Par Yaël Bensimhoun

On nous l’avait vendue comme une mission humanitaire. Quelle noble entreprise ! Quarante-cinq bateaux, partis de Tunis le 30 août, gonflés d’idéaux et de belles proclamations. Mais la Méditerranée, qui connaît ses classiques, s’offrit aussitôt le rôle de la première opposante. Une tempête, dès les premiers jours, les fit rebrousser chemin : premier avertissement, clair comme un éclair. Une tempête shakespearienne : la mer elle-même semblait leur envoyer Prospero en guise d’avertissement. Mais nos héros, sourds aux signes du ciel et de la littérature, préférèrent s’entêter.
Alors la mer délégua.
Ce furent les machines qui les premières prirent le relais. Une fuite dans une salle des moteurs transforma l’équipage en plombiers improvisés. On sortit les clés anglaises, on écopa comme on pouvait. Et comme on s’ennuyait, on ajouta quelques arrêts administratifs : escale interminable en Tunisie, lenteurs tatillonnes en Grèce… La flottille mytho plus que logique se métamorphosait en croisière bureaucratique.
Toutefois, la meilleure tempête, n’éclata pas dans la mer. Contre toute attente, elle explosa entre les passagers. Le grand front de la solidarité universelle se brisa sur la vague d’une question épineuse : fallait-il accepter un militant trans à bord ? Un mahométan, barbe au vent, hurlait à la trahison, furieux de partager le pont et les vivres avec ce qu’il appelait une « provocation ». Humanitaire, oui, mais avec ses semblables, l’inclusion a ses limites !…
Les disputes de caniveau irritèrent les stars. La pt’ite Greta, d’abord, sortit du bateau comme on sort d’un rêve éveillé, avec cet air absent d’extra-terrestre qui lui est propre. Officiellement, elle reprochait aux autres de ne pas assez parler de Gaza. En vérité, c’était surtout qu’on parlait trop des autres. Elle n’était plus l’affiche principale. Alors elle prit sa mine de prophétesse distraite, posa un pied sur le quai comme sur un tapis rouge volant, et s’éclipsa, seule spectatrice de sa propre sortie.
Adèle Haenel suivit, et fit ses adieux avec le sérieux d’une tragédienne. Honte aux dieux, maudit destin, le moteur de son bateau était « cassé, irréparable ». Cassé peut-être, mais pas autant que son enthousiasme. Car enfin, quarante-quatre autres navires voguaient encore : la flotille n’affichait pas complet ! Mais l’actrice, oubliée jusqu’au jour où elle décida de monter sur son bateau, préféra tirer sa révérence et quitter la scène. Sans doute aussi s’ennuyait-elle : les discours de pont ne valent pas les strass ni les feux des projecteurs.
Un demi-rôle donc : le cachet devrait quand même être bon…
Bouquet final : Thomas Portes. On se souvient encore de lui, devisant fièrement avec des cadres palestiniens experts en terrorisme, à la veille du 7 octobre. Celui-là même qui jurait ne pas craindre Israël, découvrit soudain de pressantes » raisons personnelles et familiales » de quitter le navire. Faut dire que dans le catéchisme militant, la peur ne s’avoue jamais : on la déguise en pudeur domestique et on l’habille de fidélité aux siens. Ainsi, la fuite et la trouille prirent des airs de sacrifice. Mais quelle famille réclamait tant d’urgence ? On le retrouve, dit-on, au Liban, accueilli par sa famille désormais élargie, de nouveaux cousins du FPLP. Manifestement, la tempête effraie l’insoumis, mais les terroristes, eux, le rassurent.
La farce cependant ne serait pas complète sans l’épisode des drones qui surgirent un jour au-dessus de la flottille, mystérieux, invisibles, jamais revendiqués. Les uns jurèrent qu’Israël les avait envoyés, les autres n’en savaient rien : qu’importe, on en fit tout un drame. On cria à l’agression comme si deux engins bourdonnants annonçaient déjà un nouveau Pearl Harbor. Et cela suffit à déclencher les grands moyens : l’Italie et l’Espagne dépêchèrent orgueilleusement leurs navires pour protéger la flottille d’une « menace existentielle ». Enfin, une aubaine inespérée : pouvoir sortir l’armada ! Rome et Madrid jouaient le grand rôle de leur vie : se mesurer à Israël comme Don Quichotte à ses moulins.
Bref, tout conspirait à freiner la flottille : la mer, les moteurs, les ports, les égos, les stars, les politiques, les drones… Chaque obstacle ressemblait à un petit panneau lumineux : « Stop, demi-tour, rentrez chez vous ». Mais nos marins humanitaires, pleins d’acharnement, prirent ces embûches pour des storys TikTok à partager, avec filtre héroïque et musique dramatique.
Ainsi, de tempête en pannes, d’escales en disputes, et de défections en rebroussements, la flottille finit par accomplir 𝑳𝑬 𝑩𝑰𝑮 𝑴𝑰𝑹𝑨𝑪𝑳𝑬 : arriver le jour exact de Yom Kippour.
Coïncidence, ou mise en scène ? Après tant de contretemps, tomber précisément sur la date la plus sensible du calendrier juif relève sans doute d’une ponctualité théologique ou d’un gag cosmique. Au choix.
Leur gloire ? Avoir inventé la première mission » humanitaire » qui préfère un calendrier de provocation à une cargaison de farine. Leur honte ? Elle est acquise pour longtemps. Car choisir Yom Kippour pour défier Israël, c’est arracher le masque de l’humanitaire et révéler la vérité nue : non pas l’aide, mais la haine. En guise de secours, ils auront surtout offert une pièce en plusieurs actes, où les ratés tiennent lieu de cargaison.
Israël, lui, continuera de prier, de vivre et de se défendre, ce qui, convenons-en, est un peu plus solide qu’une flottille en goguette.
Gmar hatima tova Israël.
© 𝗬𝗮𝗲̈𝗹 𝗕𝗲𝗻𝘀𝗶𝗺𝗵𝗼𝘂𝗻
Diplômée de littérature française, Yaël Bensimhoun s’est établie en Israël il y a près de 20 ans . C’est là qu’elle conjugue l’amour de sa langue d’origine et celui du pays auquel elle a toujours senti appartenir. Elle collabore depuis plusieurs années à des journaux et magazines fr