Tribune Juive

« Dov Zerah, Que peut-il se passer après septembre? Quelles conséquences redoutez-vous pour la communauté juive ? » (2)

Avec l’accord de Dov Zerah, nous reproduisons ci-après l’ITW qu’il a accordé au site « Atlantico » sous le titre « Cette autre solution pour un État palestinien que tout le monde feint d’ignorer »: Lien ci-joint https://atlantico.fr/article/decryptage/cette-a

Cette ITW constituant une étude approfondie sur le sujet de l’État de Palestine, Tribune juive a interrogé Dov Zerah à propos des conséquences de l’initiative française sur la communauté juive de France.


Tribune Juive : Les relations entre la France et Israël se sont détériorées depuis plus d’un an. Il y a maintenant en perspective le probable discours à l’Assemblée générale de l’ONU sur la reconnaissance d’un État de Palestine. Que peut-il se passer après septembre ?

Dov Zerah : Nous constatons que d’ores et déjà l’initiative française a favorisé la radicalisation du Hamas comme l’attestent les dernières déclarations du Hamas selon lesquelles la perspective de la reconnaissance d’un État de Palestine démontre le succès du pogrom du 7 octobre.

Parallèlement, le refus de tout accord même partiel de libération des otages dénote que le Hamas estime qu’il a suffisamment isolé Israël pour tout se permettre. Enfin, la publication de photos et vidéos d’otages très amaigris en présence de geôliers se nourrissant de l’aide humanitaire volée atteste de l’assurance du Hamas. Tout cela ne fait que renforcer le Hamas dans sa conviction de mener un combat victorieux, et entretient la guerre !

Très mal ressenties, les deux mesures discriminatoires d’exclusion des entreprises israéliennes d’Eurosatory et d’Euronaval avaient déjà donné lieu à des annonces d’éventuelles mesures israéliennes de rétorsion, comme la fermeture du Consulat général de France à Jérusalem. En charge des relations avec l’Autorité palestinienne ainsi que de la promotion et la diffusion du français à Jérusalem, en Cisjordanie et à Gaza, cette représentation de la France pourrait avoir une liberté d’actions plus contrôlée, voire remise en cause.

Ce Consulat supervise également la gestion des 4 domaines nationaux que la France possède en Israël dont « le tombeau des Rois de Judah ». En fait, cette nécropole datant du 2nd temple n’a recueilli aucun Roi de Judah, mais a, en revanche, la tombe d’Hélène d’Adiabène ; la propriété de la France est contestée par des autorités israéliennes et des associations. L’occasion pourrait être saisie par Jérusalem de prendre possession de ce site archéologique, d’autant qu’il est situé dans l’est de la ville sainte.

TJ : Quelles conséquences redoutez-vous pour la communauté juive ?

Au-delà des relations diplomatiques, la situation des Juifs en France va encore s’aggraverAccabler Israël sur le sujet de l’aide humanitaire en dédouanant le Hamas suscite tous les ressentiments possibles et imaginables contre les Juifs à l’image de tous les clichés antisémites qui ont traversé les siècles.

Depuis 25 ans, on tue des Juifs en France parce que Juifs. Après Toulouse, Ilan Halimi, Mireille Knoll, l’Hyper cacher, Sarah Halimi… les actes antisémites se multiplient et poussent les Juifs français à penser à quitter leur ville, voire leur pays !

Et il est peu probable que la situation s’améliore surtout si on se projette en mars prochain avec les prochaines élections municipales et les victoires probables de La France insoumise (LFI) dans de nombreuses villes.

TJ : Comment la communauté devrait-elle réagir ?

DZ : Pour ne pas être en décalage avec le ressenti des Juifs de France, deux dispositions peuvent être envisagées.

Le format du diner annuel du CRIF doit être revu. Au moins pour l’année prochaine, l’invité d’honneur ne doit pas être le Président ou le Premier ministre et les membres du gouvernement ne doivent être invités.

Parallèlement, la prière pour la République française prononcée chaque samedi dans les synagogues doit être amendée au moins dans son second paragraphe, « Que les rayons de ta lumière éclairent ceux qui président aux destinées de l’État et qui font régner dans notre pays l’ordre et la justice ». Il conviendrait d’ajouter « … et qui s’attachent à la protection des Juifs… »

TJ Ne craignez-vous de mettre la communauté juive en porte à faux avec la communauté nationale ?

DZ : C’est possible mais il y a des situations qui appellent une réaction comme le fit le grand rabbin Kaplan après les déclarations du général de Gaulle en 1968 « sur le peuple sûr de lui et dominateur ». Enfin, je rappelle un fait historique. À partir de 1871 et pendant plus de 20 ans les catholiques ont été en rupture avec la République à cause de la « question romaine ».

TJ : Qu’est-ce que la « question romaine » ?

DZ : La création de l’Unité italienne en 1861 et l’intégration de la ville sainte ont interpellé la communauté catholique française qui souhaitait la préservation du pouvoir papal. Cela a entrainé une distanciation avec l’État français ; accentuée avec l’instauration de la République, elle n’a pris fin qu’en 1890 avec le discours du Cardinal d’Alger, Charles Lavigerie. Sans rappeler la situation des protestants, l’histoire de France a ainsi connu des périodes de difficultés avec une communauté aussi importante que celle catholique. Dans ces conditions, rien ne justifie de stigmatiser les Juifs de France.

© Dov Zerah


Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), promotion Voltaire, Conseiller maître honoraire à la Cour des Comptes, Dov ZERAH a passé 13 ans au Trésor qu’il a quitté en 1993 comme sous-directeur.

De 1993 à 1999, il a été à trois reprises directeur de cabinet de ministre ou de commissaire européen. Président de l’entreprise publique DAGRIS, holding de sociétés cotonnières en Afrique de 1999 à 2002.

De 2002 à 2007, il a été directeur des Monnaies et médailles.

A été directeur général de l’Agence française de développement (AFD) de 2010 0 2013.

Auteur de sept ouvrages et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à Sciences Po Paris, à l’ENA, ainsi qu’à HEC.


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