Par Richard Abitbol
L’antisémitisme, le Portrait de Dorian Gray de l’Occident

Il est des haines que l’humanité a réussi, sinon à abolir, du moins à contenir. L’esclavage a été abattu, les haines tribales se sont dissipées, le racisme anti-noir recule – lentement, douloureusement, mais il recule. Pourtant, une haine demeure, indestructible, insatiable, toujours renaissante : l’antisémitisme.
Ce fléau traverse les siècles comme un fleuve souterrain. Religieux au Moyen Âge, économique au XIXᵉ, racial au XXᵉ, politique au XXIᵉ, il change de visage à chaque époque sans jamais disparaître. Là où d’autres discriminations s’éteignent avec le contexte qui les a nourries, l’antisémitisme mute, se transforme, s’adapte, comme un virus éternel.
Pourquoi ? Parce que cette haine ne vise pas seulement un peuple. Elle vise ce que ce peuple incarne : la mémoire de la Loi, l’exigence de justice, la responsabilité universelle. Le judaïsme n’est pas seulement une identité ; il est un miroir, un rappel, une conscience. Et l’humanité, souvent, ne supporte pas ce miroir.
Oscar Wilde, dans « Le Portrait de Dorian Gray », a donné une image inoubliable : un homme reste éternellement beau tandis que son portrait, caché dans l’ombre, se couvre des stigmates de ses fautes. L’Occident est Dorian Gray. Chaque victoire morale – l’abolition de l’esclavage, la lutte contre le colonialisme, le combat pour l’égalité – se traduit dans le miroir par une nouvelle meurtrissure infligée au visage du Juif.
Quand l’Europe se glorifie d’avoir vaincu l’esclavage, elle accuse le Juif d’être l’esclavagiste caché. Quand elle dénonce l’impérialisme, elle accuse Israël d’être le dernier colonisateur. Quand elle condamne le capitalisme sauvage, elle désigne le « banquier juif » comme coupable universel. Le monde croit se purifier, mais c’est le portrait qui se tord et se noircit. Et ce portrait, c’est le judaïsme.
Ainsi l’antisémitisme devient le thermomètre moral de l’humanité. Chaque progrès s’accompagne d’un tribut payé par les Juifs. Chaque victoire sur une injustice semble alimenter une nouvelle vague de haine contre eux. Comme si le monde ne pouvait célébrer ses conquêtes éthiques qu’en trouvant, quelque part, un coupable de substitution.
L’Asie, elle, ne connaît pas ce mécanisme. En Chine, en Inde, au Japon, les Juifs furent des marchands, parfois des étrangers, jamais une obsession. Là-bas, pas de Dorian Gray, pas de miroir déformant. L’antisémitisme est une maladie spécifique de l’Occident, née de son histoire, de son rapport au christianisme, à la culpabilité et à la transcendance.
Et c’est pourquoi cette haine paraît indestructible. Car elle ne combat pas seulement un peuple, elle combat une idée : l’idée qu’il existe une Loi au-dessus de l’homme, qu’il existe une mémoire qui ne s’efface pas, qu’il existe une responsabilité que nul ne peut abolir. En s’acharnant contre le judaïsme, l’humanité s’acharne contre sa propre conscience.
Le paradoxe est là : tuer le Juif, c’est tenter de tuer le miroir. Briser Israël, c’est tenter de briser la mémoire. Mais comme le portrait de Dorian Gray, ce miroir revient toujours, portant les stigmates de l’histoire. Et plus l’Occident croit se purifier, plus le visage du judaïsme se couvre de cicatrices.
L’antisémitisme n’est pas seulement une haine : il est une confession. L’aveu que l’humanité préfère haïr celui qui lui rappelle sa faute plutôt que d’assumer la faute elle-même.
Voilà pourquoi il semble suprême, indestructible, éternel.
Et voilà pourquoi il doit être dénoncé sans relâche. Car l’antisémitisme n’est pas le problème des Juifs : il est le cancer moral des nations.
« Tuer le Juif, c’est tenter de tuer la conscience ».
© Richard Abitbol
Richard Abitbol est un militant et dirigeant associatif juif français, connu pour son engagement au sein de la communauté juive