Tribune Juive

Barbarie-spectacle. Par Julien Brünn

Donc, les festivaliers du festival International du Film de Toronto pourront finalement voir, le 20 août prochain, le film sur le 7 octobre 2023, « The road between us : The ultimate rescue », un moment déprogrammé puis reprogrammé. Fort bien. Cependant, l’incident n’est pas clos. Il ne peut certainement pas l’être par le communiqué commun entre le directeur du festival et le réalisateur du film pour annoncer cette reprogrammation, aussi obscur qu’une sourate du Coran ou qu’une citation du Talmud : « Dans ce cas, dit le communiqué, la communication du Festival à propos des règles à respecter n’a pas été claire sur les préoccupations et les garde-fou nécessaires, et nous nous en excusons ».  L’incident n’est pas clos car il ouvre un abîme de réflexion.

Nous ne saurons rien de plus, dans ce communiqué, sur ces fameuses « préoccupations » et « garde-fou » (« concerns and roadblocks »). Il semble ­- « il semble », car ça s’interprète comme un texte sacré – qu’ils concernaient les droits de diffusion de certaines séquences filmées par les caméras go-pro des auteurs du pogrom. Les mauvaises langues ont même prétendu que la direction du festival aurait voulu que soit demandé à celle du Hamas son autorisation de les diffuser…  

Si c’est le cas, c’était une préoccupation bien inutile. Le directeur du festival aurait dû savoir que si les miliciens du Hamas avaient des go-pro collées au front, ça n’était pas pour des prunes. C’était pour que les images de ce qui se préparait, en cas de réussite, pour être un massacre de grande envergure, soient proposées au monde entier, massivement et « gratuitement ». Avec la certitude qu’à leur vue une bonne partie de ce monde exulterait. L’autre non, mais qu’est-ce que ça pouvait faire ? Elle est vouée à la disparition.

Car la barbarie désormais se revendique haut et fort, elle est un élément de propagande, matière à fierté. La tuerie du 7 octobre devait être donnée en spectacle (note pour le directeur du festival : donnée, pas vendue !) Nous n’avons pas vu ces images, pas plus que le reste du monde puisqu’Israël, qui en a récupéré l’essentiel, a décidé de n’en organiser qu’une diffusion restreinte. Nous n’en retiendrons que cette explosion de joie, qui devait être communicative, rapportée par un privilégié qui les a vues : « Maman, j’ai tué dix Juifs, j’ai leur sang sur les mains ! Je t’appelle avec le téléphone d’une juive que je viens de tuer. – Que Dieu te garde, mon fils. Tue-les tous ». 

Il a fallu du temps, et bien des rechutes barbares, pour se débarrasser, en Occident, de la barbarie. Il a d’abord fallu la restreindre, en limiter l’usage à des institutions bien précises, les seules qui disposaient en quelque sorte du « monopole de la barbarie légitime » : les États et l’Église ont fini par être les seuls à pouvoir pendre, écarteler, brûler ou soumettre à la « question » par tout moyen « nécessaire ». De cette barbarie institutionnalisée ne reste dans nos contrées, en somme, que la prison.

Et voilà que la barbarie pleine et entière revient, fière et décomplexée. Et décentralisée. Éclatée.

Curieusement, ou plutôt significativement, la polémique de Toronto sur le droit à l’image que détiendraient les barbares sur leurs actes barbares intervient en même temps que l’hommage rendu nuitamment à ceux qui se sont explicitement réclamés de la barbarie en France, les premiers à être l’indice d’une réintroduction de la barbarie dans notre univers : le « gang des barbares », qui évidemment, pour exercer jouissivement sa barbarie, s’en est pris à un Juif, Ilan Halimi. L’arbre planté pour perpétuer son souvenir a été scié par des admirateurs de ses barbares bourreaux. Il faut le craindre : de plus en plus nombreux.

Theodor Herzl, dans son plaidoyer pour la création d’un État des Juifs, a écrit une phrase, alors qu’il balançait entre l’Argentine et la Palestine, qu’il n’aurait certainement pas pu écrire aujourd’hui, wokisme oblige :

« La Palestine reste notre patrie historique inoubliable. Son seul nom constituerait pour notre peuple un cri de ralliement d’une extraordinaire puissance. Si Sa Majesté le Sultan consentait à nous donner la Palestine, nous pourrions nous charger de mettre en ordre les finances de la Turquie. Pour l’Europe, nous formerions là-bas un élément du mur contre l’Asie ainsi que l’avant-poste de la civilisation contre la barbarie ». (« L’état des juifs ». La découverte,. p. 47

Israël, dans sa guerre contre le Hamas, tient son rôle. Exactement celui que lui assignait Herzl. Celui d’un avant-poste de la civilisation contre la barbarie. Peu, malheureusement, le comprennent. On préfère chipoter sur les « concerns » et les « roadblocks ». L’équivalent du sexe des anges.

© Julien Brünn

Journaliste. Ancien correspondant de TF1 en Israël. 


Dernier ouvrage paru  : 

L’origine démocratique des génocidesPeuples génocidaires, élites suicidaires. L’harmattan. 2024

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