Tribune Juive

Sandra Hegedüs : L’interview d’une mécène en lutte contre l’antisémitisme dans le milieu artistique 

Un entretien pour Tribune Juive 

     Interview réalisée par Frédéric Sroussi 

TJ : Sandra Hegedüs, vous êtes une collectionneuse, une mécène qui compte énormément au sein du marché international de l’art. Vous êtes née au Brésil d’une famille juive d’origine hongroise. Je suppose que votre famille a fui le nazisme…

Sandra Hegedüs : En fait, ma famille a pu rester en Hongrie jusqu’à la fin de la guerre car elle a été sauvée par Raoul Wallenberg. Elle est partie s’installer au Brésil en 1951. Elle a fui la Hongrie en 1948 après la main mise de l’Union Soviétique sur le pays puis s’est alors réfugiée en Suisse pendant trois ans. Sinon, une immense partie de ma famille est morte à Auschwitz. Quant à moi je vis depuis 35 ans en France. 

TJ : Qu’est-ce qui vous a poussée à vous intéresser à ce point à l’art ? 

S.H : J’ai toujours aimé l’art, j’ai étudié dans une école de cinéma, je me suis toujours sentie proche de la culture. C’est inné chez moi. J’ai toujours adoré l’art. 

T.J : Vous êtes donc la fondatrice d’une association créée en 2009 qui se nomme « Sam Art Project » et dont le but est d’aider les artistes – en particulier du Sud global – pour venir en Europe afin d’étudier, d’exposer et d’y vivre. Il y en encore peu de temps, vous proposiez des expositions « clef en main » au Palais de Tokyo. 

S:H : Alors tout cela continue, mais ce n’est plus au Palais de Tokyo. Je propose une exposition dont le vernissage se déroulera samedi 20 septembre avec l’artiste Pammela Castro. Cette expo se déroulera au Centre d’Art à Montrouge qui s’appelle « Les Jardiniers ». Ce sera un vernissage public ouvert à tous. 

T.J :  Mais, vous entreteniez un partenariat avec le Palais de Tokyo à Paris jusqu’en 2024. Vous étiez donc mécène et membre du Conseil d’Administration des amis du Palais de Tokyo. Ce partenariat s’est achevé brutalement, nous allons voir pourquoi, en fait avec l’arrivée en 2022 d’un nouveau directeur nommé par Emmanuel Macron, Guillaume Désanges. 

S.H : Guillaume Désanges et moi n’étions pas du tout sur la même longueur d’onde. Il est dans un projet écolo qui s’appelle la « permaculture de l’art », ça ne veut rien dire, c’est juste du blabla woke. En fait, je livrais trois expositions par an clef en main au Palais de Tokyo. Je produisais les expositions et je « livrais » tout au Palais de Tokyo qui n’avait plus qu’à installer les œuvres. C’est comme si je vous livrais gratuitement un repas d’Alain Ducasse, avec les vins et tout, et vous n’aviez plus qu’à prendre vos couverts et à manger. 

T. J : Mais, en mai 2024 advient le clash entre le Palais de Tokyo et vous lorsque vous décidez d’envoyer votre lettre de démission du Conseil d’administration des Amis du Palais de Tokyo. Vous décidez donc d’arrêter votre mécénat suite à une exposition intitulée « Passé inquiet : Musées, Exil et Solidarité ». Qu’est-ce qui vous a donc déplu dans cette exposition pour que vous décidiez de démissionner ?

S. H : C’était une expo carrément antisémite. Dans cette exposition qui n’avait de plus strictement rien d’artistique étaient montrés des pamphlets de l’OLP des années 1970 imprimés et exposés sur des présentoirs de façon décontextualisée avec évidemment une vision unilatérale du conflit.  Je ne pouvais pas l’accepter car je fais de la hasbara (N.d.A explication contextualisée du conflit israélo-palestinien) pour Israël et pour le judaïsme car tout cela fait partie de ma vie. 

Je suis sur Instagram et je montre ma vie juive qui est ma vie. Il faut savoir que j’ai été contactée par des étudiants juifs des Beaux-Arts qui étaient victimes de professeurs qui affichaient leur parti pris propalestinien. 

