« Le plus effroyable n’est pas la cruauté des monstres, mais la banalité de ceux qui l’excusent. » — Hannah Arendt
« Le fanatisme de l’indignation a remplacé la passion de la vérité. » — Raymond Aron (L’Opium des intellectuels, 1955)
Il arrive qu’un titre fasse basculer un journal du côté obscur de sa propre histoire.
« Ils se sont acharnés sur nous : le choc des prisonniers palestiniens renvoyés à Gaza après leur libération. ». Ce titre, paru dans « Le Monde » le 17 octobre 2025, restera comme l’un de ces moments où la plume cesse d’informer pour pleurer sur les bourreaux.Les mots ne sont jamais neutres. Ici, ils deviennent des armes de brouillage moral. Parler de
« prisonniers » au lieu de terroristes, évoquer leur « choc » plutôt que celui des survivants du 7 octobre, présenter des membres du Hamas ou de milices affiliées comme des victimes de guerre : c’est une inversion du réel, un renversement des valeurs, une gifle infligée à la vérité.
Le titre de la honte
« Ils se sont acharnés sur nous. ». Cette phrase, censée rapporter la plainte d’un Palestinien libéré, ouvre la porte à une identification émotionnelle immédiate. Le lecteur est invité à compatir à la souffrance de celui qui fut détenu, sans savoir pourquoi il l’a été. Nulle mention des massacres du 7 octobre 2023. Nulle évocation des otages. Nulle distinction entre ceux arrêtés pour complicité de meurtre, pour appartenance à des organisations terroristes, et de possibles civils pris dans la guerre. Tout est fondu dans un récit unique de victimes palestiniennes et d’oppresseurs israéliens.
Ainsi fonctionne la rhétorique de l’ambiguïté : quand la précision gêne, on la dissout dans l’émotion.
L’empathie pervertie
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », écrivait Albert Camus.
Dans cet article, tout est mal nommé. Les terroristes deviennent des « prisonniers ». Les prisons israéliennes deviennent des « camps de torture ». Les victimes israéliennes disparaissent. Le Monde s’offre une compassion sélective, celle qui flatte sa bonne conscience. En exaltant les larmes d’un homme « brisé », on détourne le regard des enfants massacrés, des femmes violées, des vieillards égorgés le 7 octobre.
C’est la même logique que dénonçait Hannah Arendt : la banalité du mal commence quand la pensée s’arrête, quand la compassion se déplace du côté du crime.
La continuité d’un biais
Cette dérive ne naît pas d’hier. « Le Monde » se présente depuis 1944 comme un journal de référence, héritier des Lumières et de la raison critique. Mais cette respectabilité repose sur une ambivalence originelle.
Le journal fut créé sur les presses et dans les locaux du quotidien « Le Temps », interdit pour collaboration à la Libération. Hubert Beuve-Méry, son fondateur, y avait travaillé avant-guerre et brièvement servi le régime de Vichy avant de rejoindre la Résistance. « Le Monde » est donc né sur une ligne de fracture : celle d’un organe qui voulait se racheter moralement tout en conservant le ton de surplomb, celui du “grand témoin”, du “juge des consciences”.
Depuis lors, cette posture s’est muée en réflexe idéologique :
• Relativiser le terrorisme, pour mieux dénoncer la répression
• Condamner Israël, au nom d’un tiers-mondisme moral hérité des années 1970
• Romancer la souffrance palestinienne, quitte à effacer celle des victimes juives. Ce n’est plus du journalisme : c’est une liturgie.
La neutralité comme abdication
« Le Monde » aime à se présenter comme un arbitre impartial. Mais il confond la neutralité avec la symétrie. Or, entre un État démocratique et un mouvement théocratique, il n’y a pas symétrie. Entre ceux qui défendent leur peuple et ceux qui massacrent des civils, il n’y a pas équivalence.
Primo Levi l’écrivait : « Ceux qui nient la différence entre bourreau et victime se rendent coupables d’une nouvelle faute. »
En refusant de nommer les bourreaux, le Monde s’en rend complice — peut-être par haine, mais surement par lâcheté morale.
Le langage comme champ de bataille
Le journalisme n’est pas un tribunal, mais il est un miroir. Et ce miroir, « Le Monde » le tord. Le choix des mots façonne la perception du monde. En remplaçant le crime par le récit, la responsabilité par la plainte, Le Monde construit un imaginaire où l’assassin pleure et où la victime s’efface.
C’est une stratégie d’usure : à force de compassion mal orientée, le lecteur finit par oublier qui a commencé, qui a tué, qui a kidnappé, qui a brûlé vif. Le journalisme devient alors ce que Camus redoutait : un mensonge bien écrit.
L’ignominie de la confusion morale
Le 7 octobre 2023, des familles ont été massacrées, des enfants enlevés, des femmes torturées. Cet événement aurait dû figer pour longtemps la frontière entre la civilisation et la barbarie. Mais une partie de la presse, au nom d’un alibi d’humanisme mal compris, s’emploie à la brouiller. Ce brouillage est une offense aux morts, une trahison de la mémoire et un poison pour l’esprit public.
Quand « Le Monde » parle des terroristes du Hamas comme de simples “prisonniers”, il ne commet pas seulement une faute sémantique : il participe à la désagrégation du sens moral. Et quand il présente leur retour à Gaza comme une “tragédie humaine”, il oublie la tragédie des 1 200 Israéliens assassinés pour la seule raison d’être nés juifs.
La responsabilité du regard
La liberté de la presse est sacrée. Mais elle exige la lucidité. Être libre, ce n’est pas renvoyer dos à dos le bien et le mal, c’est avoir le courage de les distinguer.
Georges Bernanos l’avait compris : « Entre le mal et le bien, le journaliste n’a pas à être neutre. »
En publiant ce texte, « Le Monde » a franchi cette ligne rouge où la compassion devient complicité, et où la morale se dissout dans le relativisme.
L’histoire retiendra peut-être que ce fut le jour où un grand journal oublia sa mission première : défendre la vérité contre le mensonge, et non le mensonge au nom de la vérité.
© Richard Abitbol
À re-lire : Le Dossier de Tribune juive « Le Monde/Israël Un lynchage sans fin »
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