
Perdican Dégoblou ou l’apologie du néant cultivé
Dans le doux royaume d’Hexagognie, où les bibliothèques sont pleines mais les têtes creuses, vivait un étrange personnage au front étroit et à l’opinion large : Perdican Dégoblou.
Le prénom venait d’un père vaguement lettré, qui croyait que Musset était un joueur de football. Le nom, lui, évoquait une vieille histoire familiale de digestion ratée dans une assemblée municipale.
Perdican était chargé de mission à la Réflexion Inclusive, ce qui dans son parti signifiait qu’il n’avait aucune fonction identifiable, mais un badge et un accès prioritaire à France Inter.
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📚 Une inculture légendaire
On le reconnaissait à sa capacité unique à citer des auteurs qu’il n’avait jamais lus — et dont il prononçait souvent mal le nom.
— « Comme disait Kamtchou… Kamtoucha… enfin l’autre, là, le poète nigérien. »
— « Spinoza, vous savez, c’est celui qui a théorisé la lutte des classes au XVIIe siècle. »
— « Kafka, c’est pas un joueur de tennis tchèque ? »
Mais surtout, il avait réussi à faire croire à un certain public qu’il pensait, alors qu’il tweetait en boucle.
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🎙️ Un tribun du vague
Perdican Dégoblou excellait dans une chose : le flou autoritaire.
Il pouvait parler trois heures sans dire un mot clair. Il utilisait des expressions telles que :
« épistémologie critique de la souffrance périphérique »
ou
« inscription vibratoire du silence structurel dans l’espace sémiotique de l’effacement ».
Personne ne comprenait.
Tout le monde applaudissait.
C’était devenu une forme d’art.
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🎓 Le sommet de sa carrière : une conférence
Invité à la Journée de la Réflexion Transcoloniale Apaisée, Perdican Dégoblou monta sur scène, vêtu de lin froissé, tenant dans la main un exemplaire de Wikipédia imprimé.
Son discours s’intitulait :
« Contre l’imposture de la lucidité. Pour une pensée confuse, plurielle et safe. »
Il y dénonça :
• Les Juifs, pour avoir trop bien gardé la mémoire ;
• Les femmes afghanes, pour faire de l’ombre aux luttes intersectionnelles hexagonales ;
• Les professeurs, pour exiger des copies compréhensibles.
Mais ce qui le rendit célèbre fut cette phrase, prononcée avec ferveur :
« Je ne suis pas cultivé, mais je suis sensible. Et c’est cela, la vérité. »
Le public ovationna.
France Culture lui proposa une chronique hebdomadaire.
Libération lui consacra une double page : “Perdican ou la puissance du flou”.
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🪦 Fin de conte
Depuis, Perdican Dégoblou est devenu un mythe.
Certains disent qu’il vit dans une résidence d’artistes autogérée à Montreuil, où il enseigne le non-savoir appliqué.
D’autres l’ont vu parler à un ficus en l’accusant de colonialisme végétal.
On raconte même qu’il prépare un livre intitulé :
« L’ignorance comme projet politique ».
Il y a déjà une option
© Paul Germon
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— Sarah Cattan (@SarahCattan) August 22, 2025