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Jamais dans lâhistoire de la guerre un pays nâaura Ă©tĂ© confrontĂ© Ă l’impasse oĂč se trouve IsraĂ«l depuis deux ans . Lâotage, autrefois monnaie dâĂ©change secondaire, est devenu aujourdâhui le cĆur mĂȘme dâune stratĂ©gie militaire. Câest une situation inĂ©dite, sans Ă©quivalent dans les manuels dâhistoire: aucune armĂ©e, Ă aucune Ă©poque, nâa jamais Ă©tĂ© confrontĂ©e Ă un tel degrĂ© de vulnĂ©rabilitĂ© morale face Ă lâotage.
Oui, les otages existent depuis toujours. Dans lâAntiquitĂ©, on retenait les enfants des rois vaincus pour garantir des traitĂ©s. Au Moyen-Ăge, on emmenait des notables, parfois les fils de seigneurs, comme gages. Leur vie tenait Ă la loyautĂ© des adversaires, et sâil y avait trahison, ils Ă©taient tuĂ©s. Mais jamais une armĂ©e nâa suspendu une guerre entiĂšre au sort dâotages. Jamais la libĂ©ration de quelques captifs nâa pesĂ© plus lourd que la survie dâune armĂ©e ou dâun royaume.
Ă SphactĂ©rie, en 425 av. J-C, des centaines de Spartiates tombĂšrent aux mains dâAthĂšnes. Sparte ne plia pas, la guerre ne sâinterrompit pas pour eux. Partout, lâhistoire enseigne que le sort des captifs nâa jamais dictĂ© la stratĂ©gie dâun peuple.
Câest ce qui rend notre situation inĂ©dite. Comme l’Ă©crit Marco Koskas dans son texte Ă©clairant  » Impasse existentielle  » publiĂ© ce 21 aout, nous sommes face à « un nouveau paradigme » : le Hamas a transformĂ© lâotage en arme stratĂ©gique centrale. Et IsraĂ«l, parce quâil valorise la vie au-dessus de tout, sâest laissĂ© enfermer dans ce piĂšge.
Depuis le 7 octobre, nous poursuivons deux objectifs : dĂ©truire le Hamas et ramener les otages. Or, trĂšs vite, ces deux objectifs sont devenus contradictoires. Sun Tzu lâavait Ă©crit il y a vingt-cinq siĂšcles dans son fameux traitĂ©  » L’Art de la guerre » : « Si les ordres sont contradictoires et incertains, les officiers sont perplexes. » VoilĂ exactement ce que nous vivons : une armĂ©e empĂȘchĂ©e partiellement dâagir parce quâon lui demande de poursuivre deux buts impossibles Ă concilier.
Sun Tzu rappelait aussi que lâune des fautes les plus graves pour une armĂ©e est « la sujĂ©tion du gĂ©nĂ©ral Ă des ordres civils inappropriĂ©s. » IsraĂ«l vit cette situation Ă la lettre : le gouvernement est paralysĂ©e par la pression des familles des otages, par la gauche politique et par les manifestants qui rĂ©clament sans relĂąche « un accord ». Une exigence comprĂ©hensible dâun point de vue humain, mais qui contredit directement lâobjectif militaire de vaincre le Hamas et qui, en rĂ©alitĂ©, sert sa stratĂ©gie. Car chaque marche, chaque slogan qui fait de lâaccord une prioritĂ© absolue, renforce le piĂšge que le Hamas nous a tendu.
Le Hamas a compris que les otages le protĂ©geaient mieux que nâimporte quelle armĂ©e. En prolongeant simplement leur dĂ©tention, il prolonge la guerre, nous empĂȘche dâachever la mission, et gagne du temps et de lâinfluence.
Peut-ĂȘtre avons-nous commis une erreur stratĂ©gique dĂšs le dĂ©part. Peut-ĂȘtre fallait-il frapper trĂšs fort immĂ©diatement, trancher le nĆud gordien, mĂȘme au prix terrible des otages. Câest une idĂ©e insupportable, et je ne lâĂ©cris pas Ă la lĂ©gĂšre. Qui peut prendre la responsabilitĂ© de dire quâon aurait dĂ» sacrifier ces vies-lĂ ? Qui peut oser regarder en face les familles et dire : nous nâavons pas attendu, nous nâavons pas nĂ©gociĂ© ?
Et pourtant, lâhistoire militaire enseigne que jamais une guerre ne sâest gagnĂ©e en privilĂ©giant quelques vies sur lâensemble dâun peuple. Et puis et surtout, rien ne dit quâune attaque immĂ©diate aurait condamnĂ© tous les otages : peut-ĂȘtre, au contraire, quâune frappe dĂ©cisive aurait forcĂ© le Hamas Ă cĂ©der, par peur, et que certains dâentre eux auraient survĂ©cu.
Moralement, IsraĂ«l a toujours fonctionnĂ© sur le principe inverse : aucun soldat nâest laissĂ© derriĂšre. Câest une valeur identitaire, pas seulement militaire. Câest ce qui fait notre cohĂ©sion, notre solidaritĂ©, notre humanitĂ©. Mais aujourdâhui, cette valeur sacrĂ©e est retournĂ©e contre nous. Elle est devenue une arme que le Hamas manie avec cynisme. DĂšs lors, la question s’impose : Est-ce moral, en dĂ©finitive, de sacrifier dâautres vies, celles de centaines de jeunes soldats en pleine santĂ© pour sauver quelques survivants dĂ©jĂ moins vivants, dĂ©truits psychologiquement et physiquement ? La question est taboue et je m’en excuse. Et pourtant, câest le cĆur de notre impasse.
Ă ce dilemme sâajoute lâillusion de « lâaccord ». On nous rĂ©pĂšte quâil faut un accord, et la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne sây accroche comme Ă un radeau. Mais un accord ne dĂ©pend pas de nous. Il dĂ©pend du Hamas, qui nâa aucune intention sincĂšre dâen conclure un. RĂ©clamer un accord, câest exprimer une impuissance : nous ne pouvons pas abandonner les otages, alors nous disons quâil faut nĂ©gocier. Mais câest une nĂ©gociation sans partenaire. Et mĂȘme si un accord devait ĂȘtre signĂ©, qui peut croire quâil garantirait la sĂ©curitĂ© dâIsraĂ«l ?
Rome, aprĂšs la dĂ©faite de Cannes en 216 av. J.-C., avait refusĂ© de racheter ses milliers de prisonniers pour ne pas montrer de faiblesse. Elle savait quâun accord de ce type ne ferait que renforcer son ennemi. IsraĂ«l, au contraire, se voit sommĂ© de poursuivre une chimĂšre : supplier un accord qui nâexiste pas, et qui, mĂȘme sâil venait, ne protĂ©gerait pas durablement le pays.
Nous voilĂ donc pris dans une guerre oĂč nous ne sommes plus des adversaires mais des impotents. Lâennemi ne cherche pas Ă gagner sur le champ de bataille : il gagne en nous empĂȘchant de finir la guerre. Et plus la guerre sâĂ©tire, plus IsraĂ«l paie un prix lourd en vies humaines, mais aussi en lĂ©gitimitĂ© internationale. Plus la guerre dure, plus le monde oublie le 7 octobre, plus il nous accuse, plus les Juifs sont attaquĂ©s dans les rues dâEurope.
NapolĂ©on lâavait formulĂ© dâune maniĂšre brutale mais juste. « La guerre disait-il, doit ĂȘtre courte et vive, câest le seul moyen de la rendre humaine. »
Or nous subissons exactement lâinverse : une guerre longue, interminable, qui use nos soldats, isole IsraĂ«l, et surtout qui nous dĂ©shumanise. Car Ă mesure que le temps passe, notre droit Ă nous dĂ©fendre devient moins Ă©vident, et notre combat est prĂ©sentĂ© comme inhumain, pervers et diabolique.
Machiavel lâavait bien compris : « Le Prince doit parfois prendre des dĂ©cisions cruelles pour protĂ©ger lâensemble du peuple. » Et d’ajouter : « Oser la cruautĂ© immĂ©diate pour sauver lâavenir. » Câest peut-ĂȘtre cela que nous nâavons pas su faire : trancher vite, au lieu de nous enliser dans une guerre indĂ©finie.
VoilĂ lâimpasse : une possible erreur stratĂ©gique dĂšs le dĂ©part, une valeur identitaire sacrĂ©e retournĂ©e contre nous, lâillusion dâun accord qui nâexiste pas et une guerre qui se prolonge indĂ©finiment pour la plus grande victoire du Hamas.
Câest terrible Ă Ă©crire. Mais il faut le dire. Parce quâau bout du compte, seul le gouvernement, seul le leadership politique, pourra trancher ce nĆud gordien. Et câest une dĂ©cision que personne nâose assumer, parce quâelle engage non seulement des vies, mais lâĂąme morale dâIsraĂ«l.
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DiplĂŽmĂ©e de littĂ©rature française, Yael Bensimhoun s’est Ă©tablie en IsraĂ«l il y a prĂšs de 20 ans . C’est lĂ qu’elle conjugue l’amour de sa langue d’origine et celui du pays auquel elle a toujours senti appartenir. Elle collabore depuis plusieurs annĂ©es Ă des journaux et magazines franco-israĂ©liens.

Pas dâaccord!!
IsraĂ«l nâest pas en danger vital physiquement. IsraĂ«l est la grande puissance militaire du moyen orient.
Par contre IsraĂ«l est en danger de perdre son Ăąme et sa raison de vivre: assurer la sauvegarde des ses citoyens. Pourquoi sommes nous lĂ si ce nâest pour protĂ©ger nos enfants nos parents nos conjoints
La victoire nâest pas lâĂ©crasement de nos ennemis câest lâexistence de la nation sa vitalitĂ© son enthousiasme et sa capacitĂ© Ă surmonter les Ă©preuves
Ă lâencontre des arabes qui de victoire en victoire Ă la Phyrrus sâenfoncent dans la misĂšre et la mĂ©diocritĂ©
Petite remarque: il yâa bien plus de drapeaux palestiniens en Europe et dans le monde quâa Hebron ou Ramallah . ŚŚ ŚŚšŚŚ
La question morale et militaire face à des otages remonte, en Israël, à bien plus longtemps que le 7 octobre 2023.
Il suffit de consulter sur Wikipedia « Directive Hannibal » (en Français, Anglais et HĂ©breu) pour se rendre compte que la prise dâotages israĂ©liens est une technique de longue date des organisations dites « palestiniennes ». Un cas cĂ©lĂšbre Ă©tant celui de Gilead Shalit dont la libĂ©ration, aprĂšs plusieurs annĂ©es en captivitĂ©, a nĂ©cessitĂ© la libĂ©ration par IsraĂ«l dâau moins 1000 prisonniers palestiniens dont le cĂ©lĂšbre Yahya Sinwar, Ă lâorigine du 7 octobre et, Ă©videmment, la prise de 251 otages israĂ©liens.
DâoĂč la question quâIsraĂ«l se pose : faut-il tout faire pour libĂ©rer des otages, quitte Ă payer la rançon demandĂ©e par les terroristes ? Sachant que ceci transformerait la prise dâotage en business lucratif, garantirait une police dâassurance aux terroristes et, de ces faits, encouragerait la prochaine prise dâotages ?
DâoĂč lâĂ©mergence du « principe Hannibal », jamais reconnu officiellement, selon lequel il faut liquider les preneurs dâotages dĂšs que possible par tous les moyens, quitte Ă risquer la mort des otages dont ils se servent comme bouclier humain.
Le comportement dâIsraĂ«l Ă Gaza depuis le 7 octobre 2023 sâexplique par lâapplication du principe Hannibal : la recherche dâune libĂ©ration dâun nombre maximal dâotages par la nĂ©gociation ; sachant que le Hamas ne laissera jamais partir TOUS les otages de peur de perdre sa « police dâassurances » ; et Ă un moment donnĂ© il yâaurait question de liquider les preneurs dâotages par tous les moyens en risquant la vie des otages.
Ce moment, nous y sommes. Câest tout. Aucun responsable israĂ©lien ne le dira ouvertement, mais la dĂ©cision est sans doute prise : la vie des otages ne comptera plus face Ă la nĂ©cessitĂ© de liquider ce qui reste du Hamas.
Quelle lucidité. Quel courage. Merci !
Vous avez raison, en tout point de votre analyse. Personne n’a jusqu’Ă prĂ©sent semblĂ© comprendre la stratĂ©gie du Hamas : l’atteinte Ă l’Ăąme morale d’IsraĂ«l, obtenue en nourrissant la dĂ©fense de la valeur d’une identitĂ© sacrĂ©e. Atroce paradoxe. Dans tout autre pays, un gouvernement aurait Ă©tĂ© compris dans son Ă©ventuelle volontĂ© de ne pas cĂ©der Ă un chantage. Impossible en IsraĂ«l, par son histoire, par son essence.
Merci Yaël.
Je suis complĂštement d’accord avec vous. De plus les otages souffrent terriblement et je pense Ă eux en me demandant si ça n’aurait pas Ă©tĂ© mieux pour eux si le gouvernement n’avait pas cĂ©dĂ© au chantage car cela aurait abrĂ©gĂ© leurs souffrances. MĂȘme pour ceux qui ont Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s, quelle vie auront-ils de toutes façons ? Quel avenir, sinon de souvenirs atroces et de traumatismes indĂ©lĂ©biles ?
Je partage entiĂšrement cette analyse courageuse de YaĂ«l Bensimoun. Faut-il sacrifier la vie de jeunes soldats israĂ©liens pour sauver quelques otages survivants ? Le but de cette guerre est d’Ă©radiquer le Hamas et de dĂ©placer les quatre cinquiĂšmes de cette population fanatique vers d’autres territoires.