Tribune Juive

Une réponse aux escrocs de l’IAGS qui entendaient asséner « juridiquement » que le génocide à Gaza n’était plus contestable. Par Jean Quatremer

Jean Quatremer rapporte et traduit la déclaration des 400 juristes

Préambule

« Une réponse aux escrocs de l’IAGS qui entendaient asséner qu’il y avait une vérité juridique incontestable et que le génocide à Gaza n’était plus contestable. On est à un autre niveau, la lettre est signée par près de 400 juristes de très haut niveau et non pas des clampins hystériques,  mais les médias ne s’y intéresseront pas, car cela va contre les a priori d’une grande partie des rédactions qui ne raisonnent plus qu’à partir de leur ressenti. Pourtant, ils devraient savoir que le ressenti ment…« 

Traduction française:

« Au nom des personnes et organisations soussignées, qui ont pour mission d’éduquer sur l’antisémitisme, le droit international, l’Holocauste et le génocide, et qui œuvrent activement à renforcer la prévention du génocide, nous estimons que la résolution de l’Association internationale des chercheurs sur le génocide (IAGS) n’applique pas correctement le droit et les faits relatifs à la guerre à Gaza. De plus, nous sommes préoccupés par le processus qui a conduit à l’adoption de la résolution, avec des promesses de réunions publiques et de publication des opinions dissidentes, promesses qui n’ont pas été tenues. La résolution a été adoptée par 129 membres votants, dont environ 107 ont voté pour, sur plus de 500 membres. Le fait de faire taire les dissidents est une tactique préoccupante utilisée dans une affaire aussi controversée.

Le génocide est le crime le plus grave connu de l’humanité ; affaiblir ses normes juridiques à des fins idéologiques constitue une forme de violence morale. Cela déshonore la mémoire des victimes passées, induit le public en erreur sur les atrocités actuelles et entrave les efforts visant à prévenir celles à venir. 

Le 7 octobre 2023, le Hamas a envahi Israël et a agi avec l’intention de détruire, en tout ou en partie, les Juifs et les Israéliens, en tant que groupe national, ethnique, racial ou religieux. De plus, le Hamas et ses organisations alliées ont pris des innocents en otage et continuent de les retenir. Ainsi, le Hamas a commis le crime de génocide et reste la seule partie à remplir légalement les conditions requises pour que le crime de génocide soit constitué.

Il ne fait aucun doute que la guerre à Gaza a causé du tort à un grand nombre de personnes qui n’auraient pas été blessées ou tuées sans cette guerre. D’après les informations disponibles, le nombre de victimes comprend les personnes tuées tant par Israël que par le Hamas. Il apparaît également que le Hamas a utilisé la pratique des boucliers humains comme stratégie systématique pour tenter de se protéger et d’accroître les dommages causés aux civils palestiniens. Il s’agit d’un crime de guerre commis par le Hamas contre le peuple palestinien à Gaza.

La résolution de l’IAGS laisse entendre que tous les décès survenus à Gaza sont le résultat du comportement d’Israël et sert à disculper le Hamas de la responsabilité de ses propres actions. En outre, la résolution de l’IAGS stipule sans aucune justification qu’Israël a commis « des attaques aveugles et délibérées contre les civils et les infrastructures civiles (hôpitaux, maisons, bâtiments commerciaux, etc.) ». Cependant, pour parvenir à une telle conclusion, il faut nier l’utilisation bien documentée par le Hamas des infrastructures civiles et humanitaires à des fins militaires. Il est bien établi que le Hamas a transformé en armes des hôpitaux, des mosquées, des écoles, des maisons civiles et même des zones humanitaires. En vertu de diverses dispositions du droit international, notamment les articles 19 et 28 de la quatrième Convention de Genève et l’article 51(7) du Protocole additionnel I à la Convention de Genève, ce comportement ferait perdre à ces lieux la protection dont ils bénéficieraient normalement. Les membres du Hamas ont ouvertement admis avoir recours à cette stratégie. Il a été démontré à plusieurs reprises que le Hamas a averti les civils de ne pas quitter la ville de Gaza. Ignorer le comportement du Hamas ne fait que causer davantage de tort aux civils palestiniens qui sont censés être protégés.

La résolution de l’IAGS stipule en outre : « Reconnaissant qu’Israël a tué ou blessé plus de 50 000 enfants et que cette destruction d’une partie substantielle d’un groupe constitue un génocide. » Ce qu’elle omet de mentionner, c’est que le Hamas utiliserait des enfants comme combattants et que les enfants représentent environ 50 % de la population de Gaza, une proportion nettement plus élevée que dans presque tout autre endroit au monde. Cela poserait des problèmes dans l’analyse de la « partie importante » lorsque le nombre total de morts et de blessés à Gaza, au moment de la rédaction de cette déclaration, s’élève à 224 217 victimes (63 557 morts et 160 660 blessés selon les médias palestiniens). Il en résulte que 22 % du nombre total de victimes sont des enfants, ce qui est bien inférieur à la proportion d’enfants dans la population de Gaza. Il est important de noter également que le nombre de victimes comprend une part importante de combattants, sans distinction entre civils et combattants.

