Tribune Juive

L’esprit guerrier. Par Marc Rameaux

Il y a maintenant presque 40 ans, un jeune homme complexé, un peu balourd, trop cérébral, trop sensible, socialement maladroit, prématurément dégoûté par le cynisme du monde et des hommes, poussait la porte d’un dojo de karaté, au sein de la cité internationale universitaire de Paris, boulevard Jourdan. Il ignorait que son univers et lui-même allaient connaître un changement considérable par ce petit geste.

L’atmosphère qui se dégageait de la salle et des pratiquants lui plût aussitôt. Le jeune homme avait un goût prononcé pour les civilisations anciennes, les héritages historiques, les secrets perdus et précieux des sagesses antiques. En un mot, de grandes affinités avec les vieux machins. Sans doute son intuition lui soufflait-elle que les illusions du monde moderne, dans lequel il se sentait inadapté et en infériorité, seraient dissipées et qu’il reprendrait la main, à travers les mystères profonds qu’il entrevoyait en pénétrant dans le dojo.

Tous les pratiquants portaient un kimono blanc, léger, coupé en biseau près des avant-bras : l’inverse du lourd Judogi, car les mouvements étaient puissants mais fluides. Un homme de petite taille, aux yeux noirs et vifs, donnait des directives d’une voix douce mais ferme. Il émanait de lui un rayonnement, une joie de vivre conciliée avec une grande maîtrise, deux qualités souvent antinomiques mais irradiant comme un soleil, lorsqu’elles coexistent en un seul homme. 

Le petit homme qui parlait et agissait avec cette douce autorité était Sensei Yves Moshe Ayache. Yves enseigna avec une infinie patience au jeune homme les bases essentielles du karaté. Les défenses élémentaires en premier lieu, puis des techniques plus avancées d’attaque, contre-attaque et de spectaculaires coups de pied. Enfin les katas, cette série de mouvements enracinés dans une tradition martiale séculaire, semblant formels et codifiés à l’œil inexpérimenté, en réalité puisés dans les techniques de survie les plus immédiates.

L’atmosphère du dojo était imprégnée à la fois d’un calme reconstituant et d’une concentration extrême. La présence de celui qui avait introduit son art se faisait encore sentir : Sensei Tetsuji Murakami, le premier maître japonais à avoir introduit le karaté en France. La voie de la main vide était déjà connue en France avant lui mais par des maîtres occidentaux revenus du Japon. Sensei Murakami fut le premier japonais à s’installer en France pour enseigner le karaté. 

Tetsuji Murakami était récemment décédé lorsque le jeune homme fit la découverte de son art martial en entrant dans le dojo du boulevard Jourdan. L’extraordinaire charisme de maître Murakami irradiait encore après sa disparition et devait perdurer pour de nombreuses années, de sorte que même ceux qui ne l’avaient pas connu de son vivant percevaient encore toute la puissance de son enseignement : une discipline de fer, une intransigeance sans compromis, mais adoucies par un recueillement et une spiritualité perceptibles et une sincérité humaine touchant directement au cœur. Sensei Ayache était de ceux qui avaient bénéficié de cette présence irradiante du vivant du maître japonais et qu’il transmettait maintenant au jeune homme.

La patience du Sensei Ayache fut récompensée. Car le jeune homme qui semblait si pataud et inadapté se révéla être un excellent pratiquant. Le karaté équilibrait tout ce qui devait être équilibré. La gymnastique préparatoire, d’une exigence physique exceptionnelle et qui décourageait plus d’un débutant, forgea son corps. La discipline martiale, le salut rituel, mélange unique de spiritualité et d’autorité, lui apprit l’immédiat, l’indiscutable, déconnectant pendant quelques heures le foisonnement trop envahissant de ses pensées. La puissance et la subtilité des techniques de poing et pied lui firent découvrir un monde où la beauté et la survie étaient étrangement reliées.

