Tribune Juive

Quand la République exige un certificat de baptême

Par Richard Abitbol

La scène s’est déroulée sur France Inter, mais elle aurait pu sortir d’un mauvais roman du XIXᵉ siècle. Jean-Louis Bourlanges, ancien président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, a cru bon d’intimer aux Juifs de France de « prendre leurs distances » avec la politique de Benyamin Netanyahou. Traduction : pour être de bons citoyens français, ils devraient afficher publiquement leur rupture avec Israël. Comme si leur appartenance nationale ne suffisait pas. Comme si leur fidélité devait être prouvée. Comme si, au fond, la République exigeait d’eux un certificat de baptême.

C’est exactement le vieux poison de Drumont, recyclé sous costume républicain. Le soupçon éternel : les Juifs seraient toujours comptables d’ailleurs, toujours suspects d’une double allégeance. Hier, on les accusait de cosmopolitisme. Aujourd’hui, on les accuse de solidarité avec Israël. Le procédé est le même : rendre leur citoyenneté conditionnelle, leur loyauté douteuse, leur existence française précaire.

Le plus glaçant n’est pas la violence de cette assignation, mais sa banalité. Bourlanges n’est pas un polémiste marginal, mais un ancien parlementaire respecté. Et il parle non dans un café enfumé, mais dans le studio de la radio publique la plus écoutée de France. Voilà où nous en sommes : l’antisémitisme n’a plus besoin de se cacher, il s’exprime en plein jour, dans les habits de la raison politique.

Le renversement est total. Ce ne seraient plus les agresseurs antisémites qu’il faudrait combattre, mais les victimes qu’il faudrait rééduquer. Ce ne serait plus la haine qu’il faudrait dénoncer, mais les Juifs qu’il faudrait convaincre de s’en désolidariser. En d’autres termes : l’antisémitisme serait la faute des Juifs eux-mêmes. Voilà jusqu’où va le cynisme, voilà jusqu’où se fige aujourd’hui la logique du bouc émissaire.

Mais une République qui demande à certains de ses enfants des preuves de loyauté, des certificats de conformité identitaire, n’est plus une République. Elle redevient le vieux tribunal inquisitorial où l’on traque la différence, où l’on suspecte l’altérité, où l’on demande aux Juifs de se faire pardonner d’être Juifs.

© Richard Abitbol

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