Tribune Juive

La colère comme scène : lecture psy de la stratégie Mélenchon

Par Nataneli Lizee

Jean-Luc Mélenchon ne plaide pas, il tonne. À la moindre critique, il rugit, il s’indigne, il frappe du verbe comme d’autres frappent dupoing. Qu’il s’agisse du livre-enquête « La Meute », de journalistes qui osent interroger ses méthodes ou de rivaux politiques, le chef insoumis répond toujours de la même manière : non pas dans le calme du contradictoire, mais dans l’excès de l’émotion.

Car il ne porte pas plainte. Il dénonce la « diffamation », accuse ses adversaires de « mensonge », mais n’amène pas le combat devant un tribunal. La justice impose la preuve, le temps long, le contradictoire. Un procès risquerait d’entériner la crédibilité d’une enquête. Mieux vaut donc se battre ailleurs : sur la scène médiatique, où il dicte le tempo et met en scène sa propre indignation.

On l’a vu en octobre 2018, face aux policiers venus perquisitionner le siège de son parti. Ce matin-là, il ne se défend pas, il proclame : « La République, c’est moi ! » Ce n’était pas un excès passager mais la révélation d’une posture : confondre sa personne avec l’institution, avaler l’État pour en devenir l’incarnation.

Ce fonctionnement n’est pas seulement stratégique, il est psychique. « Hyperthymique », dirait un psychiatre : exaltation, énergie verbale inépuisable, théâtralité compulsive. À cela s’ajoute une méfiance paranoïaque : la conviction que tout complote contre lui, presse, justice, institutions. Chaque critique devient la preuve du complot, chaque question un piège, chaque dissident un traître.

On l’a vu encore pendant la crise des Gilets jaunes. Mélenchon ne s’est pas contenté de soutenir : il a exalté. « Le mouvement me donne entièrement raison », clamait-il, comme si la rue devenait l’écho vivant de son programme. Il parlait d’ »assassin » pour dénoncer l’idée qu’on suspende la démocratie, il avouait sa « fascination » pour le gilet jaune devenu symbole. Ses mots ne calmaient pas, ils enflammaient. Plutôt qu’éteindre l’incendie, il soufflait dessus, ajoutant au tumulte la dramaturgie d’un tribun. Non pas l’art du compromis, mais le plaisir d’habiter la colère, de s’y ériger en guide et en miroir.

Parce que cet homme est persuadé, au fond, que le chaos est son allié. Que de la tempête naîtra son rôle de sauveur. L’Histoire en est saturée : Hitler surgissant comme le redresseur d’une Allemagne humiliée, Mussolini en chef providentiel d’une Italie exsangue, Franco se posant en rempart contre la République vacillante, Castro libérateur devenu maître absolu de Cuba. Toujours la même mécanique : le tumulte est le tremplin, la détresse le décor, et le chef qui s’y dresse se proclame héros du peuple.

Il aligne ses colères comme on pose des lettres au Scrabble. Chaque éclat doit rapporter le maximum de points : attirer l’attention, saturer le plateau médiatique, occuper le centre. Peu importe la solidité du mot : s’il claque fort, il a déjà gagné la manche. Ce n’est pas un avocat qui pèse les preuves, c’est un joueur qui cherche le coup le plus bruyant.

Jacques Ellul l’avait décrit : « La propagande d’agitation ne cherche pas à convaincre mais à secouer, à mobiliser par l’émotion ». Serge Tchakhotine, dans « Le Viol des foules par la propagande politique », montrait comment la peur, la colère, l’indignation sont des leviers plus puissants que les faits. De Trump dénonçant une « witch hunt » à Mussolini galvanisant ses foules, la méthode est connue : saturer l’espace d’affects. Mélenchon s’inscrit dans cette tradition. Non pas débattre, mais électriser.

« La Meute » l’a montré de l’intérieur : deux cents entretiens, deux ans d’enquête, un tableau saisissant. Verticalité extrême, culte du chef, purges, départs de figures historiques. Fidélité ou exclusion. Quand le livre est sorti, LFI n’a pas porté plainte. Elle a crié au mensonge, refusé d’accréditer un journaliste, surjoué l’indignation. Toujours la même logique : le drame vaut mieux que la preuve.

Tout cela compose un diagnostic, non médical mais politique et psychique. Mélenchon gouverne ses batailles comme un metteur en scène gouverne une tragédie. La colère est son arme, la victimisation son armure, la dramatisation son décor. Cela soude sa base, attire les caméras, entretient la légende du chef persécuté mais debout. Mais cela enferme aussi : cela prive tout débat de nuance, tout mouvement de respiration démocratique. À force de tout dramatiser, on finit par étouffer.

Il faut donc aller plus loin que le constat. Mélenchon rassemble en lui des traits que l’Histoire connaît trop bien : l’égocentrisme qui se confond avec la cause, la mégalomanie qui s’érige en incarnation du peuple, l’autoritarisme qui étouffe la nuance. De Lénine à Staline, de Mussolini à Franco, de Castro à Hitler, les figures qui ont transformé le tumulte en tremplin ont souvent fini par imposer le silence au nom du vacarme initial.

Toujours la même mécanique : créer le clivage, nourrir la fracture, attiser la guerre civile symbolique pour apparaître, au milieu des ruines, comme le sauveur providentiel. Et toujours la même issue : un pouvoir absolu qui s’élève sur des cendres.

Il serait coupable d’oublier le passé. Mélenchon ne construit pas une République, il forge un décor de tragédie où lui seul peut paraître indispensable. Or l’Histoire nous a appris ce que deviennent les peuples qui confondent le tribun en colère avec l’homme d’État. Et c’est précisément pour cela qu’il faut alerter.

© Nataneli Lizee

Nataneli Lizee est journaliste et Correspondante de Presse

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