Tribune Juive

Au peuple français

Par Charles Rojzman

Tu n’as aucune idée de ce que signifie, dans l’histoire d’un peuple, l’irruption d’une guerre civile. Non pas la guerre telle que nous la concevons, avec ses fronts identifiés, ses armées, ses drapeaux, mais la guerre au sens le plus radical : celle qui s’insinue dans la trame même du lien social, qui défait patiemment tout ce qui tenait ensemble les hommes. Une guerre civile ne commence pas avec le vacarme des armes, mais avec la rupture silencieuse de la confiance.

Le premier signe n’est jamais spectaculaire. Il est intime. Les prémices sont là quand, dans la maison même, on apprend à se taire. Quand tes propres enfants craignent non ce que tu fais, mais ce que tu dis. Quand la parole devient menace et que la peur s’installe dans le regard filial. Quand un mot, prononcé à voix haute, semble un danger pour leur avenir, leur sécurité, leur vie même. Une guerre civile commence toujours par ce moment où la vérité devient imprononçable à table, dans la chaleur d’un foyer. Et ce moment-là, nous ne voulons pas voir qu’il est déjà là.

Puis vient la fissure plus large : quand des membres de ta propre famille refusent d’être associés à ton nom. Quand l’appartenance, jusque-là invisible parce qu’évidente, se transforme en charge insupportable. L’histoire nous enseigne que toute guerre civile naît de ce basculement : non pas l’affrontement extérieur, mais la désagrégation intérieure. Avant que les fusils ne parlent, ce sont les liens de sang et de voisinage qui se défont.

Car une guerre civile, ce n’est pas d’abord la violence, c’est la métamorphose des relations humaines. Ce n’est plus seulement l’ennemi inconnu au bout d’une frontière : c’est le patron du café qui t’offrait un sourire et qui un matin viendra te tuer dans ta cuisine. C’est le professeur qui abat son élève. L’élève qui poignarde son professeur. C’est le voisin qui, hier encore, te confiait ses inquiétudes et qui demain t’attendra avec un couteau. La barbarie n’entre pas dans la cité par effraction : elle surgit du cœur même des relations ordinaires.

Peuple français, comprends que ce basculement ne s’explique pas seulement par la haine, mais par l’effondrement de ce qui nous tenait ensemble : la certitude qu’entre nous il y a quelque chose de plus fort que nos divergences. C’est cette certitude-là, fragile et invisible, qui meurt la première. Et lorsqu’elle disparaît, ce ne sont pas seulement les institutions qui s’effondrent : c’est l’évidence même d’appartenir à un monde commun.

Voilà pourquoi tu n’as pas idée de ce qui vient quand tu parles de guerre civile comme d’une hypothèse lointaine. Ce qui vient n’aura pas l’allure des guerres que nous avons apprises dans les livres. Il n’y aura pas de front ni de drapeau. Ce sera dans ta rue, dans ta cage d’escalier, dans la chambre de ton enfant où un couteau, par prudence, attendra sous l’oreiller. Et ce qui te frappera, ce n’est pas seulement la peur : ce sera le regard de ceux que tu croyais connaître et qui, un matin, ne te reconnaîtront plus.

Souviens-toi de ceci : une guerre civile ne commence pas quand le premier coup de feu éclate. Elle commence bien avant, quand le lien devient soupçon, quand la parole devient menace, quand l’amour même se charge de peur. Et ce seuil-là, si tu as le courage de regarder autour de toi, tu verras qu’il est déjà franchi.

© Charles Rojzman

Charles Rojzman


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