Tribune Juive

« Cette famille juive a disparu du monde en cinq jours à Auschwitz » : un historien révèle une page sombre de l’Occupation

Par Andde Irosbehere et Christophe Roux

Sept ans de recherches révèlent la déportation de 125 Juifs depuis le Pays basque, avec seulement 10 survivants.

Sept ans de recherches révèlent la déportation de 125 Juifs depuis le Pays basque, avec seulement 10 survivants. 

Sept ans d’enquête minutieuse ont permis à Mixel Esteban de documenter trois rafles au Pays basque. Seuls 10 des 125 déportés ont survécu à Auschwitz.

Des archives mystérieusement volatilisées, une liste oubliée dans les sous-sols de la mairie de Biarritz… L’historien Mixel Esteban a reconstitué pièce par pièce une tragédie longtemps occultée au Pays basque.

Mixel Esteban

Une découverte fortuite révèle l’ampleur des spoliations

Tout commence au début des années 2010 dans les sous-sols de la mairie de Biarritz. Mixel Esteban, alors journaliste, découvre par hasard un document exceptionnel : une liste de 98 noms de Juifs résidant dans la ville, avec leurs adresses et leurs biens. 
« Elle n’était pas à sa place. Elle a été oubliée, volontairement cachée, perdue« , explique le chercheur. Cette liste témoigne de la collaboration municipale et des spoliations systématiques : « l’ensemble des biens, quels qu’ils soient, sont pillés et envoyés en Allemagne pour la population allemande. »

Les Gomez-Waëss, bijoutiers de la rue Port Neuf à Bayonne, comptent parmi les premières victimes. Dès décembre 1940, leur commerce est confisqué par les Allemands. Le couple parviendra heureusement à fuir et échappera aux arrestations.

Un travail d’enquête minutieux

Face à la disparition mystérieuse des archives administratives de la sous-préfecture de Bayonne pour toute la période d’occupation (juin 1940 à août 1944), Michel Esteban a mené une enquête de sept ans, « véritablement le travail d’un archéologue« . Des archives de la Défense au mémorial de la Shoah, en passant par le fonds Papon des archives de la Gironde, cette thèse de doctorat minutieuse a permis de documenter trois rafles organisées au Pays basque.

L’une des plus importantes intervient le 19 octobre 1942, comme l’atteste un rapport préfectoral glaçant : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que, conformément à vos ordres, les arrestations d’Israélites étrangers, dont les noms m’ont été indiqués, ont commencé dans les premières heures de la matinée du lundi 19 octobre. » Cette rafle concerne 32 personnes sur plusieurs communes : Bayonne, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz, Hendaye. Les gendarmes vont même chercher des malades au sanatorium de Cambo-les-Bains.

La mécanique implacable d’un génocide

L’exemple de la famille Smil, installée depuis une dizaine d’années au 27 rue Bourneuf à Bayonne, illustre tragiquement cette mécanique génocidaire. Un matin d’octobre 1942, les six membres de cette famille modeste – dont cinq enfants de 2 à 13 ans – sont interpellés par la police française. La rue est bouclée, impossible de fuir.

Cette famille a disparu du monde en 5 jours à Auschwitz. Il n’y a aucune trace de cette famille hormis quelques documents administratifs. Nous n’avons même pas de photographie. Mixel Esteban, Docteur en histoire contemporaine

Mixel Esteban souligne la responsabilité diluée qui caractérise les génocides : « une collaboration au ras du sol, en fait, de simples fonctionnaires à employés de bureaux« . Cette division des tâches permet de déculpabiliser chaque acteur du processus, du fonctionnaire qui tape une liste à la machine jusqu’aux convois partant de la gare de Bayonne vers le camp de Mérignac puis Auschwitz.

Au total, 125 personnes sont déportées depuis Bayonne, dont 15 enfants. Seuls 10 rescapés survivront à cette tragédie. La plupart des victimes sont d’abord emprisonnées au Château neuf de Bayonne, annexe de la maison d’arrêt, avant leur déportation finale.

Pour Michel Esteban, ce travail mémoriel revêt une dimension universelle : « si on veut construire un monde de paix, de tolérance, d’acceptation, un monde qui ne soit pas antisémite, raciste, xénophobe, il faut retracer ces éléments d’histoire, même s’ils sont douloureux, même s’ils peuvent nous gêner.« 

Aujourd’hui, seuls quelques noms figurent au monument aux morts de Bayonne. Une plaque commémorative pourrait peut-être un jour honorer la mémoire de ces 125 déportés et briser ainsi un trop long silence.

Source: • ©France 3 Euskal Herri Pays basque

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