Tribune Juive

La réponse de Macron à Netanyahu: elle ne tient pas debout ! L’Édito de Julien Brünn

Donc, Emmanuel Macron a envoyé son paquet à Benjamin Netanyahu : et toc. Il l’avait promis dans un communiqué élyséen : « L’analyse, avait écrit l’Élysée, selon laquelle la décision de la France de reconnaître l’État de Palestine dès septembre expliquerait la montée des violences antisémites, est erronée, abjecte, et ne restera pas sans réponse ».  Et réponse il y eut, en effet. Elle date un peu, d’il y a quelques jours déjà, et est déjà flétrie, tous les regards étant désormais tournés vers le 8 septembre, date de l’autodestruction auto-programmée du gouvernement Bayrou. Bayrou va partir, certes, mais Emmanuel Macron va rester, lui. Ça vaut donc le coup d’examiner d’un peu plus près sa « réponse » au premier ministre israélien, qu’on imagine qu’il imagine terrible et sans appel.

D’abord il lui administre une leçon de savoir-vivre. Leçon de « savoir-vivre à la française » ­- on ne publie pas une lettre avant que son destinataire l’ait reçue – « amplement » méritée, reconnaissons-le. Sauf que ce savoir-vivre-là est « amplement » périmé, remplacé par le « savoir-vivre-ensemble » qui n’a rien à voir avec le précédent et se contrefout des règles de la courtoisie. Emmanuel Macron, Président attentif à l’air du temps, devrait être le premier à le savoir.

Ensuite, il administre au Premier ministre israélien une leçon d’histoire. Et là, il faut s’accrocher car les enchaînements logiques sont ébouriffants. « La protection de nos compatriotes juifs contre la montée de l’antisémitisme est, depuis le premier jour, une priorité absolue de mon action », commence-t-il par se justifier. Suit une énumération de mesures contre l’antisémitisme – normales (protection de synagogues, etc.) – tellement longue qu’elles finissent par apparaître comme autant de « faveurs » accordées – et non dues – aux Juifs de France. Mais ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est sa logique de l’Histoire. Que voici : « L’Histoire nous enseigne, écrit Emmanuel Macron, que là où tente de s’ancrer l’antisémitisme, prospèrent avec lui toutes les formes de racisme et de haine. C’est au nom de cette leçon que la République française est l’inlassable ennemie de l’antisémitisme depuis la Révolution de 1789 ». 

Essayons de comprendre ce qui est écrit : si toutes les autres formes de racisme (« et de haine », ajoute le Président, commettant un étrange anachronisme) n’avaient pas « prospéré » aux côtés de l’antisémitisme, la République ne serait pas devenue « l’inlassable ennemie » de l’antisémitisme. L’antisémitisme à lui seul n’aurait pas suffi à la faire bouger.

On peut tourner la phrase dans tous les sens, on ne peut comprendre autre chose que la « leçon » de l’Histoire, c’est l’agrégation à l’antisémitisme des autres formes de racisme et de haine. C’est ça qui le rend terrible et si haïssable. C’est un raisonnement d’autant plus surprenant qu’il est manifestement faux. Par exemple, le racisme anti-noir qui sous-tendait l’esclavage n’a pas attendu l’antisémitisme pour « prospérer ». Et s’il est vrai que la France fut la première à faire des Juifs des citoyens à part entière, ce que l’on appelle l’ »émancipation » des Juifs n’est nullement due à la lutte contre l’antisémitisme, qui du reste n’existait pas encore : seul « prospérait » l’antijudaïsme, ce qui n’est pas la même chose. Simplement, les constituants du nouveau régime républicain listaient ceux qui pouvaient devenir citoyens de la République, et ceux qui ne le pouvaient pas, comme les bourreaux ou les comédiens : pour les Juifs, il y avait des pour et il y avait des contre. Et si la réponse fut finalement positive, ce ne fut nullement au nom d’une lutte contre l’antisémitisme, et de la possible agrégation d’autres racismes.

