Tribune Juive

« Delphine Horvilleur : l’universel, mais seulement entre amis »

Il y a quelque chose de pourri dans le royaume du débat juif français.

Depuis quelques jours, les réseaux sociaux bruissent d’un lynchage feutré mais concerté. La cible ? Non pas un ennemi déclaré du peuple juif. Non. Une femme. Une directrice de publication. Celle de « Tribune juive ». Sarah Cattan.

Son tort ? Donner la parole. Oui, juste ça. Offrir des tribunes. À des auteurs,qui pensent. Et parfois — crime suprême — qui ne pensent pas comme Delphine Horvilleur.

Car c’est bien là que le bât blesse. On ne lui reproche pas un mensonge, un dérapage, une faute morale. Non. On lui reproche d’avoir laissé exister, dans les pages de « Tribune Juive », des voix dissidentes. Des voix qui n’entrent pas dans la ligne tracée par les gardiens autoproclamés de la morale juive progressiste. Et puisque répondre sur le fond est devenu trop risqué — ou trop fatigant — on passe à l’attaque ad hominem. On ne débat plus, on discrédite. On ne contredit pas, on tente d’effacer.

Delphine Horvilleur et sa petite armée de certitudes ont ainsi transformé la nuance en menace, et la contradiction en crime de lèse-majesté. Et quand ça ne suffit pas, on téléphone aux rédactions, on exerce des pressions. Tenou’a, par exemple, a reçu plusieurs fois des appels pour qu’on y interdise certains auteurs, coupables d’un seul délit : ne pas marcher au pas.

Mais à  ce petit jeu, « Delphine » ne se salit pas les mains, elle délègue à sa meute servile. 

Nous voilà bien loin de l’éthique du débat chère à nos maîtres.

Le judaïsme est né d’un désaccord. Hillel contre Shammaï. Rabbi Akiva contre Rabbi Yishmaël. Et pourtant aujourd’hui, il faudrait penser d’une seule voix ? Une voix douce, bien sûr, suffisamment lisse pour passer sur « France Inter » sans heurter les auditeurs, suffisamment sage pour ne jamais dire « Israël a le droit de se défendre » sans ajouter « mais ».

Mais il y a plus grave.

Derrière cette volonté de purification idéologique, se cache une forme de cléricalisme moral. Une élite autoproclamée qui ne supporte plus la critique. Et là, permettez-moi une hypothèse : ce n’est pas Delphine Horvilleur en tant que personne que nous interrogeons. C’est un phénomène. Celui d’un certain narcissisme spirituel qui, à force d’être célébré, finit par confondre contradiction et attaque personnelle. On peut le comprendre : lorsqu’on vit dans la lumière, chaque ombre devient offense. Mais ce n’est pas une raison pour diaboliser tous ceux qui ne pensent pas comme soi.

En ces jours qui approchent de Yom Kippour, je choisis de pardonner à Delphine Horvilleur ce que je perçois comme un excès d’ego. Non pas par condescendance. Mais par lucidité. Car le narcissisme, quand il est blessé, devient parfois violent. Il attaque pour ne pas avoir à répondre. Il exclut pour ne pas avoir à douter. Mais que Delphine se rassure : ce n’est pas elle que l’on attaque. C’est ce miroir dans lequel elle regarde ses idées sans accepter qu’il puisse y avoir d’autres reflets.

Et à tous ceux qui se croient investis du monopole de la parole juive, je le dis : vous ne nous représentez pas. Le Grand Rabbin de France n’est pas notre président élu. Le Crif n’est pas notre Knesset. Et la parole rabbinique, aussi brillante soit-elle, ne dispense jamais du devoir d’écouter.  Ce n’est pas votre avis qui nous dérange, Delphine. Ce n’est pas même que vous pensiez différemment. C’est quand vous cherchez à interdire toute parole étrangère à la vôtre, quand vous instrumentalisez les réseaux sociaux pour faire taire, disqualifier, exclure — et masquer, au fond, que c’est vous qui touchez le fond.

Sarah Cattan, elle, écoute. Depuis des années, elle écrit, et depuis toujours, en sa qualité de Directrice du Titre, ouvre ses pages à ceux qui, parfois, la contredisent. Elle publie des articles qu’elle ne signe pas, mais qu’elle assume. Elle maintient, contre vents et hashtags, un espace de pluralité. Un journal juif, oui, mais pas un journal de cour. Et pour cela, elle mérite non pas des insultes, mais des remerciements.

La pluralité n’est pas une option dans le judaïsme. Elle en est l’oxygène. Et sans cet oxygène, nous mourrons étouffés dans nos propres certitudes.

Alors, à ceux qui veulent nous imposer un judaïsme unique, un Israël honteux, un débat sans adversaire : bonne chance. Mais sans nous.

Quand on se sert des réseaux sociaux, pourquoi pas.

Mais pas pour y défendre des idées, des arguments, une sensibilité. Non.

Quand on s’en sert pour cracher son venin, pour faire pression, pour tenter de faire taire une voix dissidente — alors on ne pense plus, on punit.

On ne dialogue plus, on dénonce.

Et on ne débat plus, on dégrade.

On se comporte comme une petite police de la pensée, déguisée en armée du bien.

Les réseaux ne sont alors plus sociaux, mais soupçonneux, toxiques, tribunaux sans juge ni défense.

Un monde où l’on ne cherche pas la vérité, mais le silence de l’autre.

Et si toute critique vous pousse à vous réfugier derrière vos réseaux pour distiller votre fiel, alors autant fonder votre propre tribune, interdite aux pensées divergentes. Mais ne l’appelez plus un journal : appelez-la fan club. Et encore, un fan club où l’on ne tolère que les miroir. « Ils prétendent incarner l’intelligence, la morale, le dialogue — mais dès qu’un avis les dérange, ils abandonnent la pensée pour la meute, le débat pour l’intimidation, et la grandeur qu’ils revendiquent pour la petitesse de leurs règlements de comptes en ligne

Alors Delphine, si vraiment tu veux défendre tes convictions — avec Joann, avec Haïm, avec qui tu veux, prends la parole. Écris, réponds, débats. Mais ne te cache pas derrière tes réseaux privés et tes blocages sélectifs pour distiller de la haine, faire pression, ou proférer des menaces à huis clos. Ce n’est pas à la hauteur du judaïsme que tu revendiques.

Je suis certain que Sarah Cattan serait la première à t’ouvrir ses colonnes, comme elle l’a fait pour d’autres, même très éloignés de ses propres idées. Elle, au moins, ne craint pas le débat, sans doute est-ce pour cela que TJ existe depuis 1945? 

Mais il faut croire qu’à vos yeux, mieux vaut être aimé que contredit. Mieux vaut plaire que confronter. Et c’est peut-être là que le dialogue est mort : quand être adoré devient plus important qu’être honnête.

Je ne signe pas de mon nom, pour protéger les miens. Mais jamais je n’aurais imaginé devoir me protéger non pas de l’extérieur, mais de ma propre famille, de mon propre peuple, capable aujourd’hui de se livrer à des chasses aux sorcières numériques, avec la même rage que ceux que nous dénoncions ensemble, autrefois. 

J’ai honte pour vous.

L’Étoile de David

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