Tribune Juive

Archives: « La grande défaite de la parole ! ». Publié au lendemain des dernières présidentielles. Par Frédéric Joseph Bianchi

La grande défaite de la parole !

Fin du second tour.

Drôle d’ambiance.

Les vainqueurs sont plus inquiets qu’heureux chose jamais vue depuis la création de la Vème République. Aucun triomphalisme tout juste une petite joie. A l’occasion de cette réélection nous sommes à des années lumières des victoires de Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac ou Sarkozy ni même de celle de 2017. Toutes avaient entrainé une véritable liesse populaire et étaient marquées du sceau de la victoire.

Les ministres macroniens défilent sur les plateaux de télévision tendus, agressifs, presque mal élevés.

La France elle-même se réveille avec la gueule de bois, saoulée de mots mais se demandant ce que sera demain.

Avoir choisi le champ de Mars est un fabuleux acte manqué : Mars dieu de la guerre quand le discours parle d’unité c’est un peu étonnant.

Ce soir le Champ de Mars, ressemble à un champ de bataille où les armées, la bataille terminée, restent sur place car elles savent bien que la guerre continue.

Pourquoi cette situation ? pourquoi après l’élection tant d’incertitudes et de réserve.

Premier constat : Macron n’a pas débattu.

Il nous a indiqué qu’il devait sauver la France, l’Europe, l’Ukraine puis il a dû lutter contre le fascisme.

Au soir du premier tour Macron tout à coup peut faire campagne sans interruption puisqu’il avait un nouveau leitmotiv pour ne pas débattre : la lutte contre le fascisme français ! Plus de 33 pour cent au premier tour et la menace de passer la barre des 50%…

Oubliés le covid, l’Ukraine, L’Europe plus de coups de fil avec Poutine.

Autre façon de ne pas débattre : le mépris dont il a gratifié son opposante lors du seul débat auquel il a fallu se résigner. On dira que c’est de bonne guerre et bien sûr qu’il faut avancer ses pions en politique.

Faire de la lutte contre l’extrémisme son cheval de bataille est assez peu sur le plan du programme. Mais cela présente l’avantage certain que face à cette situation tous se rallient pour faire acte d’allégeance. Il fallait voir ceux que certains avec pas mal d’humour ont appelé les castors, se précipiter au secours de la lutte contre le fascisme.

Tous appellent à voter Macron celui qui vient de s’écrier « vive le voile », et pas un petit n’est-ce pas, un vrai, un islamiste, l’uniforme de cette idéologie, avec toute la panoplie visage caché compris. Bien que méprisant tout à la fois les femmes et la laïcité cette déclaration n’a provoqué aucune réaction aucune condamnation alors que cet épisode filmé par toutes les télévisions aurait dû provoquer un tollé ! Non rien.

Tous les soutiens silencieux car bientôt commence la distribution des prix.

C’est une prouesse politique de parvenir à désigner l’extrémisme d’un côté et dans le même temps adouber le voile islamique. Pointer du doigt un danger latent pour oublier un autre qui, lui, a fait des centaines de morts dans notre pays depuis dix ans.

C’est un bonneteau politique, un tour de passe-passe pour donner des gages aux électeurs de Mélenchon puisque ce dernier a recueilli 69% du vote musulman. Notons en passant que cela signifie implicitement que Macron considère que tous les musulmans se reconnaissent dans cet uniforme.

Le président vaguement candidat peut se permettre ensuite tout ce qu’il veut puisque seules comptent sa personne et sa parole : la retraite à 65 ans : il a décidé que ça se négociait. Le voile : il a décidé que ce n’était plus un problème. Le nucléaire : il a décidé, après avoir ruiné la balance commerciale en fermant deux centrales et en achetant de l’énergie à des pays étrangers, que c’était la solution, la ré-industrialisation de la France : une évidence après avoir vendu ou laissé vendre quelques fleurons de l’industrie française. Etc. etc. etc. On pourrait multiplier les exemples. Et tous les ralliés d’apprendre par la télévision ce qu’il faut maintenant penser puisque la pythie a parlé. Il faut voir d’ailleurs avec quelle condescendance le président candidat explique à chacun ce qu’il faut penser et comment il relaie au rang d’inepties tout ce qui n’est pas « sa parole ». Petite musique contagieuse puisque tous ses missi dominici professent de la même façon.

Au-delà de cette parodie il reste un fait politique majeur c’est la main tendue à Mélenchon et ses amis dans l’entre deux tours dont la fréquentation est encore plus détestable et dangereuse aujourd’hui que celle de l’autre extrême dans un pays où personne ne s’indigne de voir encore un candidat se réclamant ouvertement de l’idéologie communiste, plus grande usine de la mort du XXème siècle, et bien aussi insupportable que le fascisme.

Tous les débats ont été relayés à l’arrière scène : l’immigration, l’Europe, la sécurité, la politique extérieure… ils sont même apparus assez vains puisque seul comptait le barrage.

La France a un parti présidentiel et bientôt un parti unique car tout propos d’opposition est systématiquement stigmatisé.

Sans débats, sans idées et sans visions partagées, tous ces ralliements ressemblent à une kermesse politico médiatique dont il ne restera rien sinon un parti présidentiel, quasi parti unique, et les hurlements d’une bande de politiques vociférant : « Europe Europe Europe » d’un côté et « Fasciste fasciste fasciste » de l’autre ! Un langage politique réduit à sa plus simple expression qui ne permettra pas de voir arriver le vent du boulet.

La France comme en 40 se livre à son sauveur sans même savoir ce qu’elle peut en attendre croyant faire barrage au fascisme sans voir que s’en remettre à un homme, ayant un parti hégémonique à sa solde et prêt tout à coup à tous les compromis avec l’extrême gauche est la négation des institutions et de la démocratie et que ces schémas se sont toujours terminés dans la confusion voire bien pire encore.

Nous voici revenus en petite féodalité. La parole fait les frais de tout cela car plus que jamais l’engagement politique, le sens des idées, les valeurs auxquelles chacun peut croire en son âme et conscience, bref les mots, sont devenus quantités négligeables car seuls comptent les dernières phrases du souverain eux-mêmes dépendantes de ce qu’il comprend des soubresauts de l’opinion. La parole est devenue frivole et le très grand talent de Macron est d’avoir été le premier à le comprendre.

Le débat politique quant à lui s’est transformé en karaoké où les candidats mettent tour à tour la musique du social, de l’intégration, de l’immigration, de l’économie, du pouvoir d’achat et chante un petit air en improvisant les paroles.

Comme dans tout bon karaoké c’est justement que l’on retient la musique et pas du tout les paroles.

Les législatives qui devraient recentrer autour des projets de société sont déjà confisquées par les accords d’appareils. Ils entérineront définitivement le clivage entre une partie du pays et l’arsenal démocratique devenu désuet et sans fondement.

La faillite de la parole fait que le schéma habituel qui donne une majorité au président élu ne sera peut-être pas le scénario du troisième tour car le président élu devra faire avec les 22 % de Mélenchon et 40% de Le Pen au deuxième tour ! Son seul salut sera de transformer toutes les législatives en mini présidentielles où on pourra répéter à l’envie : Europe versus Fasciste.

La parole aura été sacrifiée mais elle peut reprendre son pouvoir dans la rue et à force de regarder à droite pour traverser, ils n’auront pas vu arriver le camion sur leur gauche. On pourrait en dénombrer mille autres indicateurs.

Pour qu’un mot ait du sens il faut qu’il exprime une pensée. Pour Macron la pensée est le vecteur de la manipulation de l’opinion et par conséquent aucun mot n’a vraiment de sens. Son être léger ne cherche pas à dérouler une pensée stable voire une doctrine, mais s’adapte, s’accommode prend la forme.

Macron aura vidé les mots de leur contenu pour élargir son assise politique.

Rien sur le champ de Mars ce soir du 24 avril ne faisait penser à une fête de la victoire et n’avait un air de fête. C’était bien davantage une veillée d’armes.

Un véritable combat de résistance va commencer pour remettre la parole politique au centre du débat et redonner du sens aux mots.

© Frédéric Joseph Bianchi 

Président de l’association TERRA ERETZ CORSICA ISRAËL

Quitter la version mobile