T.J : À l’École des Beaux-Arts donc !

S.H : Par exemple, il y a des professeurs qui envoient des mails anti-Israéliens aux élèves. Les écoles des Beaux-Arts sont envahies par ce genre de propos. J’ai reçu des messages d’élèves israéliens qui étaient choqués de ce qu’ils voyaient et entendaient. 

T.J : Avez-vous pu faire quelque chose ?

S.H : Oui, j’ai contacté la direction pour aider ces élèves en demandant si c’était normal de voir des professeurs tenir des propos personnels anti-israéliens. La direction m’a dit qu’elle allait gérer ça, mais le climat est resté mauvais dans l’établissement.

Entre temps, des gens m’ont avertie qu’une exposition qui posait problème était organisée au Palais de Tokyo. J’ai donc expliqué au Président des Amis du Palais de Tokyo qu’on m’avait prévenue qu’une exposition antisémite s’y déroulait et qu’on ne pouvait pas financer ça. Or, au lieu de me proposer une solution, d’aller parler au directeur, il m’a dit : « Si tu n’es pas contente tu démissionnes ».

T.J : Donc ce n’est pas Guillaume Désanges, le directeur lui-même du Palais de Tokyo qui vous a dit ça ? 

S. H : Non, car j’avais écrit à Guillaume Désanges, et lui ne m’a même pas répondu. J’ai donc envoyé ma lettre de démission du Palais. J’ai attendu dix jours et pas de réaction du Palais de Tokyo à ma lettre. Je me suis donc dit: je vais la poster sur mon compte Instagram car j’ai trouvé ça hallucinant que la direction du Palais de Tokyo se fiche totalement de cette affaire. 

T.J : Du mépris, alors que vous êtes une mécène très importante !

S. H : Un mépris total ! Je n’ai pas envoyé ma lettre à la Presse, je l’ai juste postée sur mon Instagram perso.

T. J : On rappelle que vous êtes suivie par 144 000 abonnés. 

S.H : Eh bien, ce post a explosé ! Ma lettre a été relayée partout et c’est devenu mondial à un point que je n’imaginais pas. Après c’est sorti dans la Presse et cela a eut l’effet d’une bombe atomique. Je précise que même le journaliste Franco-Syrien Omar Youssef Souleimane, qui est une personne extrêmement sensée, a rapporté que dans l’expo il y avait une partie en anglais, en français, mais il y avait une partie en arabe qui était encore pire et qui se trouvait sur les murs du Palais de Tokyo ! 

T.J : Des exemples ? 

S.H : Oui, des livres pour enfants qui parlaient des Juifs comme des « envahisseurs qui prenaient la maison des Arabes », ou carrément des appels à l’Intifada, « From the river to the sea», « Mort au Juifs »… Toute cette propagande affreuse était donc exposée au Palais de Tokyo ! Je répète, ce n’était même pas des œuvres d’art, mais juste de la documentation de l’OLP des années 1970 qui avait été montrée au Liban dans une expo… C’était très grave ! Et d’un seul coup le directeur m’a appelée en prétendant que je ne l’avais pas averti alors que je n’avais pas cessé de le prévenir, mais sans réponse…

Mon grand coup de pied dans la fourmilière a eu comme effet que des sponsors – dont de grandes compagnies – ont retiré leur soutien financier à cette exposition. C’est le directeur qui est le responsable. 

Je ne me laisse jamais faire ! C’est fini les gentils Juifs qui veulent qu’on les aime ! Si on ne m’aime pas je m’en fous ! Je passe comme un navire dans la nuit. Je sais que j’ai raison et que je suis droite dans mes bottes ! Je n’ai pas besoin de faire la gentille juive à l’inverse de beaucoup des nôtres ! Je connais la définition du Sionisme qui est le droit à l’autodétermination du peuple juif dans ses terres d’origine, et tout autre définition n’est pas la bonne. 

T. J : Votre position est anticonformiste car il faut bien le dire, malgré le fait que les artistes jouent souvent les rebelles, c’est un milieu idéologiquement très conventionnel et très moutonnier. Vous dérangez donc !

