
Introduction — Dire l’inconditionnel, expliquer le réel
Affirmer que l’on défend Israël inconditionnellement choque l’oreille démocratique, habituée à subordonner tout soutien à l’épreuve de la critique. Je l’assume et je l’explique. Mon inconditionnalité ne signifie ni aveuglement ni absolution. Elle procède d’une hiérarchie des urgences et d’un constat sur le réel : Israël affronte des ennemis dont le projet nie l’horizon qui est le mien — une vie démocratique où chacun peut s’exprimer librement et où l’on accepte les différences, qu’elles soient générationnelles, sexuelles, religieuses ou idéologiques. Dans une telle configuration, la condition posée au soutien devient une arme offerte à ceux qui veulent sa disparition.
Le scandale de l’inconditionnel
Nos régimes se sont construits contre l’adhésion aveugle. Ils valorisent la réserve critique. Mais il existe des circonstances où subordonner le soutien revient à nier le droit d’exister. Exiger d’Israël qu’il soit irréprochable pour le défendre, c’est déjà se placer dans la logique de ses ennemis : faire de chaque défaut la preuve d’une mauvaise essence. Mon « oui » sans condition répond à ce chantage moral : je pose d’abord la légitimité d’exister, ensuite la critique — et non l’inverse.
Ni réflexe tribal, ni identitarisme
Je ne défends pas Israël par réflexe tribal. Il ne manque pas de Juifs — en Israël comme dans la diaspora — pour attaquer, juger sévèrement, et parfois exiger de lui une perfection que nul État ne connaît. Ma position ne procède pas de l’appartenance mais d’un choix politique et moral : Israël doit être défendu parce qu’il incarne, aujourd’hui, la possibilité d’une société ouverte au cœur d’un espace travaillé par la tentation théologico-politique.
Les ennemis d’Israël : l’envers de la démocratie
Les ennemis d’Israël ne portent pas un simple différend territorial ; ils promeuvent un ordre social opposé aux valeurs de la modernité politique : hégémonie de la foi sur le droit, primat du collectif fusionnel sur la personne, réduction au silence des oppositions, persécution des différences. Défendre Israël, c’est défendre la pluralité réelle : la dispute publique, l’égalité des sexes, la liberté de conscience, la coexistence des générations et des styles de vie.
L’asymétrie décisive : Israël ne cherche à exterminer personne
Mon inconditionnalité repose sur un fait têtu : Israël est réellement menacé d’extermination et de disparition, tandis qu’il ne cherche à exterminer personne. On peut discuter de ses gouvernements et de ses opérations ; on ne peut nier que ses adversaires déclarent vouloir l’abolir. Cette asymétrie est la clé de lecture. Elle interdit l’équidistance morale et dissipe la confortable fiction d’un « conflit comme les autres ».
Voir le réel : vertus d’Israël, mensonges de ses ennemis
Je prétends voir le réel : à la fois les vertus d’Israël — pluralisme, élections, presse libre, conflictualité civique — et les mensonges de ses ennemis, qui maquillent un projet de conquête théologico-politique en rhétorique humanitaire. Le réel, ici, n’est pas ce qui flatte ; c’est ce qui oblige. Il m’oblige à reconnaître que les fautes de la démocratie ne sont pas de même nature que la volonté de la détruire.
L’imperfection n’ôte pas le droit d’exister
Je défends Israël malgré ses défauts et l’imperfection de ses actions — comme je me défends moi-même malgré mes manques. Nul homme, nul peuple, aucune démocratie n’est tenue à la perfection pour légitimer sa survie. Subordonner ce droit à l’exemplarité absolue, c’est introduire une condition impossible qui revient, en pratique, à dénier l’existence.
La défense de soi : une nécessité anthropologique
Je n’ai pas le choix : on ne renonce pas à la défense de soi quand la survie est engagée. Je sais — et je le sais de manière expérientielle — que je ne veux le mal de personne. C’est également vrai d’Israël en tant qu’État démocratique : son horizon n’est pas l’extermination, mais la sécurité de ses citoyens. La défense de soi n’est pas une apologie de la force ; c’est la condition de la liberté.
L’instrumentalisation de la critique
Je défends Israël inconditionnellement parce que je sais que toute critique, toute condition, est retournée par ses ennemis comme preuve de sa malfaisance. Dans la conjoncture présente, la critique conditionnelle — si légitime soit-elle dans un cadre pacifié — devient munitions dialectiques au service d’un récit de délégitimation. La priorité, dès lors, est de sanctuariser le droit d’exister ; la critique reviendra, mais après.
Le temps présent : une guerre de survie
Israël lutte pour sa survie. Ce n’est pas le moment de lui reprocher son imperfection comme si l’on disputait dans un séminaire. Il existe un ordre des temporalités : tant que l’ennemi vise l’anéantissement, la morale publique qui exigerait la perfection de la riposte devient une morale irresponsable. On ne demande pas à la victime de mériter son droit à vivre.
Les différences à protéger : génération, sexe, religion, idées
L’enjeu n’est pas abstrait. Il concerne la possibilité, pour des générations d’habiter un même espace sans se déchirer ; pour des identités sexuelles de se manifester sans peur ; pour des religions de coexister sans domination ; pour des idéologies de s’affronter sans s’abolir. Cet univers — le seul où je me reconnais — est précisément celui qu’attaque le projet anti-israélien dans ses versions militantes et armées.
Principe et conséquence : l’ordre juste des priorités
Le principe : l’existence d’Israël est légitime.
La conséquence : on le soutient sans condition, tant que perdure la volonté de l’abolir.
Ce n’est qu’ainsi que la critique, nécessaire à toute démocratie, retrouve sa place propre : non plus comme condition d’un droit à vivre — ce qui est indécent —, mais comme exigence interne d’amélioration, une fois le péril existentielconjuré.
Conclusion — L’inconditionnel, nom politique du réel
Mon inconditionnalité n’absout pas, elle priorise. Elle nomme ce que le réel impose : sauver d’abord ce qui permet la critique, puis critiquer ce qui peut être sauvé. Je ne défends pas Israël parce que je suis Juif ; je le défends malgré la sévérité — parfois implacable — de Juifs qui exigent de lui la perfection. Je le défends parce qu’il ne veut le mal de personne, qu’il n’entend exterminer personne, et qu’on proclame contre lui le projet de son extermination. Dans un tel monde, l’inconditionnel n’est pas un excès : c’est le minimum rationnel pour que la démocratie survive — en Israël, et avec elle, la possibilité d’une civilisation qui accepte les différences et fait place au désaccord sans le transformer en guerre sainte.
© Charles Rojzman