Marxisme, extrême gauche et islamisme : une convergence historique autour de la disparition d’Israël

Lahcen Hammouch 

Depuis les années 1960, une trame idéologique et militante relie deux courants que tout semblait opposer : le marxisme et l’islam politique, en particulier celui inspiré par les Frères musulmans. Le premier, issu d’une matrice matérialiste, internationaliste et séculière, visait à transformer les sociétés par la lutte des classes et la révolution sociale. Le second, profondément religieux et normatif, cherchait à refonder l’ordre politique sur la charia et l’unité islamique. Mais malgré ces divergences doctrinales, ces deux mondes se sont souvent retrouvés côte à côte, dans les rues, sur les campus et jusque dans les parlements, unis par un ennemi commun : l’État d’Israël et, plus largement, l’Occident jugé impérialiste.

En Palestine, ce paradoxe est particulièrement manifeste. Dès 1967, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), dirigé par Georges Habache, s’est imposé comme une organisation marxiste-léniniste, appuyée par l’URSS et certains pays du bloc socialiste. Son objectif affiché n’était pas la coexistence avec Israël mais la construction d’un État démocratique et laïque sur l’ensemble de la Palestine, ce qui revenait de fait à effacer Israël de la carte. Dans le sillage du FPLP, le Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP) a porté la même vision, enracinant dans la jeunesse étudiante et militante une idéologie où la libération nationale se confondait avec la lutte contre le sionisme et le capitalisme.

De son côté, l’islam politique palestinien, longtemps cantonné aux marges par rapport à l’OLP dominée par la gauche, s’est affirmé avec la création du Hamas en 1987. Héritier direct des Frères musulmans, le mouvement a inscrit dans sa charte de 1988 une conception religieuse et radicale du conflit, affirmant que la Palestine est une terre islamique à libérer et rejetant toute reconnaissance de l’État hébreu. Le Hamas a mobilisé un discours différent du marxisme, mais avec un objectif convergent : la disparition d’Israël en tant qu’entité politique.

Dans les universités palestiniennes, cette convergence a pris des formes contrastées. Les blocs étudiants marxistes et islamistes ont souvent été en compétition, notamment à Birzeit ou à Al-Najah, mais ils ont aussi su unir leurs forces ponctuellement. En 1994, après les accords d’Oslo, une coalition « Jerusalem First » a rassemblé Hamas, Jihad islamique et certaines factions communistes dans un front commun contre le processus de paix. De même, les grèves de prisonniers ou les mobilisations anti-occupation ont vu se côtoyer drapeaux rouges et bannières vertes. Dans les campus, ces rapprochements n’effaçaient pas les divergences idéologiques profondes, mais montraient qu’une harmonie tactique était possible dès lors que l’objectif immédiat était partagé : bloquer toute normalisation et maintenir vivante l’idée d’une Palestine sans Israël.

En Europe, la même logique s’est retrouvée dans les mobilisations étudiantes et militantes. Dans les années 1970-1980, de nombreux étudiants palestiniens formés en URSS, en Tchécoslovaquie ou en RDA ont ramené avec eux une culture politique marxiste et révolutionnaire. En Europe occidentale, ils ont trouvé des relais au sein de la gauche radicale, notamment en France, en Belgique ou en Italie, où des comités pro-palestiniens liaient la lutte contre le sionisme à la critique du capitalisme mondial. Cette proximité s’est accentuée dans les années 2000, avec l’émergence des grandes coalitions anti-guerre. Au Royaume-Uni, par exemple, la coalition « Stop the War » et le parti Respect ont uni trotskistes du Socialist Workers Party et militants musulmans proches de la Muslim Association of Britain, organisation décrite comme largement dominée par les Frères musulmans. L’axe central de cette alliance était clair : opposition à l’impérialisme américain, rejet de la guerre en Irak et solidarité avec la cause palestinienne. Là encore, les divergences doctrinales étaient gommées par la priorité stratégique : dénoncer Israël et ses alliés occidentaux.

Au Maghreb, les mêmes dynamiques se sont observées, bien que de manière différenciée selon les pays. En Tunisie, le syndicalisme étudiant a longtemps été marqué par l’opposition entre l’UGET (à dominante de gauche) et l’UGTE (proche d’Ennahda), mais après la révolution de 2011, Ennahda a gouverné en coalition avec Ettakatol et le Congrès pour la République, deux partis séculiers de centre-gauche. C’était une alliance paradoxale mais révélatrice : islamistes et progressistes pouvaient se retrouver dans une même majorité, portés par un même rejet de l’ancien régime et par une convergence sur la question palestinienne. Au Maroc, le Mouvement du 20 février, né dans le contexte du « printemps arabe », a vu défiler côte à côte des militants de gauche radicale et les islamistes d’al-Adl wal-Ihsane, la plus grande organisation frériste du pays. Ensemble, ils exigeaient une monarchie parlementaire, la fin de la corruption et la justice sociale, mais aussi l’affirmation d’une solidarité inconditionnelle avec la Palestine. En Algérie en revanche, l’expérience a été inverse : dans les années 1990, la montée du FIS et la guerre civile ont montré que gauche et islamistes pouvaient devenir des ennemis irréconciliables, incapables de coopérer dans un contexte de polarisation extrême.

Si l’on regarde l’ensemble de ces expériences, une constante se dessine. À chaque fois que le cadre le permettait, l’extrême gauche et l’islam politique ont su coopérer, non pas parce qu’ils partageaient une vision du monde, mais parce qu’ils avaient un objectif immédiat commun : combattre Israël et, plus largement, s’opposer à l’Occident jugé dominateur. Dans les campus palestiniens, dans les rues de Londres ou de Casablanca, dans les coalitions tunisiennes ou dans certains comités en Europe, le marxisme et le frérisme ont montré leur capacité à fonctionner comme deux forces parallèles, différentes dans leur langage mais complémentaires dans leurs pratiques.

Cette convergence ne doit pas masquer les contradictions profondes. Les divergences sur la place de la religion, la démocratie, les droits des femmes ou la liberté académique sont réelles et souvent sources de ruptures brutales. Mais l’histoire montre qu’à chaque fois que la question palestinienne ou l’hostilité à Israël revenait au centre, ces désaccords pouvaient être mis de côté. En ce sens, le marxisme et l’islamisme ont incarné deux faces d’un même front idéologique, dont la cible constante a été l’existence de l’État d’Israël.

Aujourd’hui encore, cette alliance paradoxale ressurgit dans certaines mobilisations en Europe, où militants de gauche radicale et organisations proches des Frères musulmans défilent ensemble sous les mêmes slogans. L’idéologie a changé, le contexte a évolué, mais la ligne de fond reste inchangée : l’extrême gauche marxiste et l’islam politique se rejoignent sur un horizon commun, celui d’un monde sans Israël.

© Lahcen Hammouch 

Lobbyiste au Parlement Européen Président du Forum de la Société Civile Africaine pour la Démocratie, Lahcen Hammouch  est Directeur et Journaliste à Almouwatin Bxl-Média, Correspondant à Times of Israel et à European Times 

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6 Comments

  1. En réalité, c’est entre Nazisme et Islamisme/Palestinisme qu’il existe une convergence historique et une similitude idéologique. Cette analyse biaisée à de nombreux égards ne permet pas de comprendre ce à quoi l’on assiste : le drapeau palestinien est la nouvelle Croix gammée et l’on assiste au retour du Nazisme _ sous une nouvelle forme : islamisme, palestinisme et indigénisme.

    J’ai été l’un des premiers et je reste un des rares à l’avoir compris.

  2. Cet article brosse un tableau exhaustif précis de l’alliance du marxisme et de l’Islam politique, depuis les années 60, mais là où il commet une erreur, à mon avis, c’est de croire que cette alliance ne repose que sur deux ennemis communs, Israël et l’Occident laïque, comme si cette alliance n’était que conjoncturelle . Or, elle est beaucoup plus que conjoncturelle, elle est idéologique ; je m’explique: L’Islam, dès sa naissance, exprime et défend un matérialisme déiste tout comme le marxisme, lui aussi dès sa naissance, exprime et défend un matérialisme, même si celui-ci n’est pas déiste; en effet, dans l’Islam Dieu est avant tout présent dans la matière, c’est-à-dire dans des corps vivants sériés selon leur sexe, leur âge et leurs conditions matérielles, et présent jusque dans les manifestations physiques des atomes et des étoiles ; ce qui implique que la morale islamique exprime surtout le devoir sacré de construire une société du respect religieux des genres matériels et biologiques des êtres et des choses matériels ; c’est pourquoi dans l’Islam, la justice s’assimile à un respect religieux des différences naturelles entre les humains (différences de sexe, d’âge, d’intelligence, de pouvoir etc.); à ce titre, l’Islam est un matérialisme. Or le marxisme, lui aussi, définit la société idéale sous la forme du bien-être matériel, obtenu une fois que la lutte des classes aura abouti à la disparition de l « exploitation de l’homme par l’homme », cette violence jugée contre-nature par les idéologues du marxisme. C’est que le matérialisme marxiste, comme le matérialisme islamique, est un naturalisme, dans la mesure où il ne vise que la reconnaissance de la légitimation de la partie naturelle des humains : leur bien-être matériel. Autrement dit et pour résumer, le marxisme et l’Islam politique ont pour idéologie commune de faire vivre les humains selon leur réalité naturelle, ce qui entre en opposition avec le projet judéo-chrétien de faire advenir sur terre un paradis surnaturel, où c’est l’esprit qui commande à la nature et au naturel, et non l’inverse .Il y a donc du marxisme, avant la lettre, dans l’Islam, et il y de l’Islam implicite dans le marxisme .

    • Vos raccourcis sont stupéfiants. C’est avec le Nazisme que l’islamisme, le palestinisme et le décolonialisme ont une convergence historique et une similitude idéologique. Mohammed Amin al-Husseini était allié de Hitler, pas des rouges. Cela dit, et c’est ce qui explique ce confusion nième généralisé, les Nouveaux Nazis se sont presque tous autopraclamés « de gauche », « marxistes », « antiracistes » ou « progressistes ». Ex en France : la FI et l’ensemble du NFP. Mais il faut dénoncer ces mensonges au lieu de tomber dans le panneau et de contribuer soi-même à la diffusion de ce qu’on veut combattre.

    • Vos raccourcis sont stupéfiants. C’est avec le Nazisme que l’islamisme, le palestinisme et le décolonialisme ont une convergence historique et une similitude idéologique. Mohammed Amin al-Husseini était allié de Hitler, pas des rouges. Cela dit, et c’est ce qui explique ce confusionnisme généralisé, les Nouveaux Nazis se sont presque tous autopraclamés « de gauche », « marxistes », « antiracistes » ou « progressistes ». Ex en France : la FI et l’ensemble du NFP. Mais il faut dénoncer ces mensonges au lieu de tomber dans le panneau et de contribuer soi-même à la diffusion de ce qu’on veut combattre.

  3. Serge Klarsfeld lui-même l’a dit : l’extrême-droite c’est la FI. Il aurait dû ajouter la Macronie. En 2002, j’ai participé aux manifestations contre Le Pen. Et, cela m’avait marquée, je m’étais rendue compte qu’il y avait au moins autant de nazillons racistes et antisémites chez les manifestants que chez le FN de JMLP. Mais j’étais encore loin d’imaginer que le pire était devant nous.

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