Tribune Juive

Faux-semblants : la compassion sélective et la banalisation de l’antisémitisme

Par Richard Abitbol


« Le mal n’est jamais radical, il est seulement extrême, et il envahit le monde entier parce qu’il se propage comme un champignon à la surface. » — Hannah Arendt

Si ces rassemblements propalestiniens, qui prétendent incarner l’humanisme et la défense des droits, étaient véritablement des élans de compassion, un sursaut émotionnel sincère, alors pourquoi rien — absolument rien — devant le pogrom du 7 octobre ? Pourquoi, quand des enfants ont été brûlés vifs, quand des femmes ont été violées, mutilées, torturées, n’a-t-on entendu ni pleurs ni condamnations ? Pourquoi ce silence assourdissant, cette absence de colère, cette absence d’empathie ?
Les images et les récits de l’horreur ne sont pas des « effets collatéraux » d’une guerre : ce sont des actes de barbarie ciblée. Et pourtant, dans nos rues, dans nos médias, dans certaines chancelleries, la compassion s’est volatilisée. Nada. Zéro réaction proportionnée. Pire : beaucoup de ceux qui proclament aujourd’hui leur amour de l’humanité se sont montrés incapables de nommer l’injustice quand elle visait les Juifs.
Ce n’est pas une erreur. C’est une ligne de conduite. Une mécanique. À l’heure où la croix gammée ne peut plus être exhibée sans déclencher une réprobation unanime, on a trouvé un subterfuge : repeindre la haine aux couleurs d’une cause et la laisser défiler. Le drapeau palestinien, instrument légitime d’identité et d’espoir pour des millions de Palestiniens sincères, a été, pour beaucoup, détourné. Il est devenu le masque d’une hostilité ancienne et récurrente : l’antisémitisme.

Quelle est la cassure morale ? Quand la barbarie vise les Juifs, on baisse les yeux. Quand Israël répond — avec toutes les tragédies que comporte la guerre — on s’indigne en chœur. Ainsi se joue l’avilissement de nos repères : on exige d’une victime qu’elle accepte sa mise à mort morale avant d’accepter sa mise à mort réelle. On exige d’Israël, et donc des Juifs, une résignation qui n’est demandée à aucun autre peuple.
Face à cette haine déchaînée, des interpellations s’imposent
Puisque ceux qui s’autoproclament représentants des Français juifs — ou qui sont adoubés comme tels par les autorités — demeurent tétanisés et n’osent le faire, il appartient à chacun de prendre la parole. Le silence des institutions communautaires, qu’il soit dicté par la peur, la prudence ou la complaisance, laisse un vide que la République ne peut tolérer. Dans ce vide prospère l’hypocrisie, et s’enracine la haine.

À Emmanuel Macron, président d’une République en surdité:
Monsieur le Président, vous êtes la première voix publique de la France. Votre parole porte (ou portait encore hier, puisque désormais à peine 15 % des Français lui accordent du crédit). Quand vous condamnez, les têtes se tournent ; quand vous vous taisez, le silence devient caution. Nous exigeons que vous appeliez sans ambiguïté — et publiquement — à la condamnation ferme de tout appel à la haine et de toute manifestation antisémite, qu’elle soit explicite ou masquée. La fonction présidentielle n’est pas faite pour les demi-mots : elle exige la clarté, surtout quand il s’agit de vie et de mort.

Au ministre de l’Intérieur et chefs politiques qui détournent le regard:
Monsieur le Ministre, votre responsabilité est d’assurer l’ordre public et la sécurité de tous les citoyens. Vous ne pouvez pas laisser les rues de nos villes être envahies par des cortèges où se déverse la haine la plus abjecte. Interdisez les rassemblements qui masquent sous un drapeau la légitimation de la barbarie. Dissolvez sur-le-champ ceux qui appellent aux boycotts antisémites ou à la violence. Les Juifs de France ne peuvent pas être les otages de votre prudence politicienne.

Aux présidents d’université et directeurs d’institutions culturelles paralysés:
Vous formez les consciences de demain. Ne laissez pas vos campus devenir les laboratoires d’une haine recyclée en militantisme. Établissez des chartes claires, sanctionnez les appels aux boycotts discriminatoires, organisez des débats qui distinguent la critique légitime d’un État de l’appel à la haine d’un peuple. L’université doit rester un lieu de savoir, non un champ de propagande.

Aux maires et élus locaux complaisants:
Vous contrôlez l’espace public. Refusez d’autoriser des manifestations dont l’objectif réel est l’intimidation et l’humiliation. Exigez des organisateurs qu’ils s’engagent clairement contre toute incitation à la haine. Dissolvez les cortèges quand ces engagements sont trahis. La République ne peut pas tolérer que ses rues deviennent le théâtre d’un antisémitisme masqué.

Aux responsables médiatiques et syndicats de journalistes, caisse de résonance de cette haine:
Votre responsabilité est immense.

Vous n’êtes pas spectateurs innocents. Chaque image relayée sans mise en contexte, chaque slogan repris sans explication, chaque tribune donnée aux pyromanes vous transforme en complices de la haine. Le journalisme n’est pas un micro-trottoir : il est une responsabilité.
Quand vous reliez sans distance critique les images et les slogans de la haine, vous ne les décrivez pas : vous les légitimez. Votre rôle est de contextualiser, d’expliquer, de dénoncer, non de donner complaisamment la parole à ceux qui souhaitent importer la guerre et la haine sur notre sol. Le journalisme est un contre-pouvoir, pas un haut-parleur pour les pyromanes.

Conclusion : arracher le masque
Aux faiseurs d’ordre moral, je pose une question simple et lancinante : si ces foules portaient des oriflammes nazies, si les slogans étaient de vieille saignée raciste, leur accorderiez-vous la même indulgence ? Qui, honnêtement, laisserait défiler un cortège nazi ? Nul ne le tolérerait. Alors pourquoi tolère-t-on aujourd’hui la substitution d’un symbole et l’adoption d’un vocabulaire de haine maquillé en indignation humanitaire ?
Il est encore temps d’arracher le masque. Il est encore temps de dire que la lutte pour la justice n’a rien à voir avec la licence de la haine. Il est encore temps de condamner sans équivoque l’antisémitisme — sous toutes ses formes, explicites ou déguisées — et d’exiger des pouvoirs publics qu’ils sanctionnent les appels à la violence et les actes de haine. La liberté d’expression n’est pas un permis de tuer moralement un peuple.
Souffrez que les Juifs ne se laissent plus faire. Souffrez que la mémoire et la dignité les poussent à résister à la haine. Et que nul faux-semblant, nul masque de compassion sélective ne recommence à faire passer la barbarie pour une cause juste.

© Richard Abitbol

Quitter la version mobile