Tribune Juive

La canicule de l’antisémitisme. Par Paul Fitoussi


Il fait chaud. Pas seulement dans l’air que nous respirons ou avons respiré cet été, mais dans les regards, les discours, les réseaux, les rues. L’été a été chaud en termes de haine du Juif de la côte d’Azur à Saint Malo pour paraphraser le chanteur Éric Charden. Une chaleur lourde, poisseuse , celle de l’antisémitisme virulent. Depuis des mois, une canicule morale s’est abattue sur l’Europe et bien au-delà. Les thermomètres de la haine montent sans alerte, et les bouches se délient avec une facilité glaçante. Plus aucun complexe à attaquer le Juif.


À Paris, Londres, Berlin, Bruxelles, Rome, des écoles juives sont gardées par des militaires; des synagogues taguées; des drapeaux israéliens brûlés; des enfants insultés. À Sydney, à Johannesburg, à Los Angeles, la même rumeur gronde : le Juif est de nouveau désigné, suspecté, accusé. L’histoire bégaie. Le feu couve…


« La haine est un long hiver qui attend son été », écrivait Albert Camus. Le nôtre est arrivé. En octobre 2023, un pogrom en Israël a rappelé au monde que le Juif n’était jamais vraiment sorti de l’état d’urgence. Mais la réponse occidentale, souvent conditionnelle, a ranimé la flamme de l’ambiguïté morale. Comme si les morts juifs étaient comptées différemment.

« L’antisémitisme est un baromètre de civilisation », disait André Glucksmann. Si tel est le cas, alors l’Europe et le monde vacillent dangereusement.

Et voici qu’on défile contre Israël en criant contre les Juifs. Qu’on brûle des drapeaux en banlieue et qu’on menace des lycéens dans le métro. On justifie, on relativise, on détourne. On crie à l’oppression pour mieux masquer l’agression. Et le silence des dirigeants -tout au moins leurs hésitations- devient complicité passive.


Combien d’avertissements faut-il encore ? Combien d’agressions physiques, verbales, psychologiques?
En 2003, la canicule avait emporté 15 000 personnes en France. On ne comprenait pas ce qui se passait. On minimisait. On attendait que ça passe. Aujourd’hui, la canicule de l’antisémitisme fait rage, et certains regardent ailleurs, espérant que cela s’éteindra de soi-même.


Mais la haine ne disparaît pas seule. Elle s’embrase.

Alors que Roch Hachana approche, mois de bilan et d’espérance, formulons des vœux : 

Que cette chaleur ne devienne pas incendie.

Que cet été de haine ne se prolonge pas en été indien de la violence.

Que nos sociétés trouvent enfin le courage de dire non, fermement, sans détour.

Et que la mémoire ne soit pas une excuse de musée, mais un appel à l’action.

Car on n’éteint pas une canicule avec des mots tièdes, seulement avec des actes forts et courageux. Il ne faut surtout pas faire en sorte de climatiser la chaleur antisémite ambiante.

© Paul Fitoussi

Paul Fitoussi est auteur

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