Beyrouth, un an sans Hassan Nasrallah : le danger structurel du régime iranien demeure

Par Anas Emmanuel Faour


Un an après la disparition de Hassan Nasrallah, le Liban et la région mesurent à la fois la portée symbolique de sa mort et la permanence du danger qu’il incarnait. Chef du Hezbollah depuis 1992, il fut le visage le plus visible d’une organisation terroriste qui n’a jamais été qu’un instrument docile du régime iranien.
Sa disparition a provoqué un soulagement au Moyen-Orient, parfois même célébré autour d’un dessert ou d’un repas de fête, tant l’homme incarnait une idéologie de haine et de mort. Mais croire que cette disparition suffirait à affaiblir durablement le Hezbollah relève de l’illusion.

Le danger ne tenait pas à la personne de Nasrallah, mais à la nature même du régime iranien et à l’idéologie du Wilayat al-Faqih, dont le Hezbollah demeure l’émanation directe. Tant que ce système subsistera, la menace restera entière, quelles que soient les figures appelées à le représenter.
La guerre de juin a porté un coup sévère au programme nucléaire iranien. Mais la menace ne disparaîtra pas : elle s’enracine dans une matrice idéologique, religieuse et politique pluriséculaire, ravivée et institutionnalisée par Khomeiny, consolidée par ses successeurs et exportée comme arme de subversion régionale à travers des relais tels que le Hezbollah

La disparition de Hassan Nasrallah ne change rien à cette équation : le danger ne résidait pas seulement en sa personne, mais dans l’idéologie du Wilayat al-Faqih et dans l’appareil de domination mis en place par l’Iran. Comprendre cela, c’est admettre que le monde libre n’a d’autre choix que de maintenir la pression et de neutraliser non seulement les hommes, mais surtout le système qui les engendre.
Au Liban, le Hezbollah demeure l’outil de cette expansion : un corps étranger qui confisque la souveraineté nationale, réduit le peuple libanais au silence et constitue une menace directe pour la sécurité d’Israël et, au-delà, pour celle de l’ensemble du monde libre.

Islam et politique : une alliance originelle
Contrairement à une idée répandue, la dimension politique de l’islam n’est pas un accident de l’histoire mais un trait constitutif. La biographie de Mahomet, transmise par Ibn Ishaq puis remaniée par Ibn Hisham, le décrit non seulement comme fondateur de l’islam, mais aussi comme chef militaire et fondateur d’un État. À Médine, il fit rédiger une charte de coexistence, administra des territoires, mena des campagnes armées et imposa l’unification de la péninsule arabique.
À sa mort en 632, la succession ouvrit un cycle de conflits. Les premiers califes – Abou Bakr, Omar, Othman et Ali – furent choisis dans un cercle restreint de compagnons, sans processus démocratique. L’assassinat d’Othman et l’arrivée d’Ali déclenchèrent la rupture majeure entre Omeyyades et Hachémites. Ali fut assassiné, Muawiya fonda le califat omeyyade, et les chiites furent durablement marginalisés.

De ce schisme naquirent deux conceptions opposées :
• Le califat, chez les sunnites, conçu comme une institution de gouvernement confiée par consensus.
• L’imamat, chez les chiites, où l’autorité devait revenir aux descendants d’Ali, investis d’une légitimité divine.

Le chiisme, entre marginalisation et réaffirmation
Durant des siècles, les chiites furent exclus du pouvoir central, persécutés sous les Omeyyades, les Abbassides et les Ottomans. Leur doctrine s’articula autour de la lignée des douze imams, dont le dernier, al-Mahdi, serait entré en occultation pour revenir à la fin des temps. Cette attente eschatologique nourrissait une tension permanente entre passivité et contestation.
Au XVIe siècle, un tournant survint : la dynastie safavide imposa le chiisme duodécimain comme religion d’État en Iran. Cette décision, éminemment politique, visait à résister aux Ottomans sunnites et à donner une identité propre à l’Iran. Mais cette conversion forcée plongea le pays dans des siècles de tensions internes.
Le chiisme devint alors un outil de pouvoir. Mais il fallut attendre le XXᵉ siècle pour qu’il se transforme en projet idéologique.

