Tribune Juive

Shin Bouc. Par David Castel

Gråsten, Danemak, un 31 décembre. La scène semble banale : un père, deux enfants, le ciel illuminé de fusées. Klara, treize ans, Theodor, dix. Les rires, la fête. Et soudain, l’intrusion. Trois silhouettes, rapides, brutales. Le père jeté au sol. Les enfants traînés dans le bois, bâillonnés, jetés dans deux voitures aux plaques allemandes. La nuit engloutit tout.

Deux jours plus tard, un détail minuscule inverse le destin. Un GPS dans la poche du garçon, point bleu obstiné. La police danoise et allemande suit la trace, retrouve un camping-car, puis une ferme de Bade-Wurtemberg. La porte s’ouvre. Les enfants apparaissent. Vivants. Traumatisés, mais vivants. Le cauchemar recule. Mais à Hambourg, il s’installe.

Car le procès commence. Christina Block, héritière d’un empire de steakhouses, est accusée d’avoir commandité l’enlèvement. À ses côtés, Gerhard Delling, ex-présentateur sportif, transformé en complice. Autour d’eux, une cousine, un avocat, un ex-policier. Et les noms qu’on préfère répéter : Tal Sason, instructeur israélien, arrêté à Chypre. David Ram Barkai, Karen Tenenbaum, disparus. Une société de sécurité privée, Cyber Cupula Operations GmbH. Le procès devient fresque.

Puis surgit le supplément de mystère. Un mémo, signé Werner Mauss, espion allemand à la retraite. Il accuse August Hanning, ex-patron du BND, d’avoir sollicité Yaakov Peri, ancien chef du Shin Bet, ex-ministre israélien, aujourd’hui vieil homme malade. Peri aurait monté une équipe de huit Israéliens. Peri nie. Ses proches parlent d’« hallucination ». Tzvika Neveh, directeur de CGI Group, nie. Hanning nie. Mais le nom est prononcé. Et il suffit.

La presse s’emballe. Mossad. Shin Bet. Israël. Comme si un conflit de garde, au cœur de l’Europe, ne pouvait s’expliquer sans convoquer Jérusalem. Comme si la simple mention d’Israël suffisait à transformer une querelle domestique en thriller d’espionnage.

On oublie les incohérences : une mère morte censée avoir payé l’opération. Des tentatives ratées en 2021 et 2022. Un plan en bateau jamais parti. Des millions inventés, sept, chiffre magique. On préfère répéter la scène : un père au sol, des enfants bâillonnés, des menaces murmurées. Le spectacle est plus fort que la vraisemblance.

Et déjà, des pourparlers. On parle d’accords de plaidoyer pour certains Israéliens, comme une CRPC exportée. Tsach Kara, un des suspects, raconte à la télévision qu’il pensait sauver deux enfants, pas les ravir. Il dit avoir rencontré Christina Block, qu’elle pleurait, qu’elle parlait de danger. Lui croyait à un sauvetage. On lui raconte qu’il a participé à un rapt.

Mais ce procès n’est pas seulement celui d’une famille allemande. C’est le reflet, en miniature, du procès permanent instruit contre Israël. À Hambourg, Peri devient bouc commode. À l’ONU, c’est tout un peuple. La logique est la même : simplifier, caricaturer, inventer des crimes, convoquer Israël comme décor.

Et le contraste est cruel. À Hambourg, deux enfants sont retrouvés en deux jours grâce à un GPS. En Israël, des familles attendent depuis des mois le retour d’otages enterrés sous Gaza, sans trace, sans signal. À Hambourg, on fabrique un thriller judiciaire. En Israël, les enfants descendent aux abris quand les sirènes retentissent. À Hambourg, les juges alignent cent quarante témoins. En Israël, la vérité s’écrit dans le sang, pas dans les dossiers.

Il reste cette ironie amère. L’Europe se passionne pour une histoire domestique, transforme un vieil espion malade en Shin Bouc, convoque Israël pour pimenter son récit. Pendant ce temps, Israël, seul, affronte l’essentiel. Pas des fantasmes, mais des menaces. Pas des mémos douteux, mais des roquettes, des tunnels, des otages.

On retiendra peut-être une image. En Allemagne : le petit point bleu qui clignote, obstiné, sauvant deux vies. En Israël : les visages des otages, affichés sur les murs, sans GPS pour les ramener. Deux réalités, deux mondes. L’un s’invente des fictions. L’autre lutte pour survivre.

Et c’est là le cœur du plaidoyer. Israël ne peut se permettre le luxe des fantasmes. Il n’a pas besoin de procès-spectacles ni de boucs émissaires. Il doit protéger ses enfants, ici et maintenant. Quand l’Europe construit ses mythes, Israël vit son urgence. Quand Hambourg fabrique son thriller, Israël s’accroche à sa vérité nue.

Shin Bouc. C’est ainsi qu’on appelle Peri. Mais derrière ce nom, c’est Israël qu’on désigne, encore et toujours. Et c’est pour cela qu’Israël se défend. Sans relâche. Parce que personne, jamais, ne viendra le sauver à sa place.

© David Castel

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