation exterminatrice.
Le documentaire peut alors parler d’un « bégaiement de l’Histoire » où De Gaulle donne « carte blanche » à Papon pour réprimer le FLN à Paris d’une façon « particulièrement violente ».
Les faits, les faits ! Quel est le bilan de cette rafle : combien d’inculpés, de condamnés, de libérés, et après quel délai ? Eurent-ils des avocats ? Combien de victimes, de morts ? Aucun ? Pas même un seul ? On ne nous en dit rien. Pourquoi?
Méprisant toute déontologie journalistique, l’INA produit une rhétorique purement formelle, nominaliste, juste bonne à permettre la captation du vocable « Rafle du Vel d’Hiv ».
Sa référence en est dédoublée, son sens en est brouillé, relativisé.
La gravité de la rafle algérienne est fallacieusement mise au niveau de celle de la rafle juive, laquelle est doublement minorée, et finalement banalisée.
Un tel révisionnisme, peut-être inconscient, alimente l’esprit de concurrence mémorielle au lieu d’inspirer la solidarité entre les victimes. Solidarité, rappelons-le, que d’innombrables Juifs marquèrent envers la cause décoloniale, et que nous tenons à marquer à notre tour.
Pourquoi l’histoire de la décolonisation se ferait-elle sur le dos de la Shoah ?
Le mensonge est mortifère aussi pour le menteur.
L’INA, archive nationale, aurait pu faire autrement, et c’était son devoir, en respectant au plus juste les faits, les proportions des choses, et leur qualification.
Surtout dans le contexte d’une culpabilisation permanente de la France, et des efforts coordonnés des autorités algériennes, dont on trouve là des porte-voix.
Terminons hors sujet : existe un lieu sans nom, sans gloire, où l’on tient interné notre grand, notre solidaire Boualem Sansal.
Administrations et Jeunes Gens, et je m’adresse bien sûr aussi aux amis de l’Algérie, quand retrouverez-vous les bons combats ?
© Paul Memmi, docteur en linguistique