Le XXᵉ siècle entre monarchie, modernisation et islamisation
Reza Shah Pahlavi (1925-1941) entreprit une modernisation inspirée de la Turquie kémaliste. Mais son autoritarisme, son recours massif à l’expertise allemande — qui renforça l’influence du régime nazi — et son refus d’ouvrir le système politique finirent par provoquer sa chute. En 1941, en pleine Seconde Guerre mondiale, l’Iran fut envahi par les forces soviétiques et britanniques, qui l’obligèrent à abdiquer en faveur de son fils, Mohammad Reza Pahlavi.
Celui-ci accéda au trône en position de faiblesse. Renversé par le gouvernement progressiste de Mohammad Mossadegh, il fut rétabli en 1953 grâce à l’opération Ajax, coup d’État orchestré avec le soutien des États-Unis et du Royaume-Uni. Dès lors, il transforma l’Iran en bastion pro-occidental et en rempart contre l’expansion soviétique, mais au prix d’un régime sécuritaire marqué par une répression systématique, notamment contre les communistes et les socialistes.
Dans ce contexte verrouillé, l’islamisme trouva un terrain propice. Exilé à partir de 1964, Ruhollah Khomeiny formula sa théorie du Wilayat al-Faqih, exposée en 1970, selon laquelle le juriste-théologien devait gouverner au nom de l’imam occulté. D’abord marginale, cette idée devint centrale avec la révolution de 1979, ouvrant une nouvelle ère pour l’Iran et pour l’ensemble de la région.

Le régime des ayatollahs : un pouvoir absolu et supranational
La chute du Shah ouvrit la voie à une théocratie unique au monde : la République islamique, dominée par le Guide suprême, doté d’un veto sur toutes les institutions. Le régime se dota d’apparences démocratiques – élections, Parlement – mais verrouilla tout le système au profit du clergé chiite.
Le double discours fut central : Khomeiny parvint à tromper une partie des intellectuels et des militants iraniens en se réclamant, dans ses discours, du principe de souveraineté populaire inspiré de Jean-Jacques Rousseau. Ce vernis démocratique lui permit de rallier de nombreux soutiens. Mais derrière cette façade, son objectif était clair : instaurer une dictature religieuse, exporter l’idéologie du Wilayat al-Faqih, renverser les régimes jugés « impies » et placer la « marche vers Jérusalem » au cœur de son projet politique et idéologique.
C’est dans ce contexte qu’apparut le Hezbollah.

La genèse du Hezbollah : Beyrouth, sous l’ombre du régime des ayatollahs
Au Liban, plongé dans la guerre civile (1975-1990), les Gardiens de la Révolution profitèrent du chaos pour implanter un mouvement chiite armé. Fondé en 1982, le Hezbollah devint rapidement la vitrine régionale du régime iranien. Il adopta la doctrine du Wilayat al-Faqih, prêta allégeance à Khomeiny, puis à Khamenei.
Sous Abbas Moussaoui, puis Hassan Nasrallah à partir de 1992, le Hezbollah prit une dimension nouvelle :
• Militaire, avec une armée plus puissante que l’armée libanaise.
• Politique, en entrant au Parlement et au gouvernement.
• Sociale, en gérant écoles, hôpitaux et associations.
• Religieuse, en diffusant une idéologie mortifère.
Le Hezbollah devint ainsi un État dans l’État, échappant à toute souveraineté libanaise réelle.

Nasrallah : un lieutenant de Téhéran
Hassan Nasrallah n’a jamais été un chef « libanais », mais la marionnette la plus docile de Téhéran. Derrière ses discours de haine, il ne dirigeait qu’une organisation terroriste vouée à livrer le Liban aux ambitions iraniennes. Chaque mot trahissait son allégeance à Khamenei. Chaque décision – massacres en Syrie, soutien au Hamas – servait l’expansion de l’Iran et l’entretien d’une guerre régionale sans fin.
Sous son commandement, le Hezbollah devint l’outil majeur de Téhéran : défense acharnée d’un régime Assad désormais tombé, interventions en Irak, soutien aux Houthis, coopération tactique avec le Hamas. Son héritage est limpide : il n’a pas servi le Liban, il l’a sacrifié pour en faire une colonie iranienne en ruine.
La stratégie du double discours
Le Hezbollah, miroir de l’Iran, a fait du mensonge son unique stratégie :
• Au Liban : se présenter comme un acteur politique légitime tout en tenant l’État et son peuple en otages.
• À l’international : manipuler les foules en prétendant incarner la bonne volonté envers le Liban.
• En réalité : une milice terroriste confessionnelle, bras armé de Téhéran, dont l’unique mission est d’anéantir Israël et de servir l’expansion impériale iranienne.
Hassan Nasrallah n’a pas servi le Liban : il l’a trahi, l’a transformé en prison iranienne et l’a sacrifié dans la guerre menée contre tous les adversaires du régime des ayatollahs.

