Tribune Juive

Brutalité du réel. Par Charles Rojzman

Il est une vérité qu’on dissimule à force de vouloir la contourner, comme si nommer le réel dans sa nudité la plus crue constituait une violence plus grande encore que celle que ce réel inflige à nos vies. La France moderne, saturée d’euphémismes, de sigles et de discours anesthésiants, préfère l’hypocrisie de la statistique à la brutalité du témoignage.

On parle de mixité, d’inclusion, de diversité, comme on couvrirait d’un linceul parfumé le cadavre d’un pays qui se défait. Et pourtant la réalité est là, brutale, obstinée : une minorité de jeunes hommes, nés ici mais venus d’ailleurs par le sang, le nom, la mémoire, manifestent par des violences chaque jour plus décomplexées un ressentiment profond, un refus radical, un nihilisme qui se déguise en morale victimaire.

Ces violences ne sont pas de simples accidents sociaux : elles sont l’expression d’une sécession. On agresse pour humilier, on vole pour venger, on brûle pour purifier, on tue parfois pour la gloire obscure de se croire enfin maître de son destin. L’école devient champ de bataille, l’enseignant une cible. La bibliothèque, lieu de silence et de transmission, est incendiée comme jadis les granges ennemies. Le pompier, le médecin, le facteur deviennent des figures de l’État honni. La police est une proie, un gibier du samedi soir. Tout cela compose une anthropologie de la haine, une révolte sans but qui ne veut pas détruire pour reconstruire, mais pour jouir de la destruction elle-même.

Ce n’est plus un problème de délinquance : c’est une sécession morale et culturelle. Un rejet de l’idée même de France, réduite à une entité hostile, une machine coloniale éternelle, une matrice coupable dont on attend réparation infinie. Le jeune violent ne dit pas « je souffre », il dit : « On m’a empêché ». Il ne veut pas vivre à égalité, il exige un privilège de victime, une rente d’humiliation. Sa haine devient un droit, sa colère une noblesse, son ressentiment une identité.

Les causes sont connues, et l’on s’obstine à les répéter comme un chapelet sociologique : familles éclatées, pères absents ou tyranniques, mères prisonnières d’une morale sexuelle archaïque, culture de l’honneur et de la honte, frustration des corps, fantasmes complotistes. Ces jeunes ressemblent à leurs frères de Berlin, de Malmö, de Londres ou de Gaza : même haine, même sentiment d’abandon, même transformation du désespoir en sadisme. L’Occident leur a tout donné et ils n’ont rien reçu, sinon une dette impossible à payer : être français sans le vouloir, héritiers d’un pays dont ils rejettent jusqu’au rire.

La culture de l’excuse règne. On explique, on contextualise, on excuse, on relativise. Chaque émeute devient un cri, chaque crime un symptôme. Plus personne ne veut dire le mot « responsabilité ». À force de tout excuser, la France n’inspire plus ni crainte ni respect. Elle ne fait plus peur à ses enfants, qui ne sont plus ses enfants mais ses juges.

Les élites ont trahi. Elles habitent loin des quartiers qu’elles décrivent en tribunes, protégées par des codes d’accès et des gardiens privés. Elles ne transmettent plus la France, elles s’en excusent. Elles n’enseignent plus l’histoire, elles la déconstruisent. Leur culpabilité est posture, leur repentance un alibi. Elles ne dirigent plus : elles traduisent le désastre.

Dans ce vide s’engouffre une force : celle d’une religion dévoyée, non comme foi, mais comme refus. L’islam, réduit à un système identitaire, devient bannière de sécession. On n’y cherche pas Dieu mais un drapeau, un mur, une forteresse mentale. On n’y prie pas pour se sauver, mais pour rejeter. L’école, la mixité, la laïcité, l’art, la pensée critique : tout est déclaré impur. C’est une religion sans transcendance, mais avec police, tribunal et uniforme. Elle dicte le vêtement, le regard, le silence. Elle donne un sens totalitaire aux humiliations réelles, en les transformant en motif de haine sacrée.

Mais il serait trop facile de dire : « C’est l’islam qui gagne ». Non. Ce n’est pas l’islam qui triomphe, c’est la France qui recule. Elle recule par fatigue, par honte, par peur des mots. Elle recule parce qu’elle ne croit plus à rien. L’Occident a remplacé l’âme par le confort, la mémoire par le divertissement, la communauté par l’individu. Il ne sait plus dire : « voici ce que nous sommes ». Alors d’autres le disent à sa place.

Nous ne sommes plus au temps des compromis, mais à celui des citadelles. Il ne s’agit pas seulement de transmettre, mais de reconquérir. Non pas par la haine, mais par la rigueur, par l’intransigeance du juste.

Il faudra aimer assez la France pour lui rendre sa voix, non pas dans le pathos des commémorations, mais dans la fermeté des actes. Cela suppose de rompre avec une politique d’immigration qui creuse sans cesse de nouvelles failles dans une maison déjà fissurée. Cela suppose de retrouver le courage de nommer, de dire, de trancher. Nous entrons dans l’âge des citadelles intérieures, où la survie ne sera pas un apaisement mais une vigilance de chaque instant. Il restera quelques enclaves, des poches de culture, des voix encore libres. Ce n’est pas la naïveté du pardon qu’il faudra, mais la rigueur du lien : tenir bon et tendre la main à ceux qui peuvent encore l’être, contenir et parler à la fois, résister sans haïr, transmettre sans faiblir. Toute civilisation renaît d’abord en silence, par ceux qui tiennent ferme.

Peut-être sommes-nous arrivés à ce point où la France n’a plus à séduire ni à convaincre, mais à tenir. C’est cela, désormais, le courage : non pas promettre un monde meilleur, mais sauver ce qui peut l’être, jusqu’à ce qu’un jour, peut-être, d’un reste de fidélité, surgisse de nouveau une civilisation.

© Charles Rojzman

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