S. H : Mais, je ne dépends pas d’eux, ce sont eux qui dépendent de moi…

T. J : Oui, mais j’en connais qui n’auraient pas agi de la même façon que vous et qui auraient préféré ne pas faire de vagues.

S. H : Oui, mais c’est qu’ils n’ont pas les couilles, or moi je suis une Mensh, et je dis ce que je pense et c’est tout ! N’oubliez pas que c’est moi qui finance ces gens. Je fais ce que je veux, je suis une personne libre ! 

T. J : Vous avez été sujette à des attaques comme cette pétition qui a été publiée pour défendre le Palais de Tokyo et dont l’un des signataires était l’inénarrable Jacques Lang… Avez-vous senti un changement de comportement de la part de ce milieu depuis cette lettre de démission explosive ?

S.H : Non, pas vraiment, mais il est vrai par contre que moi j’ai changé dans le sens où je m’intéresse moins à ce milieu puisque dès qu’on assiste à un événement culturel on a droit à de la propagande propalestinienne… Je ne vais pas me tirer une balle dans le pied et je ne veux pas financer ou acheter des œuvres d’artistes qui seraient anti-Israéliens. Je ne peux pas détacher l’œuvre de l’artiste. Je n’achèterai jamais d’œuvres d’art sans vérifier la position des galeristes ou des artistes concernant ce sujet. 

T. J : Je rappelle que le Palais de Tokyo est sous tutelle du ministère de la culture. Quand vous avez démissionné, qui était la ministre de la culture : Rima Abdul Malak ou Rachida Dati ?

S. H : C’était Rachida Dati 

T.J : A-t-elle échangé avec vous à ce sujet ? 

S.H: Elle ne m’a pas contactée. 

T.J: Avez-vous essayé de la contacter ?

S.H : Non..

T.J : Donc, ça n’a pas intéressé plus que ça Mme Rachida Dati de savoir que de la propagande antisémite se trouvait au Palais de Tokyo…

S.H : Ma lettre a fait, je le sais, beaucoup de bruit au ministère. J’avoue que je fus la première surprise par la répercussion mondiale de cette lettre de démission que j’avais simplement postée sur mon Instagram. Il y a eu des articles partout : en Australie, aux États-Unis, en Italie, en Hongrie, au Brésil… Partout ! 

T. J : Êtes-vous intéressée par la scène artistique israélienne ? 

S.H:  Je possède beaucoup d’œuvres d’artistes israéliens dans ma collection comme Miri Segal, Amir Nave, Sigalit Landau, Joseph Dadoune et d’autres, mais je n’achète pas une œuvre parce que l’artiste est Israélien. Il y a des bons et des mauvais aussi.

T. J : Est-ce que des artistes israéliens ont été financés par le « Sam Art Project »? 

S. H : Oui, cette année j’ai financé l’installation de Joseph Dadoune à la Basilique Saint-Denis. Un très beau projet. C’est un artiste Franco-Israélien, mais je n’ai jamais encore invité un artiste israélien comme résident au sein du « Sam Art Project ». 

T. J : Je vais vous poser maintenant une question subsidiaire qui a directement à voir avec l’art. On va sortir un peu de la politique. 

S.H : Oui, allez-y 

T.J : Je vous donne trois noms de femmes, des mécènes exceptionnelles, toutes juives, qui ont marqué l’histoire de l’art : Peggy Guggenheim, Gertrude Stein et Berthe Weill. De laquelle vous sentez-vous la plus proche d’un point de vue personnel ?

S.H : Je dirais Gertrude Stein parce qu’elle avait un rapport très amical avec les artistes qu’elle fréquentait et qui fréquentaient sa maison qui était un centre où tous les artistes se retrouvaient. Peggy Guggenheim était proche aussi des artistes, mais elle vendait aussi des œuvres et personnellement je n’en vends pas. Elle avait un côté commercial qui n’est pas le mien. De plus, Gertrude Stein était dans la bohème, et je me sens plus proche d’elle en ce sens. 

T.J : Sandra Hegedüs, merci pour cette interview

Interview recueillie par Frédéric Sroussi


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