Tribune Juive

Israël, la réalité contre la mythologie. Par Celina B.

Depuis des décennies, le conflit israélo-palestinien polarise le monde entier. Chacun y projette son imaginaire, sa morale, sa colère ou sa foi. Certains y voient la dernière plaie ouverte du colonialisme, d’autres le retour d’un peuple sur sa terre ancestrale. Les images de guerre saturent les écrans, les opinions se figent, les indignations se répondent d’un camp à l’autre — mais très peu cherchent encore à comprendre ce que ce conflit dit vraiment du monde moderne : celui de la souveraineté, du droit, et du choix de société. Et c’est là que, pour moi, la discussion devient intéressante.

Avant même le plan de partage de 1947, il faut rappeler que la région n’était pas un “État palestinien” au sens politique du terme. C’était le territoire du mandat britannique sur la Palestine, confié après la chute de l’Empire ottoman. À cette époque, plusieurs propositions évoquaient déjà la création d’un foyer national juif, mais sans définir de frontières précises. Ce n’est qu’après la conférence de San Remo (1920) et le mémorandum britannique sur la Transjordanie (1923) que la ligne du Jourdain a été fixée comme frontière, à l’image de l’ancienne limite biblique. C’est à ce moment-là qu’est née la Transjordanie, future Jordanie, créée artificiellement par Londres sur la partie orientale du mandat. Cet État n’est pas né d’une histoire nationale propre, mais d’un geste diplomatique : les Britanniques ont placé sur le trône Abdallah, un prince venu de La Mecque, simple récompense pour la fidélité de sa famille. Personne, à l’époque, ne s’est insurgé contre cette création de toutes pièces, pourtant établie sur une partie du territoire de la Palestine mandataire. Et encore aujourd’hui, cette invention politique ne dérange personne : les mêmes qui dénoncent la “colonisation juive” ne trouvent rien à redire à cette manipulation britannique ni à l’installation d’une dynastie étrangère sur des terres palestiniennes.

Au fond, c’est là que commence pour moi le vrai sujet. On peut réécrire l’histoire à l’infini, convoquer les mythes, les légendes et les injustices passées, mais cela ne change rien aux faits. Dans le conflit israélo-palestinien, les discours sur la “terre ancestrale des Juifs”, les références bibliques, les arguments théologiques, tout ça ne m’intéresse pas. Ce sont des récits qui n’atteignent pas mon cerveau. Ce qui m’intéresse, c’est le réel, pas la mythologie. Et le réel, il est clair. En 1947, l’ONU propose un plan de partage : un État juif, un État arabe. Les Juifs acceptent, les Arabes refusent. À partir de là, tout s’enchaîne. En 1948, les États arabes attaquent le nouvel État d’Israël. Ils perdent. En 1967, ils attaquent à nouveau, et perdent encore. En 1973, même scénario : guerre, défaites, puis cessez-le-feu. Or il y a une règle universelle, valable depuis que le monde fait la guerre : celui qui attaque et perd, perd aussi du territoire. C’est le principe brut de l’histoire militaire et diplomatique — ni moral ni sentimental, mais réel. On peut le contester moralement, mais ce sont ces défaites successives qui ont façonné la carte actuelle du Proche-Orient. Israël n’a pas “volé” ces terres : les Juifs en ont acheté une grande partie à l’époque du mandat, et ils en ont conquis d’autres après avoir été agressés et avoir gagné. Et cela, que ça plaise ou non, fait partie du droit des nations, tel qu’il a été pratiqué par tous les empires, toutes les puissances, depuis des siècles.

Je n’ai aucun attachement particulier à Israël, ni à l’histoire juive. Je ne suis pas “pro” Israël, pas plus que je ne suis “anti” Palestine. Mais il existe aujourd’hui un pays reconnu, stable, démocratique. Un pays où les femmes votent, où les minorités siègent au Parlement, où la presse critique le pouvoir, où les homosexuels ne risquent pas la mort pour exister. Une société tournée vers la vie, vers la liberté, vers l’avenir. Et en face, il faut bien le dire, il y a des sociétés tournées vers la mort. Des régimes qui éduquent leurs enfants dans la haine, qui glorifient le martyre, qui préfèrent bâtir des tunnels sous les écoles plutôt que des écoles dignes de ce nom. Des dirigeants qui détournent les aides internationales pour entretenir des milices au lieu de construire des infrastructures. Des peuples pris en otage par leurs propres idéologies, prisonniers d’un discours de vengeance éternelle. Je ne dis pas qu’Israël est irréprochable. Aucune démocratie ne l’est. Mais enfin : d’un côté, un pays qui soigne, invente, débat, s’autocritique. De l’autre, des territoires où la critique vaut la prison, où le pouvoir religieux contrôle les consciences, où la mort d’un enfant devient un outil de propagande. Mon choix est vite fait.

Tout ce débat sur “qui était là le premier”, “à qui appartient cette terre”, “quelle promesse divine a été faite à qui”, n’a plus de sens dès lors qu’on parle d’États modernes et de sociétés civiles. Je ne vois pas en quoi la Bible, le Coran ou les chroniques d’il y a trois mille ans devraient déterminer le présent. Ce qui compte, ce n’est pas la mémoire mythique, c’est la qualité du projet de société. Et à ce jeu-là, il y a un fait indiscutable : Israël est une démocratie fonctionnelle. Ce n’est pas un miracle biblique, c’est une réussite politique.

Les pays arabes, eux, auraient pu, depuis 1948, transformer leur hostilité en coopération, investir dans l’éducation, la recherche, l’industrie. Ils ne l’ont pas fait. Ils ont préféré nourrir la haine, cultiver le ressentiment, enseigner la vengeance. Et aujourd’hui, ils en payent le prix.

Mon souhait n’a rien à voir avec la géopolitique : il est humain. Je voudrais que les peuples arabes, palestiniens et autres, puissent enfin s’émanciper des carcans qui les étouffent : le califat, le tribalisme, le djihadisme, la haine de l’Occident, la haine du Juif, la haine de tout ce qui réussit. Je voudrais qu’ils sortent du piège dans lequel leurs propres dirigeants les maintiennent depuis trois générations. Je voudrais qu’ils construisent des sociétés où l’on apprend à penser, pas à haïr ; à produire, pas à détruire. Parce qu’au fond, la question n’est pas religieuse ni territoriale : elle est civilisationnelle. Elle oppose deux visions du monde : celle qui veut vivre, et celle qui préfère mourir pour un mythe. Alors non, je ne suis ni “pro-Israélienne” ni “pro-Palestinienne”. Je suis du côté du réel, du droit, de la vie, de la liberté. Et si cela suffit à me faire passer pour une “mauvaise personne” aux yeux de certains, qu’ils gardent leurs étiquettes. Je préfère être du côté d’une société qui émancipe, qui débat, qui soigne, qui invente — que du côté de celles qui s’enferment dans la haine, la destruction et la mythologie de la mort.

© Celina B.

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