Par Richard Abitbol
L’antisémitisme n’est pas une opinion ni une erreur passagère : c’est une maladie de civilisation. Un virus culturel qui traverse les siècles, mute et s’adapte à chaque époque. Comme tout virus mortel, il change de visage mais conserve son poison : faire du Juif l’ennemi matriciel, le bouc émissaire idéal.
Longtemps, ce virus a pris appui sur le christianisme : le Juif accusé de déicide, voué à l’errance, enfermé dans les ghettos ou jeté sur les bûchers. Mais avec la sécularisation, il a trouvé un nouvel hôte, infiniment plus redoutable : la gauche. C’est là le rôle funeste de Pierre-Joseph Proudhon, ce père de l’anarchisme et du mutualisme, souvent célébré comme penseur de l’émancipation, mais qui fut aussi l’un des premiers intellectuels modernes à théoriser un antisémitisme d’extermination.
Dans ses carnets, Proudhon n’écrit pas seulement son mépris : il appelle à « exterminer les Juifs » ou à les « renvoyer en Asie ». Ce ne sont pas des propos isolés mais un véritable programme politique. Le Juif n’est plus, chez lui, coupable d’un crime religieux, mais défini comme un parasite social, corrupteur du peuple, incarnation de l’argent, de l’usure et du cosmopolitisme.
Cette mutation est décisive. Elle retire au Juif toute possibilité de rédemption : il ne suffit plus de se convertir, de devenir « bon chrétien ». Il est condamné en tant que tel, non par sa foi mais par sa supposée fonction sociale. Voilà le cœur de l’antisémitisme moderne : il ne se dit plus au nom de Dieu, mais au nom du peuple et de la justice sociale.
C’est de là que part une chaîne idéologique redoutable. Le disciple de Proudhon, Alphonse Toussenel, publie Les Juifs rois de l’époque en 1845, où il décrit la France sous la coupe des Rothschild. Plus tard, Édouard Drumont reprend le flambeau avec La France juive (1886), un best-seller qui popularise la haine antisémite comme grille de lecture de toutes les crises. Le terrain est alors préparé pour que le nazisme ajoute à ce discours social une dimension biologique, raciale, irrémédiable.
La Shoah apparaît ainsi comme l’accomplissement monstrueux d’un rêve proudhonien : débarrasser l’humanité d’un peuple accusé d’être la cause de tous les maux.
Mais ce qui nous concerne aujourd’hui est encore plus grave : le virus proudhonien n’a jamais été éradiqué. Il continue de circuler dans notre culture politique, surtout à gauche. Quand on accuse les Juifs d’être « un peuple dominateur » (De Gaulle en 1967), quand on soupçonne Israël d’incarner toutes les oppressions, quand certains mouvements politiques transforment la cause palestinienne en bannière universelle pour diaboliser l’État juif, nous sommes encore dans la logique de Proudhon.
L’antisémitisme contemporain n’a pas besoin d’étoiles jaunes : il a trouvé un nouveau vocabulaire, plus « respectable ». On ne dit plus « Juif », on dit « sioniste ». On ne parle plus de « parasite », mais de « colonisateur ». On ne parle plus d’« usurier », mais de « lobby ». Mais derrière le masque, c’est toujours la même mécanique : la société en crise cherche son bouc émissaire, et c’est encore le Juif qui sert de cible.
C’est pourquoi il est impossible aujourd’hui de parler de Proudhon sans rappeler son rôle matriciel. Sa haine n’est pas un détail à côté de son œuvre : elle est un socle idéologique qui a contaminé toute une partie de la pensée de gauche et qui continue d’empoisonner nos débats.
On comprend mieux pourquoi, en France comme en Espagne ou en Allemagne, l’antisémitisme le plus virulent n’est pas porté frontalement par les partis nationalistes (RN, Vox, AfD), mais prospère dans les rangs de la gauche radicale, des Verts, des mouvements décoloniaux. Tous reprennent sans le savoir la vieille logique proudhonienne : sous couvert de justice sociale ou de solidarité internationale, désigner le Juif – devenu « Israël » – comme l’ennemi universel.
La dénazification a pu agir comme un vaccin partiel en Allemagne : procès de Nuremberg, éducation, interdictions. Mais ce vaccin reposait sur la mémoire du mal. Et la mémoire s’érode. Le véritable vaccin n’est pas seulement de rappeler Auschwitz : il est de réaffirmer positivement nos racines judéo-chrétiennes, et d’y reconnaître le rôle central du judaïsme.
Car le judaïsme n’est pas l’ennemi intérieur que Proudhon décrivait. Il est le frère d’armes, le pilier invisible qui a donné à l’Europe le sens de la Loi, de la responsabilité, de la dignité humaine. C’est lui qui peut offrir les anticorps civilisationnels contre la déconstruction et le relativisme.
L’antisémitisme est un virus immortel.
• Religieux au Moyen Âge : le Juif déicide.
• Social au XIXᵉ siècle : le Juif parasite, selon Proudhon.
• Racial au XXᵉ siècle : le Juif irrémédiable, selon Hitler.
• Politique aujourd’hui : le Juif-sioniste, oppresseur universel.
Comme tous les virus létaux, il mute. Mais jamais il ne perd son poison. Et c’est bien la mutation proudhonienne qui, aujourd’hui encore, mine notre société, en transformant la haine ancestrale en bannière de gauche, en drapeau palestinien, en vocabulaire pseudo-progressiste.
Tant que nous n’aurons pas affronté cette vérité, l’Europe restera vulnérable. Elle ne pourra se sauver qu’en reconnaissant le judaïsme non plus comme un étranger de l’intérieur, mais comme le vaccin civilisationnel qui peut l’immuniser contre sa propre autodestruction.
© Richard Abitbol