Or, selon Emmanuel Macron, c’est au nom de cette « leçon » de l’Histoire qu’arrive la leçon de morale de l’anti antisémite qu’est le Président de la république française. C’est au nom de cet anti antisémitisme qu’il peut se permettre d’avoir un avis – négatif, mais ce n’est pas de sa faute –  sur tout ce qui concerne Israël. Sans que cet avis ait la moindre conséquence sur la façon dont « prospère » l’antisémitisme en France. Donc, c’est en toute bonne foi anti antisémite qu’Emmanuel Macron pense qu’il est urgent de reconnaître l’existence d’un État palestinien, qui, bien sûr, aimera son voisin israélien comme lui-même. « Cet engagement est inédit, écrit-il. Il résulte de notre indignation face à un désastre humanitaire épouvantable à Gaza que rien ne saurait justifier ».  Rien, vraiment ? Encore une fois, examinons la logique de cette lettre. La reconnaissance d’un État palestinien découlerait de son indignation : mais Gaza était déjà un proto-État, administré sans aucun contre-pouvoir extérieur par le Hamas. Il pouvait creuser autant de tunnels qu’il le souhaitait. Supposons que le nouvel État tant souhaité par Emmanuel Macron se livre à un pogrom du même type, la réponse israélienne sera-t-elle différente sous prétexte que le pogrom aura été perpétré par un État en bonne et due forme ? Non, bien sûr. Et ce n’est pas cette réponse, quelle que soit sa forme, qui est immorale. C’est la fameuse indignation devant cette réponse qui est profondément immorale.

Car de quoi devrait s’indigner Emmanuel Macron, inlassablement, quotidiennement, puissamment, comme d’ailleurs ses collègues chefs d’État et de gouvernement européens à l’indignation également mal placée ? Il devrait s’indigner de ce que le Hamas, une force politique du Moyen-Orient hébergée par un pays ô combien « ami », le Qatar, avec lequel on discute, on négocie, qu’on ménage, que le Hamas, donc, utilise pour faire la guerre un moyen que même au Moyen Âge on répugnait à utiliser : la prise d’otages. La prise d’otages est profondément immorale, et il est immoral de ne pas le hurler chaque jour. Chaque jour, s’il tient absolument à se mêler des affaires du Moyen-Orient, il devrait rendre responsable le Hamas des morts civiles que par sa politique de prise d’otages celui-ci oblige – consciemment – l’armée israélienne à provoquer. Chaque jour. Au lieu de s’indigner de la réponse morale d’Israël à cette immoralité-là. Et on ne parle même pas de la cohorte d’horreurs du pogrom.

Mais non. Il préfère l’indignation facile. Osons le dire : cette indignation est indigne. Et il n’est pas « abject » d’avancer que cette indignation alimente, oui, alimente l’antisémitisme en France.

© Julien Brünn

Journaliste. Ancien correspondant de TF1 en Israël. 


Dernier ouvrage paru  : 

L’origine démocratique des génocidesPeuples génocidaires, élites suicidaires. L’harmattan. 2024

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Version anglaise

Macron’s response to Netanyahu: it doesn’t hold water! By Julien Brunn



So, Emmanuel Macron sent his package to Benjamin Netanyahu: and bang. He had promised it in a statement from the Élysée Palace: “The analysis,” wrote the Élysée, “that France’s decision to recognize the State of Palestine in September explains the rise in anti-Semitic violence is wrong, despicable, and will not go unanswered.”  » And indeed, there was a response. It dates back a few days now and is already withered, with all eyes now turned to September 8, the date of the Bayrou government’s self-programmed self-destruction. Bayrou will leave, of course, but Emmanuel Macron will stay. It is therefore worth taking a closer look at his “response” to the Israeli prime minister, which we imagine he considers terrible and final.

First, he gives him a lesson in etiquette. A lesson in « French etiquette “—you don’t publish a letter before its recipient has received it—which, let’s admit, was ”amply“ deserved. Except that this etiquette is ‘amply’ outdated, replaced by ”living together » etiquette, which has nothing to do with the former and couldn’t care less about the rules of courtesy. Emmanuel Macron, a president who is attentive to the spirit of the times, should be the first to know this.

