Tribune Juive

Les vieilles pierres contre les slogans. Par David Castel

On a beau repeindre les cartes, tordre les mots, faire profession d’amnésie : les pierres n’ont pas d’idéologie. Elles disent seulement la vérité de ceux qui ont prié, étudié, transmis. Yehoudiya, réserve du Golan. Basalte noir, mur sud, trois ouvertures tournées vers Jérusalem, deux linteaux dont un orné, une brassée de colonnes. 1 500 ans d’un judaïsme debout. Voilà le dossier.

On nous répète que tout est « narratif », que tout n’est qu’angles et storytelling. Très bien. Alors prenons celui-ci : le Golan, aux époques romaine et byzantine, c’est un archipel de communautés juives, au moins vingt-cinq synagogues connues, et maintenant celle-ci, qu’on cherchait, qu’on trouve, qui se tient enfin devant nous comme un témoin qui n’a pas besoin d’avocat. Mur, portes, orientation vers Jérusalem — le compas moral d’un peuple.

Un pays n’est pas seulement une ligne sur un atlas : c’est la mémoire des gestes répétés. Ici, on priait et l’on enseignait. La synagogue n’était pas un musée : c’était l’école du quotidien, l’alphabet de la liberté. Hazal y passaient, l’oralité s’y écrivait, la communauté s’y apprenait du berceau jusqu’au dernier jour. C’est cela qu’on exhume : pas un décor, une civilisation. Pas un « récit concurrent », une continuité.

On voudrait résumer Israël à des échéances onusiennes, à des résolutions sans résolution, à des palabres où l’on confond le droit avec la dernière mode diplomatique. Les pierres, elles, n’ont pas signé d’éditorial : elles constatent. Et leur constat est simple : ici, il y avait un judaïsme vivant, savant, organisé, humble et puissant, tourné vers Jérusalem comme on tourne son visage vers la lumière.

Ceux qui disent « effacez », « recommencez l’histoire à zéro », « c’était vide avant » testent leur rhétorique contre de la roche volcanique. Mauvaise idée. Le basalte n’est pas sensible aux novlangues. À Yehoudiya, l’archéologie ne « prend pas parti » ; elle identifie, mesure, assemble — et, ce faisant, rappelle que la souveraineté n’est pas une improvisation, mais la résultante d’un ancrage. On peut contester un gouvernement, une frontière, une doctrine : contester l’existence des communautés juives du Golan aux Ve–VIe siècles, c’est contester la gravité.

Il y aura encore des rapports, des objections, des « oui mais ». Très bien : qu’ils viennent avec des chapiteaux, des inscriptions, des linteaux. Qu’ils opposent aux trois ouvertures vers Jérusalem autre chose que des hashtags. Nous, nous avons ce luxe de pauvres : des preuves.

Je n’ignore rien des tragédies d’aujourd’hui. Le 7 octobre a coupé l’âme en deux, et depuis, l’espace public a pris goût au soupçon contre les victimes, à la confusion morale, à l’équilibrisme des salons. Eh bien, justement : la découverte de Yehoudiya n’est pas une « jolie trouvaille » pour catalogue de musée. C’est un rappel de souveraineté intérieure. Ce qui nous fonde ne dépend pas des humeurs de la foule, ni des caprices du calendrier international. Ce qui nous fonde, ce sont des générations qui ont bâti des lieux de prière et de savoir, qui ont tenu la boussole vers Jérusalem coûte que coûte, et qui nous demandent aujourd’hui d’être à la hauteur.

On parlera d’« appropriation », de « colonial ». Les colonnes répondent : nous étions là pour apprendre, transmettre, prier. On parlera de « cycles », de « symétrie ». Les linteaux répondent : l’entrée est devant, pas au relativisme. On parlera de « paix », mot sublime trop souvent confondu avec l’abdication. Les trois portes répondent : paix ne veut pas dire renoncer à soi, mais ouvrir, instruire, élever.

Ce texte n’est pas un inventaire, c’est un engagement. Protéger Yehoudiya, continuer la fouille, ouvrir le site, c’est faire plus que gérer un patrimoine : c’est réaffirmer que la culture juive n’est pas une parenthèse entre deux violences, mais une architecture du temps long. L’État doit y mettre les moyens. Les visiteurs doivent y apprendre ce que c’est que la patience d’un peuple. Et nous, chacun à notre place, devons dire calmement : Israël n’est pas un accident de l’Histoire, c’en est une mémoire redevenue souveraine.

Les pierres ne votent pas. Elles témoignent. Au reste, c’est parfois mieux ainsi. Quand tout vacille, on s’appuie sur ce qui ne tremble pas : un mur noir de basalte, trois ouvertures vers Jérusalem, et l’idée simple que la vérité la plus politique, c’est un banc d’étude où l’on transmet aux enfants le nom du monde et la dignité de s’y tenir.

© David Castel

Ex-avocat, hébréophone & parémiographe. Écrit entre deux cafés, trois procès et mille aphorismes.

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