Tribune Juive

Il part. Par David Castel

Il part 

Étonnante manie que celle du dernier verset : finir un livre entier en ordonnant de le réécrire. Comme si un écrivain, après mille pages, disait à son lecteur : « Bon, reprenons depuis le début. » On pourrait trouver cela absurde. Pourtant, l’explication saute aux yeux : la Torah n’est pas un bibelot pour vitrines ni une relique pour musées. Elle doit vivre, circuler, passer de bouche en bouche comme une bonne histoire au café. Pas pour remplir des rayonnages, mais pour donner du souffle aux vivants.

Moïse s’en va, le peuple hérite d’un rouleau, d’une voix, d’une mémoire. Jonas, lui, prend ses jambes à son cou. Mauvaise idée : la mer le rattrape, le poisson l’avale. Et dans ce ventre humide, il comprend — un peu tard — qu’on n’échappe pas à l’injonction divine, pas plus qu’Israël n’échappe à son destin quand ses ennemis s’imaginent déjà triomphants.

La vraie prière, tout le monde le sait, ne se fait pas en chaussons, avec un ciel dégagé et un café chaud. Elle se fait quand ça grince, quand ça brûle, quand la peur serre la gorge. Israël connaît bien cette prière-là.

L’écrit, c’est la mémoire en conserve. La voix, c’est le parfum qui s’évapore. Lire, ce n’est pas transmettre. Transmettre, c’est dire, répéter, parfois même radoter — et ce radotage-là, loin de fatiguer, construit une communauté. « Interroge ton père, il t’apprendra. » L’écrit rend autonome, l’oral rend solidaire.

Chaque semaine, au moment de la lecture, on se retrouve au Sinaï, sans caravane organisée, sans guide touristique : juste une parole vivante à recevoir. Aujourd’hui, pourtant, l’art d’écouter s’effrite. On met les rabbins en vitesse x2, comme si Moïse lui-même devait se plier aux algorithmes. On s’enferme dans des casques, on veut du court, du sec, du rapide. Résultat : tout le monde parle, plus personne n’écoute. Même le silence, on le couvre de bruit.

Alors il faut réapprendre. Écouter le silence comme on écoute un vieil oncle qu’on croyait ennuyeux, et qui soudain raconte l’essentiel. Distinguer les nuances du vacarme, savourer la chorale cachée des rues, remettre nos vies en harmonie avec cette musique-là.

Israël, justement, est ce pays paradoxal. Un chaos sonore où pourtant l’oreille reste tendue. Là-bas, une fusée tombe, une chanson passe à la radio, et chacun comprend l’état du pays mieux qu’un service de presse. Là-bas, on critique les ministres, les impôts, la météo — et c’est le signe qu’on aime. Là-bas, on se parle trois fois par jour, même quand on ne s’entend pas. Et l’histoire s’écrit en une minute, entre un jour de deuil et un jour de fête.

Pays bruyant, mais chant vivant. Pays impossible, mais unique. Chaque semaine, on remet un rouleau sur la table et on répète l’injonction : « Écrivez ce chant, qu’il soit dans vos bouches. » Pays qu’on critique sans cesse et qu’on ne quitterait pour rien. Pays où la plainte se confond avec la prière. Pays obstiné à écrire, chanter, transmettre. Toujours. Encore.

© David Castel
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