He then gives the Israeli Prime Minister a history lesson. And here, you have to hang on tight because the logical connections are mind-boggling. “Protecting our Jewish compatriots against the rise of anti-Semitism has been an absolute priority of my work since day one,” he begins by justifying himself. He then lists a series of measures against anti-Semitism—normal ones (protection of synagogues, etc.)—that are so long that they end up looking like “favors” granted—and not owed—to the Jews of France. But that’s not the most important thing. The most important thing is his logic of history. Here it is: “History teaches us,” writes Emmanuel Macron, « that wherever anti-Semitism tries to take root, all forms of racism and hatred flourish with it. It is in the name of this lesson that the French Republic has been the tireless enemy of anti-Semitism since the Revolution of 1789. “ Let’s try to understand what is written here: if all other forms of racism (”and hatred,“ adds the President, committing a strange anachronism) had not ‘flourished’ alongside anti-Semitism, the Republic would not have become the ”tireless enemy » of anti-Semitism. Anti-Semitism alone would not have been enough to make it take action. No matter how you look at it, there is only one possible interpretation: the “lesson” of history is that anti-Semitism is linked to other forms of racism and hatred. That is what makes it so terrible and hateful. This reasoning is all the more surprising because it is clearly false. For example, the anti-Black racism that underpinned slavery did not wait for anti-Semitism to “flourish.” And while it is true that France was the first country to grant Jews full citizenship, what is known as the “emancipation” of the Jews was in no way due to the fight against anti-Semitism, which did not yet exist: only anti-Judaism “flourished,” which is not the same thing. Simply put, the founders of the new republican regime listed those who could become citizens of the Republic and those who could not, such as executioners and actors: for Jews, there were those in favor and those against. And if the answer was ultimately positive, it was in no way in the name of combating anti-Semitism and the possible aggregation of other forms of racism. 

However, according to Emmanuel Macron, it is in the name of this “lesson” from history that the moral lesson of the anti-anti-Semite who is the President of the French Republic comes into play. It is in the name of this anti-anti-Semitism that he can allow himself to have an opinion—negative, but that’s not his fault—on everything concerning Israel. Without this opinion having the slightest impact on the way anti-Semitism “thrives” in France. So, it is in all good anti-anti-Semitic faith that Emmanuel Macron believes it is urgent to recognize the existence of a Palestinian state, which, of course, will love its Israeli neighbor as it loves itself. “This commitment is unprecedented,” he writes. “It stems from our indignation at the appalling humanitarian disaster in Gaza, for which there can be no justification.” None, really? Once again, let’s examine the logic of this letter. The recognition of a Palestinian state would stem from his indignation: but Gaza was already a proto-state, administered without any external countervailing power by Hamas. It could dig as many tunnels as it wanted. Suppose that the new state so desired by Emmanuel Macron engages in a pogrom of the same kind. Would the Israeli response be any different on the pretext that the pogrom was perpetrated by a fully-fledged state? No, of course not. And it is not this response, whatever form it takes, that is immoral. It is the famous outrage at this response that is deeply immoral.
For what should Emmanuel Macron be outraged about, tirelessly, daily, powerfully, as indeed should his fellow European heads of state and government, whose outrage is equally misplaced? He should be indignant that Hamas, a political force in the Middle East hosted by a country that is oh so “friendly,” Qatar, with which we discuss, negotiate, and appease, that Hamas, therefore, uses a means of warfare that even in the Middle Ages people were reluctant to use: hostage-taking. Hostage-taking is profoundly immoral, and it is immoral not to shout this from the rooftops every day. Every day, if he is so keen to meddle in Middle Eastern affairs, he should hold Hamas responsible for the civilian deaths that its policy of hostage-taking consciously forces the Israeli army to cause. Every day. Instead of being outraged by Israel’s moral response to this immorality. And that’s not even mentioning the horrors of the pogrom.

But no. He prefers facile indignation. Let’s dare to say it: this indignation is unworthy. And it is not “abject”, dispictable, to believe that it fuels anti-Semitism in France and elsewhere.

© Julien Brünn

Julien Brünn is a journalist. Formerly of the daily Libération (1970s), correspondent for TF1 in Jerusalem, columnist for TV5 Monde. He also co-founded and directed the monthly magazine “Le Monde des Débats”.

Latest work published: « The democratic origin of genocides ». L’Harmattan. 2024

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