Tribune Juive

Kirk : la gauche est totalitaire par nature. Par Julien Brünn

Y a-t-il un continuum entre, par exemple, la manifestation apparemment bénigne (apparemment seulement) de mépris de François Hollande pour Nicolas Sarkozy sur le perron de l’Élysée en 2012 et les manifestations de joie à l’annonce de la mort de Jean-Marie Le Pen ? Ou les manifestations de mépris à l’annonce de celle de Charlie Kirk ? Oui, car la gauche, quelle qu’elle soit, molle ou dure, modérée ou radicale, est intrinsèquement totalitaire, en réalité ou en rêve. Je le sais : j’en étais.

Il a fallu plus d’un siècle de dégâts économiques systématiques pour que certains esprits à gauche – certains seulement – finissent par admettre que c’est bien l’appropriation collective des moyens de production elle-même, prônée par la doxa marxiste aux XIXe et XXe siècles (et l’égalitarisme qu’elle vise) qui aboutit à un appauvrissement général des sociétés où elle est mise en œuvre. Pour arriver à cette conclusion qui pourtant crevait les yeux, il a fallu reconnaître que ces échecs n’étaient pas dus à telle ou telle circonstance malheureuse comme « le socialisme dans un seul pays » pour l’Union soviétique, ou « le mur d’argent » pour le Front populaire, ou la méchanceté de tel ou tel « impérialisme » ou la malencontreuse incompétence de tel ou tel dirigeant de l’État socialisé ou encore la cruauté imprévue de tel autre : autant de prétendus empêchements qui permettaient de continuer de rêver. De rêver à quoi ? À une espèce de fin de l’histoire d’où l’Injustice serait enfin expurgée… pour les siècles des siècles.

Être de gauche, c’est en effet se battre contre l’Injustice. L’Injustice avec un grand I. L’Injustice qui concerne l’Humanité avec son grand H, et finalement sa grande hache. Quiconque ne se bat pas comme moi contre cette Injustice avec son I majuscule admet de fait l’existence de cette Injustice et sa perpétuation. Et donc en est le complice, ne serait-ce que par abstention silencieuse, et donc commet le « crime », réel ou moral, contre… ce magnifique rêve d’une Humanité sans Injustice. Plus grave encore : celui qui s’abstient de combattre l’Injustice avec son grand I commet sans le savoir un crime contre celui-là même qui pense et penche, même mollement, à gauche. Car être de gauche est en effet un constituant ontologique de la personnalité de celui qui se pense à gauche. C’est ce qui la maintient, cette personnalité, debout à ses propres yeux. Telle est la gratification symbolique que s’octroie l’homme (ou la femme) de gauche : il est contre l’Injustice, donc il est Bon. Plus encore : il est contre l’Injustice, donc il EST. Il est tout court. Toute critique, même vénielle, de son « combat » contre cette Injustice contre laquelle lui, homme ou femme de gauche, s’élève courageusement (ne serait-ce d’ailleurs qu’en pensée), devient une atteinte contre « son » humanité personnelle, et même contre sa personne particulière, laquelle, sans le I majuscule de l’Injustice qu’il croit combattre, menacerait de s’effondrer sur elle-même.

La « lutte », même passive et vague, contre l’Injustice (toujours le grand I), dont chacun à gauche pense vaguement pouvoir délivrer l’Humanité, devient ainsi une lutte personnelle contre de dangereux ennemis également « personnels », bien plus dangereux que de simples adversaires politiques : les ennemis de soi. En annihilant, en pensée ou finalement en fait, ces ennemis de la lutte contre l’Injustice, on sauve l’Humanité… et surtout on se sauve soi-même : coup double.

Cependant, depuis que le concept « être de gauche » est apparu au cours de la Révolution française avec les Montagnards qui siégeaient à gauche de l’Assemblée quand on la regarde depuis la tribune, l’Injustice majuscule qu’il faudrait urgemment et totalement éradiquer a beaucoup varié au cours de ces deux siècles : il fallait éradiquer l’Injuste royauté et ses Injustes privilégiés (Sieyès menaçait, avant 89, de les renvoyer dans les forêts de Franconie puisque les nobles étaient les « descendants » des Francs) ; finalement, on leur a coupé la tête), puis pendant un bon siècle et demi il fallait en finir avec l’Injustice Sociale faite aux ouvriers, et aujourd’hui il faut combattre l’Injuste Inégalité raciale faite aux « racisés » et l’Injuste Inégalité Sexuelle faite aux femmes depuis la nuit des temps et l’Injuste violence que subit depuis peu la Nature. Ce I majuscule est donc variable dans son objet, mais la constante est sa finalité : la sauvegarde de soi –, transformant en petits dictateurs de base, en France comme aux États-Unis, comme partout dans le monde, tous ceux qui s’en emparent pour se fabriquer une « âme » de quasi saints. C’est ce I majuscule qui ressurgit, intact comme au temps du communisme triomphant sur les esprits, et qui court de Paris à Seattle, avec, s’agrégeant autour de ce mât de pureté, tous les esprits de gauche, durs ou mous, des radicalement Insoumis aux Démocrates américains, en passant par les deux gauches prétendument irréconciliables, tous accrochés à un absolu ontologique salvateur : c’est la gratification symbolique qu’offre l’esprit de gauche.

Oui, dira-t-on, mais : ces Injustices dénoncées sont pourtant bien réelles, et méritent d’être combattues ! Oui, sans doute, mais ce sont autant d’injustices qu’il eut été et sera toujours loisible de combattre, ou d’atténuer, efficacement, à la seule condition de supprimer leur I majuscule purificateur qui aveugle les consciences qu’il pénètre, faisant plus de mal, un sournois mal totalitaire qui envahit les esprits, que de Bien.

© Julien Brunn

Journaliste. Ancien correspondant de TF1 en Israël


Dernier ouvrage paru  : 

L’origine démocratique des génocidesPeuples génocidaires, élites suicidaires. L’harmattan. 2024


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