Tribune Juive

Mostra de Venise : une indécente ovation. Par Julien Brünn

Donc, record battu de la standing ovation à la Mostra de Venise à l’issue de la projection de « The voice of Hind Rajab » : 22 minutes, même 23, ont compté certains, 23 minutes et 30 secondes très exactement, précise le Courrier de l’Atlas (le magazine de l’actualité du Maghreb en Europe). 23 minutes et 30 secondes d’applaudissements à tout rompre, de cris « Free Free Gaza » et de drapeaux palestiniens déployés à la tribune. Attention : ce record de l’ovation qui vient d’être battu à la Mostra de Venise par The voice of Hind Rajab est planétaire, il ne concerne pas que le festival de films de Venise mais tous les festivals de cinéma du monde entier, de leurs débuts jusqu’à nos jours. Une telle apnée en émotion, c’est du jamais vu, s’extasie-t-on dans la presse.

Vous l’aurez compris : il n’y a que la Palestine qui puisse faire exploser à ce point les compteurs de l’émotion et de l’enthousiasme. L’Hind Rajab du titre du film est en effet une petite gazaouie « assassinée » par l’armée israélienne. « Assassinée » : c’est le terme utilisé par pratiquement tous les pitchs de la presse ; ou alors, c’est : « le meurtre d’une petite fille gazaouie » par, toujours bien entendu, l’armée israélienne.

Nous allons essayer de faire la part des choses, c’est-à-dire que nous allons endosser le rôle du salopard sans cœur que la mort d’une petite fille restée pendant plusieurs heures dans une voiture parmi les cadavres des membres de sa famille au milieu des tanks et des tirs avant de mourir, laisse de marbre. Il faut préciser qu’en plus nous n’avons pas vu le film, puisqu’il s’agissait d’une première mondiale et que nous ne sommes pas (hélas) à Venise. Mais ce n’est pas le film qui est en cause, c’est l’ovation.

Quelques mots du film, quand même, réalisé par une réalisatrice tunisienne. Wikipédia : « Le 29 janvier 2024, Hind Rajab a fui la ville de Gaza en voiture avec son oncle, sa tante et leurs enfants. La voiture est attaquée par l’armée israélienne et seule la fillette de cinq ans survit. Pendant des heures, elle reste coincée dans le véhicule immobilisé et garde le contact par téléphone avec les employés du Croissant-Rouge palestinien, qui tentent de calmer l’enfant effrayée. Des ambulanciers se mettent alors en route pour la sauver, avant de se faire eux-mêmes attaquer. Après le retrait de l’armée israélienne, les corps de Rajab et des ambulanciers, entre autres, sont découverts le 10 février. L’incident attire l’attention des médias du monde entier et déclenche des protestations contre l’action d’Israël dans la guerre de Gaza. » Les appels au secours de la fillette grâce au téléphone de sa tante ont été enregistrés et c’est cet enregistrement (la voix de Hind Rajab) qui soutient le film, le reste étant une reconstitution. Israël a répondu qu’à cette date, le 29 janvier 2024, son armée ne se trouvait pas à l’endroit indiqué, mais évidemment ses dénégations ne valent rien…

Ce qui vaut quelque chose, en revanche, c’est le dolorisme sans frein qui entoure la situation des civils à Gaza. En particulier des enfants. Ça vaut même de l’or. C’est une arme imparable. C’est ce que démontre cette interminable ovation. Car ceux qui ont ovationné le film – doloriste dans son principe – ce ne sont pas des propagandistes de la « cause » palestinienne et du Hamas, ce ne sont pas des journalistes qui y sont tout acquis, ce ne sont pas des « islamo-gauchistes » hystérisés, non, c’est le public, tout le public qui est emporté, ou plutôt porté par cet océan de larmes. L’armée israélienne prétend qu’elle n’était pas là où ont eu lieu les tirs sur la voiture où se trouvait la petite fille (plus de 300 impacts de balle sur la voiture en question, un étrange acharnement pour une armée en opération…) : Aucune importance, Taisez-vous, Laissez-nous pleurer ! Les enfants faméliques qu’on exhibe ne sont pas faméliques parce qu’ils ont faim mais parce qu’ils sont malades ? Mais Taisez-vous donc, les sans-cœur, Laissez-nous pleurer sur la famine ! Ainsi fonctionne le dolorisme.

Israël est en train de gagner sa guerre sur le terrain, sans doute, mais il l’a déjà perdue dans les têtes. Cette ovation n’en est qu’une preuve parmi d’autres, particulièrement parlante. Les ovationneurs du film « La voix de Hind Rajb », messieurs et mesdames tout le monde, tout à leur douleur, ont oublié les supplices – volontaires, ceux-là – que des Palestiniens ont fait subir à des enfants israéliens le 7 octobre 2023. Ils les ont oubliés, il faut le reconnaître, très vite, car ils ont été très vite submergés par le dolorisme palestinien. Est-ce la faute d’Israël ? Israël n’a pas fait de dolorisme autour de ces supplices. Il n’a pas diffusé massivement les images du massacre du 7 octobre, avec en prime le plaisir des massacreurs, il ne les a pas rediffusées en boucle tout au long de ces longs mois de guerre, pour justifier sa guerre. Cette retenue, certes honorable, a privé Israël d’une victoire dans les imaginaires.

Car ces ovationneurs, ceux-là et tous les autres, semblent incapables de comprendre que ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas devant les yeux les images du 7 octobre, les images des enfants suppliciés du 7 octobre, que le 7 octobre n’a pas eu lieu ou doive être oublié, comme effacé des mémoires.

Et c’est pour cette raison que l’ovation de la Mostra est une ovation, il faut le dire, indécente.

Post-scriptum : un petit garçon de 8 ans, donné pour lâchement assassiné par l’armée israélienne au cours d’une distribution alimentaire, vient d’être retrouvé, vivant : il se cachait avec sa mère, qui craignait des représailles du Hamas si celui-ci s’apercevait que le garçon n’était pas docilement mort comme annoncé à la presse internationale. Quoi ? Retrouvé ? Vivant ? Mais Taisez-vous donc ! Laissez-nous pleurer en paix. Ou plutôt en guerre.  

© Julien Brunn

Journaliste. Ancien correspondant de TF1 en Israël. 


Dernier ouvrage paru  : 

L’origine démocratique des génocidesPeuples génocidaires, élites suicidaires. L’harmattan. 2024

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