
John Macdougall / AFP
On dit que c’est pendant cette période de grâce qu’un dirigeant nouvellement élu prend ses marques et laisse ses traces. Jamais ministre avant de devenir Chancelier, quels sont ses accomplissements.
C’est avant tout à l’international que le Chancelier s’est fait remarquer. En juin il a rencontré le Président américain à Washington où il semble avoir été bien traité ( tout le monde ne peut pas en dire autant). Il a participé aux réunions de l’UE et de l’Otan. Il s’est fait remarquer par son langage parfois très peu diplomatique. Il est le seul à s’être exprimé on ne peut plus clairement après l’attaque d’Israël contre l’Iran : « Israël fait le sale boulot pour nous » pendant que d’autres chefs d’état européens ont eux, pris la peine de faire savoir qu’ils n’avaient en rien participé ou collaboré à l’intervention, a-t-il déclaré.
Sa décision le 8/08, la plus inattendue et la plus critiquée par Israël : la suspension temporaire des livraisons de certaines armes « susceptibles d’être utilisées dans la bande de Gaza » : cette décision est un tournant dans la politique étrangère de la république fédérale et un sérieux coup porté à la Raison d’état souvent mise en avant depuis des années, alors qu’elle était la marque exceptionnelle d’un soutien indéfectible à l’état hébreu. En clair c’est de fait la première sanction de l’Union Européenne contre Jérusalem. Son parti, la CDU, a été surpris par cette décision qu’il semble avoir pris seul. Pour le Chancelier, «l’amitié entre les deux pays doit pouvoir supporter un désaccord comme c’est le cas ». Plusieurs députés de son parti ont souligné que les importations allemandes d’équipements militaires israéliens telles que drones, système de défense anti aérienne, cyber sécurité, renseignement, représentent aussi une relative dépendance de l’Allemagne. Le député CDU R. Kieswetter déclare sur X ( tweeter) : « La crédibilité de notre raison d’état se mesure précisément à la coopération en matière de sécurité et à la promesse de protéger la communauté juive et l’Etat d’Israël».
Le partenaire SPD de la coalition soutient le Chancelier dans sa décision. Le Parti de gauche, Die Linke, apporte aussi son soutien et demande même des sanctions supplémentaires. Dans un récent sondage, 66% des personnes interrogées pensent que le Chancelier devrait AUGMENTER sa pression sur l’état juif.
Dans un autre sondage, 69% des personnes interrogées se disent insatisfaites de sa gestion sur la période. La pression de l’opinion allemande et celle d’autres dirigeants européens est telle que F. Merz a semblé décider seul dans l’urgence, tout en ajoutant une réserve temporaire à la mesure, qui ne semble donc pas définitive, alors que d’autres dirigeants réclament des sanctions plus radicales comme la suspension de l’accord entre l’UE et Israël, notamment la France et l’Espagne, plus récemment le Danemark. Berlin s’y oppose.
La pression doit être être extrême car Berlin est le deuxième fournisseur d’armements de Jérusalem, après les États-Unis. Donc son industrie qui souffre déjà en matière d’exportations se verrait privée de nouvelles recettes, alors que l’industrie automobile est en fort recul en Europe.
Place de l’Allemagne dans les exportations mondiales d’équipements militaires
Sur la période 2020-2024, l’Allemagne représente 5,6% des exportations et cinquième exportateur mondiale d’armes
Principales destinations :
Moyen-Orient : 37%, Europe 34%, Asie Océanie 21%, et plus spécialement Ukraine 19%, Egypte 19%, Israël 11%( source Sipri)
En 2024, les exportations ont atteint 13,33 milliards € dont 8,15 vers l’Ukraine.
Parmi les autres destinations, Singapour, Inde.
Comparons avec la France : en 2024 année record avec plus de 18 milliards de commandes, comparée 27 milliards en 2022 ( Source Zone militaire), dont près de dix milliards concentrés sur les ventes d’avions Rafale et de sous-marins Black Sword ( BFM) : la France est le deuxième exportateur mondial avec 9,6% derrière les États-Unis 43% et devant la Russie 7,8%. Elle a fourni 65 pays, Asie Océanie 35%, Moyen Orient 28%, Europe 15%. ( Source SIPRI)
Ce dernier chiffre témoigne de sa relativement faible présence en Europe bien que les ventes aient triplées par rapport aux années précédentes.