La résolution de l’IAGS cite également les mandats d’arrêt délivrés par la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre du Premier ministre Netanyahu et de l’ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, tout en omettant de mentionner que la Chambre préliminaire I (PTC I) de la CPI a expressément rejeté les mandats d’arrêt à l’encontre de Netanyahu et Gallant pour crime contre l’humanité d’extermination, un crime de moindre gravité, en déclarant : « Sur la base des éléments présentés par l’accusation couvrant la période allant jusqu’au 20 mai 2024, la Chambre n’a pas pu déterminer que tous les éléments du crime contre l’humanité d’extermination étaient réunis. » 

Les auteurs de la résolution de l’IAGS affirment en outre que la Cour internationale de justice (CIJ) a déterminé, dans les premières mesures provisoires dans l’affaire Afrique du Sud c. Israël que les actions d’Israël constituaient « vraisemblablement un génocide ». Cependant, cela déforme grossièrement la décision de la CIJ et constitue une interprétation erronée de la détermination de la plausibilité. La CIJ a correctement conclu que les Palestiniens, en tant que groupe national distinct, ont des droits plausibles en vertu de la Convention sur le génocide qui peuvent être plausibles, et non qu’un génocide a été commis. L’auteur de cette décision, l’ancienne présidente de la CIJ, Joan Donoghue, a clarifié la question sur la BBC.

De plus, la résolution de l’IAGS cite diverses organisations qui ont accusé Israël de génocide en « adoptant un cadre analytique plus large », comme l’a déclaré B’Tselem. Cet « élargissement » du cadre analytique vise à étendre l’intention requise du dolus specialis à une intention plus inclusive telle que le dolus eventualis, où une partie savait que son comportement pouvait causer un certain préjudice, mais n’agissait pas nécessairement avec l’intention de causer ce préjudice.

Toutes ces accusations ignorent délibérément la jurisprudence établie autour de la Convention sur le génocide et la commission du crime de génocide. Dans l’affaire Bosnie c. Serbie (2007), paragraphe 373, la CIJ a déclaré : « Le dolus specialis, l’intention spécifique de détruire le groupe en tout ou en partie, doit être démontré de manière convaincante en se référant à des circonstances particulières, à moins qu’il ne soit possible de démontrer de manière convaincante l’existence d’un plan général à cette fin ; et pour qu’un comportement soit accepté comme preuve de son existence, il doit être de nature à ne pouvoir indiquer que l’existence d’une telle intention. » 

À Gaza, il existe de nombreuses autres explications plausibles à l’intention des opérations militaires menées dans la bande de Gaza. De l’utilisation par le Hamas d’infrastructures civiles et humanitaires à des fins militaires, à la pose avérée de pièges dans des bâtiments, en passant par les tunnels plus longs que le métro de Londres et la détention continue d’otages.

Une autre lacune importante de la résolution de l’IAGS est qu’elle ne parvient pas seulement à établir les éléments constitutifs du génocide, mais qu’elle ne fixe pas non plus la norme juridique selon laquelle le génocide doit être prouvé. Le génocide devant la CIJ doit être prouvé de manière concluante, ce qui signifie qu’il ne peut y avoir aucune autre explication possible. Étant donné qu’il existe d’autres explications raisonnables au comportement d’Israël en ce qui concerne la compréhension du comportement du Hamas et de ses obligations légales, la norme juridique ne peut être considérée comme remplie. La norme juridique ne pouvant être remplie, il ne peut donc être considéré comme un génocide en vertu d’aucune application de la loi tant que cette norme n’est pas remplie.

Une autre erreur fatale de la résolution de l’IAGS est qu’elle ne tient pas compte des mesures prises par Israël lui-même pour prévenir les dommages causés aux civils. Elle suppose sans justification que le comportement d’Israël doit être génocidaire, tout en ignorant le comportement du Hamas. De nombreux non-Israéliens sont entrés à Gaza et ont observé de leurs propres yeux les protocoles de ciblage de l’armée israélienne afin de déterminer le respect des normes juridiques, et ils n’ont pas encore conclu qu’Israël se livrait à des violations délibérées du droit international. En outre, des informations ont été recueillies qui démontrent qu’au début de la guerre, Israël a renforcé ses évaluations de proportionnalité afin de réduire les dommages causés aux civils.

Il est essentiel de ne pas édulcorer les éléments juridiques du génocide dans le but de promouvoir des positions idéologiques et des préjugés. Les spécialistes de l’Holocauste et du génocide peuvent légitimement s’inquiéter du comportement d’Israël à Gaza sans pour autant dénigrer les normes juridiques qui existent pour protéger les populations contre ces crimes. La résolution de l’IAGS néglige d’attribuer toute responsabilité pour les conséquences des actions du Hamas, tentant d’imposer cette responsabilité à Israël. Sans exiger que le Hamas assume la responsabilité de ses actions, il est difficile de déterminer s’il s’agit d’un comportement génocidaire.

L’allégation de génocide a été rejetée de manière convaincante par d’éminents chercheurs, des autorités militaires occidentales à la retraite, des procureurs spécialisés dans les crimes de guerre et d’autres observateurs.

Enfin, l’IAGS ne mentionne jamais que cette guerre pourrait prendre fin si le Hamas libérait tous les otages qu’il continue de détenir illégalement à Gaza et déposait les armes. 

Pour ces raisons, nous demandons à l’IAGS de retirer immédiatement sa résolution. Persister dans une telle déformation revient à renoncer aux normes les plus élémentaires du droit et de la recherche universitaire. Cela réduit l’Association à une farce, érode l’intégrité des études sur le génocide et sape le sens même de ce crime. 

Comme l’a affirmé l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 96 du 11 décembre 1946, le génocide « choque la conscience de l’humanité, entraîne de grandes pertes pour l’humanité sous forme de contributions culturelles et autres… et est contraire à la loi morale et à l’esprit et aux buts des Nations unies ». 

Une institution dédiée à la mémoire de l’Holocauste et à la prévention des atrocités ne peut se permettre de faire preuve de partialité politique ou de mauvaise foi dans l’interprétation du droit, ni de négligence juridique, sans trahir l’histoire, déshonorer les victimes et mettre en péril l’avenir même qu’elle prétend protéger.‌‌

© Jean Quatremer


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