Tribune Juive

Quand les Juifs de cour vont à Canossa

Par Richard Abitbol

« Il est des moments où se taire, c’est trahir. Et se soumettre, c’est trahir deux fois. » — Victor Hugo

Il est des images qui frappent les mémoires : Canossa, en 1077, lorsque l’empereur germanique Henri IV, pieds nus dans la neige, dut implorer le pardon du pape Grégoire VII. Une humiliation devenue symbole de la soumission politique.

Aujourd’hui, ce n’est plus l’empereur qui plie, mais certains de nos « notables » juifs de France. Alors que les représentants d’Israël et des institutions juives américaines refusent de rencontrer Emmanuel Macron, jugeant indigne de cautionner un président dont les postures et les silences ont accompagné la plus grande poussée d’antisémitisme en France depuis la Shoah, voici que, dociles, le Grand Rabbin Haïm Korsia et le président du CRIF, Yonathan Arfi, accourent à l’Élysée au premier coup de sifflet.

Ils offrent ainsi, sur un plateau, une victoire politique inespérée à celui qui, par son double langage et ses fréquentations douteuses, a catalysé la haine des Juifs dans ce pays.

La trahison des « Juifs de cour »

Qu’on ne s’y trompe pas : ces gestes n’ont rien d’une diplomatie prudente, ni d’un dialogue nécessaire avec le pouvoir. Ce sont des prosternations. Ils rappellent la vieille figure honnie des «Juifs de cour », tolérés par les monarques parce qu’utiles, et prompts à sacrifier la dignité de leur peuple pour s’attirer la faveur du prince.

Hier, les juifs de cour servaient à remplir les caisses des rois ou à endosser le rôle commode de bouc émissaire. Aujourd’hui, ils servent à blanchir par leur présence la politique ambiguë d’un président qui parle d’« antisémitisme » tout en laissant prospérer, au cœur même de ses alliances, les complaisances les plus abjectes envers ceux qui vomissent Israël et les Juifs.

L’ombre des Judenrätes

Certains objecteront qu’il est excessif d’évoquer les Judenrätes, ces conseils juifs imposés par les nazis pour administrer, sous contrainte, les ghettos. Mais la comparaison s’impose par contraste : là où ces instances furent créées par la terreur, celles d’aujourd’hui choisissent volontairement la soumission. Là où hier des hommes et des femmes furent pris en étau entre survie et trahison, aujourd’hui certains choisissent sans contrainte le rôle de caution politique.

La gravité est autre, mais le mécanisme est identique : se dire « représentants » quand on ne représente qu’une minorité infime, et donner à croire que l’ensemble d’un peuple consent à l’humiliation.

Une communauté en colère

Il faut le dire haut et fort : ces institutions autoproclamées ne parlent plus pour les Juifs de France. La colère monte, sourde et implacable, contre ceux qui osent parler en notre nom alors qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes et leur proximité avec les ors de la République.

La communauté juive de France n’est pas cette poignée de notables pressés de s’asseoir dans les salons dorés de l’Élysée. Elle est composée de familles inquiètes pour leurs enfants dans les écoles, de citoyens insultés dans la rue, de commerçants menacés, de fidèles priant sous protection militaire. Elle est vivante, diverse, enracinée, et elle mérite mieux que d’être réduite à des figurants dans la communication politique d’Emmanuel Macron.

L’histoire comme avertissement

L’histoire juive en France est faite de fidélité et de tragédies. Fidélité à ce pays qui, le premier en Europe, accorda l’émancipation aux Juifs en 1791. Tragédies, lorsque cette promesse d’égalité fut trahie par les pogroms, les discours venimeux contre Dreyfus, la haine déversée sur Léon Blum, et surtout par la trahison du régime de Vichy, livrant ses Juifs à la barbarie nazie.

Dans ce long parcours, une constante : les élites politiques se sont toujours efforcées de s’attacher des « interlocuteurs juifs » qui, parfois, ont cru devoir sacrifier l’honneur pour préserver l’illusion d’une influence. Mais l’histoire les a jugés sévèrement, et elle jugera aussi nos contemporains.

Pour de vraies institutions représentatives

Ce que les Juifs de France méritent aujourd’hui, ce ne sont pas des institutions serviles, soucieuses d’abord de plaire au pouvoir. Ce sont des instances réellement représentatives, issues de la base, porteuses de la voix de la communauté vers l’État, et non relais dociles de la parole de l’État vers la communauté.

L’indépendance politique n’est pas un luxe, c’est une condition de survie. Être entendu du pouvoir suppose de parler avec force et vérité, pas de se prêter au jeu d’une mise en scène présidentielle.

L’heure est venue de rompre avec ces compromissions. Les Juifs de France ont besoin d’une représentation authentique, digne, enracinée dans leurs réalités, capable de défendre leurs droits et leur sécurité, et non de livrer leur image aux manœuvres d’un président en quête d’oxygène politique.

Conclusion

L’humiliation de quelques notables ne doit pas devenir celle d’un peuple tout entier. Nous n’avons pas besoin de Judenrätes volontaires, mais d’institutions indépendantes, courageuses, fidèles à leur mission.

Être juif en France aujourd’hui, c’est refuser la servitude volontaire, et réclamer une représentation authentique, qui parle avec dignité et fermeté, sans jamais oublier que notre histoire millénaire n’a survécu qu’à travers la fidélité à la vérité et à la liberté.

Canossa appartient à l’histoire. L’humiliation consentie par nos « Juifs de cour » ne doit pas devenir la nôtre.

Plus jamais de Judenrätes, ni sous la contrainte, ni par complaisance.

© Richard Abitbol

Richard Abitbol est un militant et dirigeant associatif juif français, connu pour son engagement au sein de la communauté juive

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