Un appareil politico-militaire total
Pour comprendre pourquoi le Hezbollah survit à la disparition de son chef historique, il faut saisir la nature hybride de l’organisation. Ce n’est pas une simple milice. C’est un appareil total : militaire, politique, religieux, économique et médiatique.
• Militairement, le Hezbollah détient des dizaines de milliers de roquettes, des drones, un réseau de tunnels, et une chaîne logistique qui s’étend de l’Iran jusqu’au Sud-Liban en passant par la Syrie et l’Irak.
• Politiquement, il s’est installé au Parlement, dans les ministères et dans l’administration, utilisant la démocratie libanaise pour mieux la neutraliser.
• Socialement, il gère écoles, cliniques, associations caritatives, distribuant aides et salaires. Il remplace l’État failli, mais au prix d’une loyauté absolue à son projet idéologique.
• Économiquement, il contrôle des pans entiers du commerce, alimente un réseau de banques parallèles et participe à des trafics internationaux, du tabac aux stupéfiants. Ce financement illégal vient compléter le soutien financier iranien.
• Médiatiquement, il s’appuie sur Al-Manar et sur des réseaux sociaux puissants, façonnant un récit où la résistance est sacralisée et la soumission au Guide suprême normalisée.
Cette omniprésence explique pourquoi la mort de Nasrallah, si symbolique soit-elle, n’ébranle en rien les fondations du Hezbollah.

Une idéologie mortifère
Le Hezbollah n’est pas seulement une organisation militaire. C’est un projet théologique. Sa doctrine s’articule autour de l’imam occulté, dont le retour eschatologique justifie la soumission au Guide suprême. Nasrallah répétait sans cesse que le Hezbollah combattait « sous l’étendard du Mahdi », ce qui lui donnait une « légitimité » transcendante.
À cela s’ajoute le culte de la mort. Depuis les années 1980, le Hezbollah glorifie les kamikazes terroristes et placarde leurs portraits dans les rues de Beyrouth ou de Nabatiyeh. La mort y est exaltée comme une victoire, l’ennemi présenté comme éternel et le djihad élevé au rang de mission divine. Cette exaltation morbide, inculquée dès l’enfance dans les écoles du mouvement, alimente une logique guerrière sans fin et condamne le Liban à demeurer prisonnier d’une idéologie de mort.
C’est là que se révèle la continuité structurelle : tant que le Wilayat al-Faqih existe, tant que l’eschatologie chiite est instrumentalisée, de nouveaux « Nasrallah » surgiront pour incarner la cause.
Le Liban confisqué par le Hezbollah
Un an après la mort de Hassan Nasrallah, le Liban reste plongé dans une crise multidimensionnelle. L’élection du général Joseph Aoun à la présidence n’a pas mis fin à la paralysie de l’État ni permis d’engager les réformes indispensables. Les institutions demeurent fragilisées et incapables de rétablir une gouvernance efficace. Sur le plan économique, la livre a perdu une grande partie de sa valeur, la pauvreté progresse et l’exode des jeunes prive le pays de ses forces vives.
Le Hezbollah est le principal responsable de cette faillite. En imposant ses armes au-dessus de la Constitution et en s’alignant sur les choix stratégiques de l’Iran, il empêche toute reconstruction et isole le Liban de ses partenaires.

La disparition de Nasrallah n’a donc pas libéré le pays. Elle met au contraire en lumière la profondeur du piège : un État failli, même avec un président élu, et une organisation politico-confessionnelle qui se substitue à lui, verrouillant tout issue et plaçant l’avenir du Liban sous tutelle étrangère.

Conclusion : après Nasrallah, le dilemme libanais
La mort de Hassan Nasrallah a clos une époque. Mais elle ne change rien à la logique profonde : le Hezbollah demeure, et avec lui l’ombre du régime iranien. La menace est structurelle, enracinée dans une idéologie, un appareil et une stratégie régionale.
Le dilemme est tragique :
• Soit le Liban reste prisonnier de ce système, sacrifiant son avenir à la logique d’un Hezbollah éternellement armé.
• Soit il parvient à briser ce carcan, avec l’appui de sa société civile et le soutien de ses partenaires, pour retrouver une souveraineté réelle.

La communauté internationale doit ouvrir les yeux : le danger n’est pas seulement militaire, mais aussi doctrinal, institutionnel et social. Tant que le Wilayat al-Faqih dominera à Téhéran et que le Hezbollah restera son relais au Liban, Beyrouth ne pourra retrouver sa liberté. Un an après la mort de Hassan Nasrallah, il apparaît clairement que sa disparition ne suffit pas : seule la remise en cause de l’édifice qui l’a produit et la rupture avec la tutelle iranienne pourront offrir au Liban une véritable émancipation.

© Anas Faour

Né à Damas, Anas-Emmanuel Faour est philosophe et ingénieur en informatique, ancien professeur en Syrie, ancien secrétaire général de l’Union générale des étudiants de Palestine et ancien membre du Conseil national du Parti de Gauche

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