
Le 22 septembre 2025, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, Emmanuel Macron déclara que la France reconnaissait l’État de Palestine. L’Élysée voulut y voir un moment de vérité, une étape historique, une rupture avec l’inertie diplomatique. Mais derrière le faste de la proclamation se dévoile une contradiction essentielle : l’État reconnu n’existe pas. Par un acte de langage, la France tenta de substituer le récit au réel, d’imposer une fiction en lieu et place d’une réalité introuvable, provoquant une fracture où se croisent droit, mémoire, sécurité et cohérence diplomatique.
Ce geste ne s’éclaire qu’à travers le 7 octobre 2023, jour où le Hamas lança l’attaque la plus meurtrière de l’histoire d’Israël : plus de mille deux cents morts, des milliers de blessés, des familles entières anéanties. Le choc fit ressurgir la mémoire de la Shoah et l’angoisse existentielle d’un peuple de nouveau confronté à la menace de son anéantissement. En se dissimulant dans des tunnels creusés sous les habitations, le Hamas transforma la population de Gaza en boucliers humains, inscrivant dans la chair des civils le prix de sa stratégie.
Dans ce contexte, Emmanuel Macron, assis aux côtés du prince Fayçal ben Farhane ben Abdallah Al Saoud, ministre saoudien des Affaires étrangères, puis aperçu en interaction avec l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, ainsi qu’avec Abou Mohammed al-Joulani, proclama l’existence d’un État palestinien, adoptant une lecture des événements proche de celle de ses interlocuteurs.
Or la reconnaissance d’un État ne peut relever d’un simple acte de volonté. Depuis la Convention de Montevideo de 1933, quatre critères sont requis : territoire défini, population permanente, gouvernement effectif et capacité de relation internationale. En 1948, Israël les remplissait : institutions représentatives, structures civiles et militaires, légitimité forgée par des décennies d’organisation collective.
En 2025, la Palestine n’en remplit aucun. Gaza reste sous la domination du Hamas, organisation terroriste dont la charte proclame la destruction d’Israël ; la Cisjordanie demeure administrée par une Autorité palestinienne corrompue, divisée et privée de légitimité. Sans gouvernement effectif ni souveraineté réelle, la reconnaissance ne consacre qu’une fiction.
Et cette fiction porte en elle des effets pervers. Même affaibli, le Hamas peut s’ériger en vainqueur : sa stratégie de terreur semble avoir conduit à une reconnaissance internationale, nourrissant sa propagande. Un État proclamé mais inexistant risque de devenir un foyer de radicalisation, une « Mecque pour les antisémites », un drapeau pour l’islamisme transnational. L’histoire du djihadisme, de l’Afghanistan des talibans à Daech, atteste que la faiblesse institutionnelle peut devenir puissance idéologique. Créer un État sans réalité, c’est donner aux extrêmes une bannière sans contrôle, plus dangereuse encore qu’un territoire réel.
Emmanuel Macron s’est illusionné sur les effets de la guerre et sur la solidité des accords d’Abraham, sans percevoir que les Émirats eux-mêmes envisageaient d’en réviser certains volets, révélant la duplicité de régimes tels que les Émirats, l’Égypte, le Bahreïn ou le Maroc. Ces pays ont multiplié les proclamations, mais les résultats sont restés superficiels : malgré l’octroi de la nationalité à des figures culturelles arabes, les Émirats n’ont produit aucun récit commun, aucun film ou série israélo-arabe. Les comportements antisémites observés lors des matchs de l’équipe du Maroc au Mondial du Qatar rappellent la fragilité persistante du terrain. Là où il fallait donner consistance et crédibilité à ces accords, Macron a laissé s’installer l’apparence.
La décision française rompt aussi avec une tradition diplomatique constante : depuis les résolutions 242 et 338, Paris liait la reconnaissance palestinienne à une négociation avec Israël, ce qui préservait son rôle de médiateur. En agissant unilatéralement, Macron a affaibli cette fonction. Les conditions énoncées — libération des otages, cessez-le-feu, démilitarisation — restent sans mécanismes d’application. Pour Israël, elles sonnent comme une pression illégitime ; pour les Palestiniens, comme une promesse illusoire. La France perd ici en crédibilité, apparaissant à la fois partiale et impuissante.
S’y ajoute une fracture mémorielle. Le 22 septembre 2025 coïncidait avec Roch Hachana, le Nouvel An hébraïque. Choisir ce jour pour proclamer l’existence palestinienne n’est pas anodin. Même sans intention explicite, le symbole fut ressenti comme une provocation : alors que le peuple juif célébrait le renouveau, on consacrait la légitimité d’un projet niant son existence. Ce geste a rouvert une blessure dans une histoire saturée de persécutions. La mémoire de la Shoah, des pogroms et du 7 octobre ne saurait devenir simple variable diplomatique.
Affirmer qu’un État existe alors qu’il n’existe pas, c’est ériger une fiction politique. Mais la fiction ne fonde pas la paix : elle enferme dans l’illusion, nourrit les extrêmes et déforme le réel. La paix ne naîtra pas d’un décret ; elle suppose le démantèlement du Hamas, la construction d’institutions légitimes et la reprise de négociations sous garantie internationale.
Tant que ces conditions ne seront pas réunies, toute reconnaissance demeurera illusion diplomatique, fracture mémorielle et erreur stratégique. En voulant inscrire son nom dans l’histoire, Emmanuel Macron a reconnu un État inexistant, inaugurant une fracture dont les conséquences pèseront durablement sur la diplomatie française et sur l’avenir du Proche-Orient.
© Anas Emmanuel Faour
Né à Damas, Anas-Emmanuel Faour est philosophe et ingénieur en informatique, ancien professeur en Syrie, ancien secrétaire général de l’Union générale des étudiants de Palestine et ancien membre du Conseil national du Parti de Gauche
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Source : Tribune Juive https://t.co/ln5WeVz6XU
— Sarah Cattan (@SarahCattan) September 24, 2025

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