Les principaux clients sont :
Inde 28%, Qatar 9,7%, Ukraine, Croatie, Grèce. (Source le Monde).
On constate que ce sont les ventes de Rafale qui ont pesé le plus lourd dans les résultats exposés ( en 2025 Dassault doit en produire quatre par mois).
Dans l’ensemble de ces statistiques, il conviendra d’examiner le pourcentage et la nature des équipements fournis à des pays qu’on ne peut qualifier sans réserve de démocraties selon la définition « occidentale ». On pense par exemple à l’Egypte, au Qatar, à l’Inde. Il serait intéressant d’analyser à qui et surtout à quoi servent les armements fournis, on aurait très probablement quelques surprises.
Par extension, en Éthiopie, au Soudan, en Libye, on retrouverait forcément les mêmes grand exportateurs à des degrés divers, parmi les fournisseurs de ces pays. Bizarrement on ne questionne pas l’usage qui en est fait sur le terrain ?
Le Chancelier, dès sa prise de fonction, s’est largement projeté et investi à l’international au détriment des problèmes nationaux. Il veut donner à son pays une place reconnue dans le concert des nations ; il a déclaré à plusieurs reprises vouloir faire de l’Allemagne la première force militaire conventionnelle en Europe, ce qui vient en collision avec la France et la Grande Bretagne qui considèrent être les deux seules armées dignes de ce nom. Il a bénéficié d’une certaine popularité pour le rôle qu’il veut donner à l’Allemagne de première puissance économique européenne, qui a les moyens de ses ambitions, contrairement à la France et le Royaume Uni qui n’ont plus les moyens de leurs ambitions en raison de leur situation interne.
On constate une relative déconnexion avec les réalités internes de la République Fédérale, où l’AFD a dépassé les 20% au plan national.
Le Chancelier se débat en coulisses avec des réformes tièdes qui ne soulèvent pas l’enthousiasme, une coalition qui est loin d’être consensuelle, un électorat hésitant, son propre parti divisé sur certaines décisions, dont les gros sujets à venir que sont ceux liés à l’immigration, sujet complexe par excellence pour une Allemagne qui voit sa pyramide des âges s’effondrer. Elle a besoin d’au moins 400.000 immigrés par an, alors qu’un sur quatre immigrants repart.
Berlin renforce ses mesures aux frontières pour empêcher l’immigration clandestine et souhaite mettre en place une police d’immigration choisie que l’UE a infiniment de mal à mettre en œuvre, face à des dirigeants incapables de s’accorder.
L’industrie automobile est, elle, devant une mutation majeure face à l’arrivée des véhicules électriques notamment de Chine, qui se traduira par des pertes importantes d’emplois. À Berlin on travaille à convertir certaines usines en vue de la production de matériels militaires, destinés, à terme, à remplacer la chute de l’automobile conventionnelle. Il a obtenu la levée d’un frein financier, permettant au pays d’engager près de 500 milliards € dans l’industrie civile et militaire, à la hauteur des ambitions affichées.
Le portrait du dirigeant allemand est mitigé au terme de cette première période.
Grand soutien de l’Ukraine, le Chancelier observe attentivement les échanges entre la Maison Blanche et le Kremlin. Lundi il participera à la délégation de l’Union Européenne conduite par la Présidente de la Commission, U. Von der Leyen, ainsi que le Président français, le Premier Ministre anglais, le Secrétaire général de l’Otan. Il s’agit de la démonstration d’un front uni qui devra faire des propositions sur les garanties de sécurité que l’Europe – où Berlin est en première ligne – pourra et devra apporter si un processus de paix était engagé entre Ukraine et Russie. Cette réunion est précédée d’une réunion de 31 pays à Bruxelles pour préparer celle de lundi. Peut-être y aura-t-il une lueur de paix au fond du tunnel après près de trois ans d’affrontements meurtriers : des experts parlent de 7.000 victimes par jour, auxquels s’ajoutent les blessés, les mutilés.
Ainsi va le monde,
© Francis Moritz
Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion. Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine. Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps
