Par Anne Dunan
« Non, je ne pleurerai pas aujourd’hui. Pas encore. Le temps des larmes qui libèrent n’est pas encore venu.
Ça fait 2 ans qu’elles attendent de jaillir, cachées derrière la rage et la colère.
Elles attendent que le dernier otage soit ramené chez lui. Elles attendent ce jour où je pourrai ôter le collier que je porte h24 depuis presque 2 ans. C’est rien. C’est juste un serment, une promesse. Celle de penser à eux à chaque fois que la médaille bouge sur la chaîne.
La promesse de ne rien oublier. Et surtout pas ce jour maudit où des monstres à visage d’hommes sont venus, au petit matin, dans les villages calmes, dans le cœur d’une fête de jeune gens, dans les rues d’Israël. Comme des hordes monstrueuses ils ont commis l’indicible. Restent les images de leurs abominations : videos de cameras de surveillance, videos de telephone. Photos. Restent des images qui une fois vues bouleversent à jamais l’âme.
Je les ai vues. J’ai fait ce choix. En pleine connaissance de cause. Je n’ai pas voulu m’épargner. Parce qu’on n’oublie jamais la douleur. Et je ne veux rien oublier.
Ni les corps des enfants, ni le sang, ni les cris de joie des démons, ni les corps brûlés, les cadavres profanés. C’est horrible un corps humain calciné, c’est horrible aussi de voir que leurs mains étaient liées et d’apprendre qu’ils sont morts brûlés vifs. Je ne veux pas oublier cet homme de Zaka qui raconte comment ils sont entrés dans une maison et comment ils ont torturés les enfants devant leurs parents et les parents devant leurs enfants. Je ne veux pas oublier la nausée. Je ne veux pas oublier les blessés. Je ne veux pas oublier les jeunes soldats qui se battent pour leurs frères chaque jour. Des héros qui se font cracher dessus par la lie de nos sociétés.
Je ne veux pas oublier comment le monde a relativisé l’horreur. Comment ils brandissent leur drapeau de haine en se faisant passer pour le camp du bien. Je ne veux pas oublier l’antisémitisme, la réaction de la gauche, mon ancienne famille politique, celle de ce stupide macron.
Se rappeler de tout. Ne rien omettre. Ne rien se cacher. L’horreur dans sa vérité totale. Je ne veux rien oublier.
Jamais.
Pour ne jamais prendre le risque de pardonner.
Parce qu’il n’y a pas de pardon. Il n’y a pas de paix avec les démons.
Il y aura des larmes après. Plus tard. Peut être qu’un jour je pourrai pleurer pour laver mes yeux de toutes ces horreurs qui sont imprimées dans ma rétine. Peut être. Mais cette heure n’est pas encore venue.
© Anne Dunan