Plus tard, l’enseignement s’affina en même temps qu’il s’approfondissait. Le jeune homme apprit à mobiliser les ressources les plus ultimes et les plus infimes de son corps, celles qui ne se perçoivent que par des sensations internes très subtiles et donnent le petit avantage décisif. Les entraînements, poussés jusqu’à l’épuisement, parfois jusqu’à terminer à genoux, étaient la meilleure école de vie.

La formation n’était pas que physique. Cet art si puissant et si profondément calme changea totalement le regard que le jeune homme portait sur le monde. Il lui fit découvrir qu’un autre monde existait, où les hommes pouvaient en valoir la peine. Où la force intérieure, la discipline authentique, pouvaient être valorisés. Où les cyniques de son époque lui paraissaient tous petits, non plus menaçants mais négligeables.

Le jeune homme devint ainsi un homme accompli, acquit une assurance qui n’était pas de l’arrogance, un sens du contact humain d’autant plus intense qu’il avait été retardé, en attente de la rencontre avec l’authenticité. Tout ceci, grâce à l’enseignement du Sensei Yves Moshe Ayache, lui-même personnage très humain, insufflant toujours un enthousiasme sans compter à ses disciples, une bienveillance puisée dans le profond respect de son art qu’il cherchait à partager et à transmettre.

Puis les chemins du jeune homme et du Sensei Ayache se séparèrent : les itinéraires des écoles de karaté peuvent être complexes, à travers les interprétations voire les querelles d’écoles entre maîtres de la même génération.

Le jeune homme retrouva bien plus tard la trace du Sensei Ayache. Celui-ci s’était installé en Israël, déçu par la France et voulant revenir à ses sources millénaires, comme tant de Juifs le font de nos jours. Yves Moshe Ayache n’abandonna jamais sa pratique : il la perfectionna et l’exerce encore, lui donnant un nouveau nom qu’il porte si bien : Kiseikai, la voie du cœur. Il est aussi l’un des grands défenseurs d’Israël, comme nous les affectionnons, ceux qui portent l’esprit guerrier dans le meilleur sens du terme et dont Israël a besoin. Ceux qui savent que la paix n’est jamais faite par les lâches, que les hommes véritables balayent la nuée des petits hommes cyniques, que la sincérité poursuit calmement mais fermement ses buts, jusqu’à obtenir la victoire et faire son devoir. 

Devoir d’accomplir aujourd’hui la seule solution véritablement juste et humaine – y compris pour les « Palestiniens » – reconstituer Israël dans son entièreté, retrouver en son sein Gaza et la Judée-Samarie, ne rien céder face à ceux qui n’ont pas compris que les Juifs savent se défendre. 

L’on pouvait encore défendre par naïveté et par ignorance la solution à deux états il y a quelques décennies. De nos jours, après avoir prouvé que le désengagement de Gaza n’a fait que fabriquer les pires bastions du terrorisme, défendre la solution à deux états n’est plus le fait d’un simple naïf inconscient. Ce ne peut être que la volonté sciemment soutenue de détruire Israël. 

L’esprit guerrier doit remettre tous ces petits hommes à leur place, à commencer par le futile agitateur Macron. La défense d’Israël que poursuit Sensei Ayache et sa pratique sans fin du karaté sont pour moi une continuation de sa recherche de la Voie.

Et qu’en est-il du jeune homme, qu’est-il devenu ? Il est celui qui écrit les lignes que vous lisez à présent. Yves Moshe Ayache fut mon premier Sensei, celui que l’on n’oublie jamais et qui est encore et toujours mon Sensei. Longue vie à vous Sensei Yves Moshe Ayache et vie éternelle à Israël. Votre enseignement fait toujours renaître mon courage lorsque j’en ai besoin, lorsque nous en avons tous besoin.

© Marc Rameaux

Économiste et professionnel des hautes technologies, Marc Rameaux est l’auteur de Le Tao de l’économie. Du bon usage de l’économie de marché (L’Harmattan, Février 2020), et de Le Souverainisme est un humanisme chez VA Editions. Il est encore l’auteur du texte « La France-La nation-L’Islam », co-signé notamment par Michel Dray, Pierre-André Taguieff, Boualem Sansal.

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